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21/06/2019 | FRANCE | N°418356

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 21 juin 2019, 418356


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Shaper's France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, et subsidiairement la réduction, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007, ainsi que la décharge des pénalités correspondantes. Par un jugement no 1310050 du 29 janvier 2016, ce tribunal a accordé à la société la réduction de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2

007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et rejeté le surplus des concl...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Shaper's France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, et subsidiairement la réduction, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007, ainsi que la décharge des pénalités correspondantes. Par un jugement no 1310050 du 29 janvier 2016, ce tribunal a accordé à la société la réduction de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 16NT00964 du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Shaper's France contre ce jugement et, sur appel incident du ministre des finances et des comptes publics, a annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 janvier 2016 et remis à la charge de la société Shaper's France l'intégralité de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février et 21 mai 2018 et le 14 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Shaper's France demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et de rejeter l'appel incident du ministre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 ;

- le règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Shaper's France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Shaper's France a bénéficié au titre des années 2006 et 2007 de l'exonération temporaire de taxe professionnelle prévue à l'article 1464 B du code général des impôts au titre de la reprise d'établissements en difficulté. À l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2005 au 30 novembre 2007, l'administration a remis en cause le bénéfice de cette exonération, pour sa fraction excédant le plafond des aides de minimis pouvant lui être accordées. Des rappels de cotisations de taxe professionnelle ont été mis à la charge de la société à hauteur de 268 444 euros pour l'année 2006 et de 259 994 euros pour l'année 2007. Par un jugement du 29 janvier 2016, le tribunal administratif de Nantes a accordé à la société la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête. Par un arrêt du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Shaper's France contre ce jugement et, sur appel incident du ministre des finances et des comptes publics, a remis à sa charge l'intégralité de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007. La société Shaper's France se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la demande de décharge des impositions en litige :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement du 12 janvier 2001 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis : " 1. Lorsqu'un État membre octroie une aide de minimis à une entreprise, il l'informe du caractère de minimis de cette aide ; l'entreprise concernée lui fournit des informations complètes sur les autres aides de minimis qu'elle a reçues au cours des trois années précédentes. / L'État membre ne peut lui accorder la nouvelle aide de minimis qu'après avoir vérifié que cette nouvelle aide ne porte pas le montant total des aides de minimis perçues au cours de la période de référence de trois ans au-delà du plafond fixé à l'article 2, paragraphe 2 (...) ". Aux termes de l'article 3 du règlement du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité aux aides de minimis, applicable à compter du 1er janvier 2007 : " 1. Lorsqu'un État membre envisage d'octroyer une aide de minimis à une entreprise, il l'informe par écrit du montant potentiel de cette aide (exprimé en équivalent-subvention brut) ainsi que de son caractère de minimis, en faisant explicitement référence au présent règlement et en citant son titre et sa référence de publication au Journal officiel de l'Union européenne. Si l'aide de minimis est octroyée à plusieurs entreprises dans le cadre d'un régime et que des montants d'aide différents sont accordés à ces entreprises, l'État membre concerné peut choisir de remplir cette obligation en informant les entreprises d'un montant fixe correspondant au montant maximal de l'aide qu'il est possible d'accorder dans le cadre de ce régime. Dans ce cas, ce montant fixe sert à déterminer si le plafond fixé à l'article 2, paragraphe 2, est respecté. L'État membre doit également obtenir de l'entreprise concernée, avant l'octroi de l'aide, une déclaration sur support papier ou sous forme électronique relative aux autres aides de minimis qu'elle a reçues au cours des deux précédents exercices fiscaux et de l'exercice fiscal en cours. / L'État membre n'accorde la nouvelle aide de minimis qu'après avoir vérifié qu'elle ne porte pas le montant total des aides de minimis perçues par l'entreprise dans cet État membre au cours de la période couvrant l'exercice fiscal concerné et les deux exercices précédents au-delà du plafond fixé à l'article 2, paragraphe 2 ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1464 B du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I.- Les entreprises qui bénéficient des exonérations prévues aux articles 44 sexies et 44 septies, peuvent être temporairement exonérées, dans les conditions prévues à l'article 1464 C, de la taxe professionnelle dont elles sont redevables, pour les établissements qu'elles ont créés ou repris à une entreprise en difficulté, à compter de l'année suivant celle de leur création. / (...) III bis.- L'exonération prévue au I s'applique dans les limites prévues par le règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (...) ".

