Vu la procédure suivante :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1505846 du 20 février 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17MA01616 du 13 février 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. D... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 avril et 13 juillet 2018 et 6 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision du 12 mars 2019 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. D... ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Armement B..., qui est une société de fait, a inscrit à l'actif de son bilan le navire " F... Christian V ". Les propriétaires de ce navire, MM. F... B..., E... B..., C... B... et A... D..., avaient choisi de le mettre en commun en vue de son exploitation par la société Armement B.... Ce navire a été cédé par ses propriétaires le 1er février 2010, pour un prix de 3 346 934 euros. Chacun des copropriétaires du navire en a perçu le prix, en fonction de sa quote-part de propriété, soit respectivement 45 % pour M. F... B... et M. E... B..., 5 % pour M. C... B... et M. A... D..., et non à hauteur de ses droits dans la société de fait au 31 décembre 2010. La déclaration de résultat de la société de fait au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 mentionnait une plus-value professionnelle de 3 346 934 euros et un déficit de 110 174 euros, la plus-value résultant de la cession du navire ayant été préalablement répartie entre les copropriétaires du navire au prorata de leurs droits respectifs dans la copropriété du navire. Par une proposition de rectification du 15 octobre 2012, l'administration a remis en cause la répartition opérée par les associés de la société Armement B... puis a imposé M. A... D... à hauteur de 50 % des bénéfices réalisés par la société au titre de l'exercice 2010. Elle a procédé aux redressements correspondants au titre de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux. M. D... a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement du 20 février 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande. La cour administrative d'appel de Marseille a confirmé ce jugement par un arrêt du 13 février 2018 contre lequel M. D... se pourvoit en cassation.
2. D'une part, aux termes de l'article 238 bis L du code général des impôts : " Les bénéfices réalisés par les sociétés créées de fait sont imposés selon les règles prévues au présent code pour les sociétés en participation ". Aux termes de l'article 238 bis M de ce code : " Les sociétés en participation doivent, pour l'application des articles 8 et 60, inscrire à leur actif les biens dont les associés ont convenu de mettre la propriété en commun ". Aux termes de l'article 8 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Il en est de même, sous les mêmes conditions : 2° Des membres des sociétés en participation (...) qui sont indéfiniment responsables et dont les noms et adresses ont été indiqués à l'administration ". Aux termes de l'article 12 du code : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". D'autre part, aux termes de l'article 1161 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur : " Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier ".
3. Il résulte de ces dispositions que les bénéfices des sociétés de personnes sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés présents à la date de clôture de l'exercice, qui sont ainsi réputés avoir personnellement réalisé chacun une part de ces bénéfices à raison de leurs droits dans la société à cette date.
4. Aux termes de l'article 4 de l'acte de cession des droits sociaux de la société de fait en date du 15 décembre 2010, par lequel MM. F... et E... B... ont cédé à MM. C... B... et A... D... les parts qu'ils détenaient dans la société Armement B... : "Il a été expressément convenu entre les soussignés que les résultats dégagés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 seraient répartis comme suit : résultats provenant de la cession du navire : M. F... B... - 45 % ; M. E... B... - 45 % ; M. C... B... : 5 % ; M. A... D... - 5 % " ", tandis que, pour les autres résultats à la même date, la répartition se faisait à concurrence de 40 % pour les deux premiers et à concurrence de 10 % pour les deux autres associés. Si le même article prévoyait que " (...) suite à la présente cession, Messieurs Généreux B... et Eric D... restent seuls associés selon une répartition des droits suivante dans la société de fait " Armement B... " : - Monsieur C... B... 50 % - Monsieur A... D... 50 %. Il est ici expressément convenu entre les soussignés que le transfert de propriété des droits sociaux cédés interviendra le 31 décembre 2010, chacun des acquéreurs étant subrogé à compter de cette date (...) dans tous les droits et actions attachés à ces droits sociaux ", il stipulait que les résultats dégagés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011 seraient répartis comme suit : " M. C... B... - 50 % ; M. A... D... - 50 % " tandis que l'article 8 du même acte, intitulé " Modification de la répartition des droits sociaux ", stipulait : " En conséquence de la présente cession, les droits sociaux dans la société de fait " Armement B... " seront répartis à compter du 1er janvier 2011 comme suit : - Monsieur C... B... 50 % - Monsieur A... D... 50 % ".
5. Si les stipulations relatives à la répartition des résultats imposables ne peuvent pas être directement invoquées devant le juge de l'impôt, elles n'en traduisent pas moins l'intention des parties qu'elles permettent d'apprécier. En se fondant sur une partie seulement des stipulations de l'article 4 de l'acte de cession pour en déduire que le transfert de propriété des droits sociaux détenus par MM. F... et E... B... au profit de MM. C... B... et A... D... était intervenu au 31 décembre 2010 sans examiner les stipulations de l'article 8 et les autres énonciations de l'article 4 qui étaient invoquées devant elle et qui faisaient clairement apparaître que la nouvelle répartition des droits sociaux n'entrait en vigueur que le 1er janvier 2011, soit l'année suivant la cession du navire et la réalisation de la plus-value professionnelle, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et dénaturé les clauses du contrat. M. D... est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros que M. D... demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 13 février 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au ministre de l'action et des comptes publics.