Vu la procédure suivante :
M. D...C..., Mme B...C...et M. A...C...ont demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'apporter le concours de la force publique à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 mars 2014 ordonnant l'expulsion de l'association APOGEI 94 et de tout occupant de son chef des locaux sis 6 rue du Général de Gaulle à Mandres-les-Roses et de condamner l'Etat à leur verser une somme de 237 203,52 euros à parfaire, en réparation des préjudices résultant pour eux du refus du préfet du Val-de-Marne de leur apporter le concours de la force publique. Par un jugement n° 1609424 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 5 septembre et 1er décembre 2017 et le 26 octobre 2018, les consorts C...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4500 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat des consortsC... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts C...sont propriétaires indivis d'un ensemble immobilier situé à Mandres-les-Roses (Val-de-Marne). A compter du 1er janvier 2007, cet ensemble a été loué à l'association APOGEI 94 par un bail commercial, afin d'y installer un centre d'accueil pour adultes handicapés. Par un arrêt du 12 mars 2014, la cour d'appel de Paris a constaté la nullité du bail à la demande des consorts C...et dit que l'association devrait quitter les lieux dans un délai de six mois. Le locataire s'étant maintenu dans les lieux au terme de ce délai, le concours de la force publique a été sollicité le 23 mars 2015 et refusé par une décision implicite du préfet du Val-de-Marne. Les consorts C...ont recherché la responsabilité de l'Etat au titre de ce refus devant le tribunal administratif de Melun, en demandant que soit mise à sa charge une indemnité de 237 203,52 euros et qu'il soit enjoint au préfet de leur accorder le concours de la force publique. Ils se pourvoient en cassation contre le jugement du 7 juillet 2017 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.
2. Aux termes de l'article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 412-5 du même code : " Dès le commandement d'avoir à libérer les locaux, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion en saisit le représentant de l'Etat dans le département (...). A défaut de saisine du représentant de l'Etat dans le département par l'huissier, le délai avant l'expiration duquel l'expulsion ne peut avoir lieu est suspendu ". Aux termes de l'article L. 412-1 de ce code, dans sa rédaction applicable à la date du commandement de quitter les lieux délivré à l'association APOGEI 94 : " Si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai ".
3. Aux termes, par ailleurs, de l'article R. 411-1 du même code : " Le commandement d'avoir à libérer les locaux prend la forme d'un acte d'huissier de justice signifié à la personne expulsée et contient à peine de nullité : / 1° L'indication du titre exécutoire en vertu duquel l'expulsion est poursuivie ; / 2° La désignation de la juridiction devant laquelle peuvent être portées les demandes de délais et toutes contestations relatives à l'exécution des opérations d'expulsion ; / 3° L'indication de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés ; / 4° L'avertissement qu'à compter de cette date il peut être procédé à l'expulsion forcée du débiteur ainsi qu'à celle de tout occupant de son chef (...) ". Le premier alinéa de l'article R. 412-1 du même code dispose en outre que : " Lorsque l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, le commandement d'avoir à libérer les locaux contient, à peine de nullité, en plus des mentions prévues à l'article R. 411-1, la reproduction des articles L. 412-1 à L. 412-6 ", ces dernières dispositions étant relatives au délai qui doit être respecté avant de procéder à l'expulsion, à la faculté qu'a le juge de prolonger et renouveler ce délai, à la saisine du représentant de l'Etat par l'huissier et à la suspension des mesures d'expulsion pendant la période hivernale.
4. Il ne résulte d'aucune disposition qu'il appartienne au préfet, saisi d'une demande d'octroi du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement d'expulsion, d'apprécier la validité du commandement de quitter les lieux délivré par l'huissier de justice. Par suite, en retenant que la responsabilité de l'Etat pour refus de concours de la force publique ne pouvait être engagée faute pour le commandement de quitter les lieux de comporter l'ensemble des mentions prévues par les dispositions citées au point 3, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Il suit de là que les consorts C...sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat, à ce titre, la somme de 3 000 euros à verser aux consortsC....
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 7 juillet 2017 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Melun.
Article 3 : L'Etat versera aux consorts C...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D...C..., premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.