4. En jugeant que l'administration avait satisfait à son obligation d'information prévue par les articles 3 précités des règlements du 12 janvier 2001 et du 15 décembre 2006 au seul motif que les dispositions précitées du III bis de l'article 1464 B du code général des impôts informaient explicitement les contribuables des limites de l'exonération à laquelle ils pouvaient prétendre au titre des aides de minimis, alors que les articles 3 de ces règlements imposent à l'État d'informer chaque entreprise du montant de l'aide de minimis qu'il peut lui octroyer, la cour administrative d'appel a méconnu ces dispositions et ainsi entaché son arrêt d'une erreur de droit. Toutefois, la méconnaissance par l'administration de son obligation d'information de l'entreprise bénéficiaire d'une aide de minimis prenant la forme d'une mesure d'exonération d'imposition est sans incidence sur la régularité et le bien fondé des impositions supplémentaires que l'administration est tenue d'établir, par l'exercice de son pouvoir de rectification, en vue d'assurer le respect du plafond des aides de minimis. Ce motif, qui n'emporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...) ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. À défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, l'administration est tenue de rectifier le montant de l'exonération d'impôt octroyée pour assurer le respect du plafond des aides de minimis. Dès lors, en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé, que la société Shaper's France n'était pas fondée à soutenir qu'elle disposait d'une espérance légitime de conserver le bénéfice des exonérations dans leurs montants établis à partir de ses propres déclarations des 23 décembre 2005 et 26 avril 2006, au motif notamment que l'administration bénéficiait d'un droit de reprise du montant des exonérations initialement accordées, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En outre, la société Shaper's France n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait méconnu les principes de confiance légitime et de sécurité juridique consacrés par le droit de l'Union européenne, dès lors que les cotisations de taxe professionnelle sont uniquement régies par la loi fiscale française.

8. En troisième lieu, la cour n'a dénaturé ni les faits de l'espèce ni les pièces du dossier en estimant que l'administration fiscale, en accordant à la société Shaper's France, sans vérifier le respect du plafond des aides de minimis, le bénéfice des exonérations qu'elle demandait au titre des années 2006 et 2007, n'a pris aucune position formelle, au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, sur le droit de cette société à bénéficier de l'exonération de l'article 1464 B du code général des impôts pour les montants qu'elle sollicitait.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1727 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " (...) II. L'intérêt de retard n'est pas dû : / (...) 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Shaper's France a adressé à l'administration fiscale, le 23 décembre 2005, un courrier par lequel elle sollicitait, compte tenu des éléments de sa situation qu'elle exposait, le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 1464 B du code général des impôts en lui demandant de bien vouloir lui indiquer si elle avait effectivement droit à cette exonération. En jugeant qu'un tel courrier ne comportait pas de mention expresse de nature à faire échec, sur le fondement des dispositions précitées du 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts, à l'application des intérêts de retard, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier et n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la demande de réduction des impositions en litige :

11. Aux termes de l'article 1647 B sexies du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années 2006 et 2007 : " I. Sur demande du redevable, la cotisation de taxe professionnelle de chaque entreprise est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. (...) ". La demande de plafonnement présentée sur le fondement de ces dispositions a le caractère d'une réclamation contentieuse.

12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Shaper's France a adressé à l'administration fiscale, le 10 février 2012, un courrier par lequel elle demandait, à titre principal, le dégrèvement des rappels de cotisations de taxe professionnelle mis à sa charge au titre des années 2006 et 2007 et, à titre subsidiaire, la réduction de ces rappels. Elle fondait notamment sa demande de réduction des impositions supplémentaires en litige au titre de l'année 2007 sur les dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, qu'elle citait, en chiffrant le plafonnement demandé à la somme de 103 601 euros. En estimant que ce courrier ne pouvait être regardé comme une demande de plafonnement au sens de l'article 1647 B sexies du code général des impôts pour en déduire que la société Shaper's France ne pouvait bénéficier du plafonnement prévu par ces dispositions au titre de l'année 2007, la cour administrative d'appel de Nantes a dénaturé les pièces du dossier. La société Shaper's France est ainsi fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi relatifs à sa demande de réduction des impositions en litige, à solliciter l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur ses conclusions tendant à la réduction de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Shaper's France est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il se prononce sur ses conclusions tendant à la réduction de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Shaper's France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 21 décembre 2017 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions de la société Shaper's France tendant à la réduction de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : L'État versera la somme de 3 000 euros à la société Shaper's France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Shaper's France est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Shaper's France et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 418356
Date de la décision : 21/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2019, n° 418356
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Gariazzo
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:418356.20190621
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