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14/10/2019 | FRANCE | N°417843

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 14 octobre 2019, 417843


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2018 et le 17 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société civile du Château Lynch-Moussas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics du 22 novembre 2017 modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pauillac " homolog

ué par décret n° 2011-1746 du 1er décembre 2011, en tant qu'il n'a pas classé...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2018 et le 17 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société civile du Château Lynch-Moussas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics du 22 novembre 2017 modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pauillac " homologué par décret n° 2011-1746 du 1er décembre 2011, en tant qu'il n'a pas classé dans l'aire parcellaire délimitée de l'AOC Pauillac la totalité de ses parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 438, 439 et une partie des parcelles n° 436, 437, 177, 178, 179 et 180 p sur le territoire de la commune de Pauillac (Gironde) ;

2°) d'annuler la décision de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), résultant des délibérations du comité national des appellations d'origine relatives aux vins et boissons alcoolisés et des boissons spiritueuses des 23 novembre 2016 et 3 mai 2017, refusant de proposer le classement dans l'AOC " Pauillac " de la totalité des parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 438, 439 et une partie des parcelles n° 436, 437, 177, 178, 179 et 180 p ;

3°) d'enjoindre à l'INAO de proposer le classement en AOC " Pauillac " de la totalité des parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 436, 437, 438, 439, 177, 178, 179 et 180 p et à l'Etat de prononcer ce classement ou, subsidiairement, d'enjoindre à l'INAO et à l'Etat de réexaminer le classement de ces parcelles ;

4°) de mettre à la charge solidairement de l'Etat et de l'INAO la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code de la consommation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'ordonnance n° 2015-1246 du 7 octobre 2015 ;

- le décret n° 2011-1746 du 1er décembre 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société civile du Château Lynch-Moussas et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 1er décembre 2011, le Premier ministre a homologué le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pauillac ", qui prévoit notamment la délimitation d'une aire parcellaire de production comportant les vignes d'où sont exclusivement issus les vins de cette appellation. Le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et boissons alcoolisés et des boissons spiritueuses de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a approuvé une proposition de modification de l'aire parcellaire délimitée sur la commune de Pauillac (Gironde) par une délibération des 23 novembre 2016, confirmée par une autre délibération du 3 mai 2017. Par un arrêté du 22 novembre 2017, pris en application de l'article L. 641-7 du code rural et de la pêche maritime tel que modifié par l'ordonnance du 7 octobre 2015 relative aux signes d'identification de l'origine et de la qualité, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié le cahier des charges de l'AOC " Pauillac ", pour ce qui concerne la délimitation de l'aire parcellaire sur la commune de Pauillac. La société civile du Château Lynch-Moussas demande l'annulation de cet arrêté ainsi que des délibérations de l'INAO des 23 novembre 2016 et 3 mai 2017, en tant qu'ils excluent de l'aire parcellaire délimitée de l'AOC " Pauillac " la totalité de ses parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 438, 439 et une partie des parcelles n° 436, 437, 177, 178, 179 et 180 p sur le territoire de la commune de Pauillac. Elle demande en outre qu'il soit enjoint à l'INAO de proposer le classement en AOC " Pauillac " de la totalité de ces parcelles et à l'Etat de prononcer ce classement ou, subsidiairement, qu'il soit enjoint à l'INAO et à l'Etat de réexaminer le classement de ces parcelles.

