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02/10/2019 | FRANCE | N°432740

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 02 octobre 2019, 432740


Vu la procédure suivante :

Mme A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation et à la suspension de l'arrêté pris par le préfet de l'Hérault en date du 26 avril 2019 lui faisant obligation de quitter le territoire français avec fixation du pays de renvoi et interdiction de retour de quatre mois, ainsi qu'à l'annulation d'un deuxième arrêté pris le 17 juin 2019 l'assignant à résidence, a produit un mémoire, enregistré le 18 juin 2019 au greffe du tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1

958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionna...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation et à la suspension de l'arrêté pris par le préfet de l'Hérault en date du 26 avril 2019 lui faisant obligation de quitter le territoire français avec fixation du pays de renvoi et interdiction de retour de quatre mois, ainsi qu'à l'annulation d'un deuxième arrêté pris le 17 juin 2019 l'assignant à résidence, a produit un mémoire, enregistré le 18 juin 2019 au greffe du tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1902553 en date du 21 juin 2019, enregistrée le 17 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Montpellier, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du 3° de l'article 12 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. D'une part, il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction. D'autre part, il résulte du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution, que le droit d'asile est un principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs d'asile bénéficient d'une protection particulière, la confidentialité des éléments d'information détenus par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides relatifs à la personne sollicitant l'asile en France constituant une garantie essentielle du droit d'asile.

3. L'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, pose le principe du droit au maintien sur le territoire du demandeur d'asile dans les termes suivants : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. (...) ". L'article L. 743-2 du même code prévoit les cas dans lesquels, par dérogation à l'article L. 743-1, le recours formé par le demandeur d'asile contre le rejet de sa demande n'a pas d'effet suspensif, le 2° de l'article 12 de la loi du 10 septembre 2018 ayant ajouté trois cas supplémentaires dans lesquels le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé : " (...) lorsque : / (...) / 4° bis Sans préjudice du 4° du présent article, l'office a pris une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 723-11 ; / (...) / 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 ; / 8° L'office a pris une décision de rejet ou d'irrecevabilité dans les conditions prévues à l'article L. 571-4. ". Enfin, l'article L. 743-3 du même code, dans sa rédaction issue du 3° de l'article 12 de la même loi, dispose que : " (...) Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l'article L. 512-1 contre l'obligation de quitter le territoire français de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour. "

4. Dans la question prioritaire transmise par la présidente du tribunal administratif de Montpellier, Mme B... soutient que les dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue du 3° de l'article 12 de la loi du 10 septembre 2018, portent atteinte au droit d'asile et au droit à un recours effectif, en ce qu'elles confient, au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné, la compétence pour se prononcer sur la demande formée par l'étranger, dont le droit de se maintenir sur le territoire français a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, tendant à ce que soit suspendue la mesure d'éloignement dont il aurait fait l'objet au regard du caractère sérieux des moyens dirigés contre la décision de rejet ou d'irrecevabilité de sa demande alors que la Cour nationale du droit d'asile serait, par ailleurs, saisie d'un recours tendant à l'annulation de la même décision. Elle soutient que ce dispositif, d'une part, porterait une atteinte substantielle au droit à un recours effectif et, en conséquence, au droit d'asile garanti par la Constitution, d'autre part, porterait atteinte à ce droit d'asile en n'offrant pas des garanties suffisantes en termes de confidentialité des éléments relatifs à la demande d'asile.

5. Par sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, par laquelle il a déclaré conforme à la Constitution les dispositions du 2° de l'article 12 de la loi du 10 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a jugé, d'une part, que ces dispositions ne privent pas les intéressés de la possibilité d'exercer un recours contre la décision de rejet de l'office et, d'autre part, que le 3° de l'article 12 de la loi déférée complète l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prévoyant, dans les hypothèses visées aux 4° bis et 7° de l'article L. 743-2 du même code, que l'intéressé faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut demander au président du tribunal administratif la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si cette dernière est saisie, jusqu'à sa décision. Il en a déduit que les dispositions du 2° de l'article 12 de la loi du 10 septembre 2018 ne méconnaissaient ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le droit d'asile, ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle. Ainsi, le Conseil constitutionnel, pour conclure à la conformité à la Constitution des dérogations introduites par la loi au principe du maintien sur le territoire, a expressément retenu, dans ses motifs et à l'appui de son dispositif, la garantie présentée par la saisine du juge administratif de conclusions à fins de suspension de la mesure d'éloignement ajoutée par les dispositions nouvelles de l'article L. 743-3, telles qu'issues de la loi précitée.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la circonstance que les dispositions législatives contestées confient au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin, compétents en vertu de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour statuer sur les recours formés contre les obligations de quitter le territoire français, la compétence pour se prononcer sur la demande de suspension de l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français adressée à un étranger dont la demande d'asile a été rejetée alors que serait, par ailleurs, pendant devant la Cour nationale du droit d'asile le recours formé par cet étranger contre le rejet de sa demande d'asile, si elle peut avoir pour effet de conduire deux juridictions administratives à examiner, l'une, le caractère sérieux des moyens dirigés contre la décision de rejet ou d'irrecevabilité de la demande d'asile, l'autre, le bien-fondé de cette décision, n'est pas par elle-même de nature à porter une atteinte substantielle au droit à un recours effectif garantie par la Constitution.

7. La circonstance que, devant le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin, le préfet soit l'autorité défenderesse et que les pièces transmises au magistrat par le demandeur d'asile soient ainsi communiquées au préfet en application du principe du caractère contradictoire de la procédure, ne porte pas atteinte au respect de la confidentialité des informations relatives à la personne sollicitant l'asile, puisque c'est à l'étranger lui-même, en sa qualité de requérant devant le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin, et à lui seul, qu'il revient de décider de verser au débat contradictoire, et dans la mesure qu'il estime nécessaire, les pièces permettant d'étayer le caractère sérieux des moyens avancés contre la décision de rejet ou d'irrecevabilité. Au demeurant, il incombe au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin, comme à toute juridiction administrative, dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi. Parmi les secrets qu'il lui incombe de garantir, figure la confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France. Il peut en outre, le cas échéant, décider que l'audience aura lieu ou se poursuivra hors la présence du public. Enfin, il résulte des dispositions de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires que les agents des services préfectoraux, à qui les documents adressés par le requérant seront communiqués en application du caractère contradictoire de la procédure, sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal ainsi qu'à une obligation de discrétion professionnelle. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que les dispositions législatives contestées porteraient atteinte au droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Montpellier.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Montpellier.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 432740
Date de la décision : 02/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2019, n° 432740
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Carine Chevrier
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:432740.20191002
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