Vu la procédure suivante :
La société en nom collectif (SNC) Karavelli a demandé au tribunal administratif de la Polynésie Française de prononcer la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1400671 du 26 mai 2015, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15PA03257 du 23 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Karavelli contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier et 23 avril 2018 et le 31 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Karavelli demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des impôts de la Polynésie française ;
- l'arrêté du 15 novembre 1873 modifié relatif à la formalité de l'enregistrement dans les Etablissements français de l'Océanie et les Etats du Protectorat des îles de la Société, notamment son article 92 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Karavelli et à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la présidence de la Polynésie française ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Karavelli, qui exerce une activité de services à l'installation, l'exploitation et la maintenance de systèmes d'adduction d'eau potable a, le 21 août 2013, procédé à une cession d'actifs mobiliers au profit de la société par actions simplifiée Polynésienne des Eaux et procédé à la déduction, sur sa déclaration de chiffre d'affaires afférente au mois de décembre 2013, d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 5 424 894 francs CFP résultant de cette cession d'actifs de biens meubles. La société Polynésienne des Eaux s'étant acquittée du paiement de droits d'enregistrement à raison de cette acquisition, la société Karavelli a sollicité auprès de l'administration fiscale le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article LP 340-9 du code des impôts de la Polynésie française. L'administration a refusé de faire droit à cette demande et mis en recouvrement le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant. Par un jugement du 26 mai 2015, le tribunal administratif a rejeté la demande de la société Karavelli tendant à prononcer la décharge de ce rappel. Cette société demande l'annulation de l'arrêt du 23 octobre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article LP 340-1 du code des impôts de Polynésie française : " Sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de service effectuées à titre onéreux par un assujetti ". Toutefois, aux termes du I de l'article LP 340-9 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les cessions de biens meubles corporels ou incorporels, y compris les ventes aux enchères publiques, ainsi que les cessions portant sur la propriété ou l'usufruit de biens immeubles, lorsqu'elles sont soumises aux droits d'enregistrement, à l'exception des opérations d'achat-revente visées au dernier alinéa de l'article LP 340-3 ; (...) / 30° les ventes de biens usagés réalisées par les assujettis qui les ont utilisés pour les besoins de leur exploitation et qui n'ont pas ouvert droit à déduction totale de la taxe sur la valeur ajoutée lors de leur acquisition (...) ".
3. Pour rejeter la demande de la société Karavelli tendant au bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue au 1° du I de l'article LP 340-9 précité pour la cession de biens mobiliers à la société Polynésienne des Eaux, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir relevé qu'il était constant que l'acquisition de ces biens avait ouvert droit à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de leur acquisition par l'intéressée, a jugé, en combinant les dispositions du 1° du I de l'article LP 340-9 avec celles du 30° du I de ce même article, que l'exercice de ce droit à déduction faisait obstacle à l'exonération demandée, alors même que la cession des biens en cause avait été soumise aux droits d'enregistrement. En subordonnant ainsi le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue au 1° du I de l'article LP 340-9 pour les cessions de biens meubles soumises aux droits d'enregistrement à la condition prévue par le 30° du I de l'article LP 340-9, tirée de l'absence de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l'acquisition de ces biens, laquelle concerne un cas d'exonération distinct de celui prévu au 1°, la cour administrative d'appel a méconnu la portée de cette disposition. Par suite, la société Karavelli est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il est constant que la cession par la société Karavelli de biens mobiliers à la société Polynésienne des Eaux a été soumise aux droits d'enregistrement, conformément au 1° du paragraphe 6 de l'article 92 de l'arrêté du 15 novembre 1873 modifié relatif à la formalité de l'enregistrement dans les Etablissements français de l'Océanie et les Etats du Protectorat des îles de la Société, et ne constituait pas une opération d'achat-revente. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société Karavelli est fondée à se prévaloir, au titre de cette opération de cession, de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée instituée par le 1° du I de l'article LP 340-9 du code des impôts de la Polynésie française dans sa rédaction applicable au litige.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Karavelli est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté ses conclusions tendant à la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de cette opération.
7. L'Etat qui, en vertu des articles 13 et 14 combinés de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ne dispose pas de la compétence en matière fiscale dans cette collectivité, n'est pas partie à la présente instance. Par suite, les conclusions de la société Karavelli tendant à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
8. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Karavelli qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 23 octobre 2017 et le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 26 mai 2015 sont annulés.
Article 2 : La société Karavelli est déchargée du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013 et des pénalités correspondantes.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Karavelli est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la Polynésie française présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Karavelli et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.