Sur la fin de non-recevoir opposée par l'INAO

2. Aux termes de l'article L. 641-6 du code rural et de la pêche maritime : " La reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée est proposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité (...) / La proposition de l'institut porte sur la délimitation de l'aire géographique de production, définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine, ainsi que sur la détermination des conditions de production qui figurent dans un cahier des charges (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 641-7 du même code : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, les modifications apportées aux cahiers des charges homologués par décret en Conseil d'Etat ou par décret en application du premier alinéa du présent article dans sa rédaction en vigueur avant la publication de l'ordonnance n° 2015-1246 du 7 octobre 2015 sont adoptées par arrêté du ou des ministres intéressés ". Aux termes de l'article R. 641-16 du même code : " A l'intérieur de l'aire géographique délimitée par le cahier des charges d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, des zones affectées à l'une des phases de la production ou de l'élaboration ou de la transformation du produit peuvent être définies ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 641-17 de ce code : " L'arrêté homologuant le cahier des charges d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique relevant du règlement (CE) n° 110/2008 du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2008, du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ou du règlement (UE) n° 251/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 est pris par les ministres chargés de l'agriculture, de la consommation et du budget ". Aux termes de l'article R. 641-20-1 du même code : " I. - La demande de modification d'un cahier des charges d'une appellation d'origine, d'une indication géographique ou d'une spécialité traditionnelle garantie est soumise pour approbation au comité national compétent de l'Institut national de l'origine et de la qualité (...) III.- Le cahier des charges modifié de l'appellation d'origine, de l'indication géographique ou de la spécialité traditionnelle garantie fait l'objet d'une nouvelle homologation (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que les délibérations par lesquelles le comité national compétent de l'INAO propose une modification du cahier des charges ne présentent qu'un caractère préparatoire à l'arrêté homologuant le cahier des charges ainsi modifié, y compris en tant que cette proposition écarte le classement de certaines parcelles de l'aire parcellaire définie par ce cahier des charges. Par suite, l'INAO est fondé à soutenir que la requête de la société civile du Château Lynch-Moussas est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre la proposition de l'INAO résultant des délibérations du comité national des 23 novembre 2016 et 3 mai 2017. Toutefois, toute irrégularité entachant ces délibérations peut être invoquée à l'appui du recours dirigé contre l'arrêté du 22 novembre 2017.

Sur la légalité externe :

4. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent (...) ".

5. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration n'imposait pas de motiver l'arrêté du 22 novembre 2017, qui revêt un caractère règlementaire. La requérante ne saurait par ailleurs se prévaloir de ce que les délibérations du comité national des appellations d'origine relatives aux vins et boissons alcoolisés et des boissons spiritueuses de l'INAO des 23 novembre 2016 et 3 mai 2017 ne seraient pas motivées, dès lors qu'aucun texte, notamment par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, n'impose une telle motivation.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 93 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Aux fins de la présente section, on entend par : / a) "appellation d'origine", le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d'un pays, qui sert à désigner un produit visé à l'article 92, paragraphe 1, satisfaisant aux exigences suivantes : / i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents (...) ". Aux termes de l'article L. 641-5 du code rural et de la pêche maritime : " Peuvent bénéficier d'une appellation d'origine contrôlée les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer, bruts ou transformés, qui remplissent les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 115-1 du code de la consommation, possèdent une notoriété dûment établie et dont la production est soumise à des procédures comportant une habilitation des opérateurs, un contrôle des conditions de production et un contrôle des produits ". Aux termes de l'article L. 431-1 du code de la consommation : " Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ".

7. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative est tenue, pour déterminer l'aire géographique de production, de se fonder à la fois sur des facteurs naturels et des facteurs humains façonnant la qualité ou les caractères propres du produit désigné par l'appellation d'origine.

8. D'une part, si, dans le cas d'une appellation d'origine d'un vin, l'autorité administrative décide, en application des dispositions de l'article R. 641-16 du code rural et de la pêche maritime, de délimiter au sein de l'aire géographique de production une aire parcellaire, comprenant les seules parcelles de vignes aptes à produire le raisin exclusivement utilisé pour l'élaboration du vin objet de l'appellation, elle est en droit, en procédant à cette délimitation, d'exclure de celle-ci toute parcelle comprise dans l'aire géographique ne satisfaisant pas aux exigences découlant des seuls facteurs naturels retenus pour la délimitation de l'aire géographique. Ainsi, si le cahier des charges de l'AOC " Pauillac " homologué par le décret du 1er décembre 2011 décrit, au X de son chapitre Ier, les facteurs naturels et humains contribuant au lien avec la zone géographique, ces éléments, qui sont à prendre en compte pour la délimitation de l'aire géographique de production, ne faisaient pas obstacle à ce que l'autorité administrative exclue certaines parcelles de l'aire parcellaire délimitée en se référant aux seuls facteurs naturels.

9. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'INAO ait mis en oeuvre d'autres critères que ceux qui sont énumérés au X du chapitre Ier du cahier des charges de l'AOC " Pauillac " alors en vigueur. Si un rapport d'expertise daté du 4 octobre 2002 portant notamment sur les parcelles litigieuses, dont des extraits sont repris dans un nouveau rapport d'expertise présenté lors de la délibération du 23 novembre 2016, se réfère aux " noyaux d'élite de l'appellation ", il ressort des pièces du dossier que l'INAO n'a pas utilisé cette notion comme un critère d'appréciation et que les parcelles litigieuses ont été examinées exclusivement au regard des critères du cahier des charges de l'AOC " Pauillac ".

10. En second lieu, il résulte du a) du 1° du X du chapitre Ier du cahier des charges de l'AOC " Pauillac " homologué par le décret du 1er décembre 2011, qui décrit les facteurs naturels, que la région de Pauillac est caractérisée par une extension de terrasses graveleuses, pouvant être entrecoupées de zones de dépression comblées de sables éoliens. Aux termes du 3° du X de ce cahier des charges : " l'aire parcellaire de production délimite les parcelles dont la nature des sols est graveleuse ou sablo-graveleuse à condition que la teneur en sable fin, généralement d'origine éolienne, soit assez faible et que la perméabilité des sols soit correcte (...) les parcelles situées sur alluvions modernes, sur placages de sables éoliens importants ou mal drainées car situées sur sous-sol imperméable sont exclues de l'aire parcellaire de production (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que la commission d'experts de l'INAO a proposé d'inclure dans l'aire parcellaire délimitée de l'AOC " Pauillac " les seules parcelles appartenant à la société civile du Château Lynch-Moussas pour lesquelles, en dépit, le cas échéant, de la présence de sables, la présence d'une grave a été relevée en quantité suffisante à une profondeur relativement faible. En revanche, pour exclure de cette aire parcellaire les parcelles litigieuses, à savoir la totalité de ses parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 438, 439 et une partie des parcelles n° 436, 437, 177, 178, 179 et 180 p sur le territoire de la commune de Pauillac, elle s'est fondée sur leur profil composé de sables humifères épais profonds, reposant sur des argiles sableuses compactées, avec une très faible présence de grave et sur une situation topographique et hydromorphique défavorable. Au regard de ces caractéristiques, qui ressortent des études pédologiques menées sur les parcelles litigieuses dans le cadre des expertises diligentées par l'INAO et que n'infirment pas les analyses fournies par la société civile du Château Lynch-Moussas, ces parcelles ne répondent pas aux exigences précitées du cahier des charges de l'AOC " Pauillac ". Par ailleurs, la circonstance que des travaux de drainage pourraient être entrepris à l'avenir en vue d'une possible exploitation de ces parcelles, qui n'étaient pas plantées en vigne à la date de l'arrêté attaqué ainsi que cela ressort du rapport d'expertise de novembre 2017 figurant au dossier, ne permet pas d'établir que ces sols répondaient à cette date aux conditions fixées par le cahier des charges de l'AOC " Pauillac ". Enfin, la présence de traces d'anciennes vignes ne fait pas obstacle à ce que certaines parcelles soient exclues. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que la société civile du Château Lynch-Moussas n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque, en tant qu'il exclut de l'aire parcellaire délimitée de l'AOC " Pauillac " la totalité de ses parcelles cadastrées en section D1 du lieu-dit Petit Moussas n° 165, 438, 439 et une partie des parcelles n° 436, 437, 177, 178, 179 et 180 p sur le territoire de la commune de Pauillac. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société civile du Château Lynch-Moussas le versement à l'INAO d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État et de l'INAO qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société civile du Château Lynch-Moussas est rejetée.

Article 2 : La société civile du Château Lynch-Moussas versera à l'Institut national de l'origine et de la qualité une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile du Château Lynch-Moussas, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'action et des comptes publics et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417843
Date de la décision : 14/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 oct. 2019, n° 417843
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417843.20191014
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