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15/05/2019 | FRANCE | N°407395

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 15 mai 2019, 407395


Vu la procédure suivante :

M. B...A...et la société Terra Fecundis ETT ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 septembre 2015 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné la remise de M. A...aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1504501 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16BX02882 du 1er décembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. A...et autre, annulé ce jugement mais rejeté leur demande de première

instance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en rép...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...et la société Terra Fecundis ETT ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 septembre 2015 par lequel le préfet de la Gironde a ordonné la remise de M. A...aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 1504501 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16BX02882 du 1er décembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. A...et autre, annulé ce jugement mais rejeté leur demande de première instance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février 2017, 28 avril 2017 et 7 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs conclusions d'appel ou, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la question de la conformité au droit de l'Union européenne des textes nationaux exigeant qu'un ressortissant d'un Etat-tiers détienne une autorisation de séjour française à l'expiration d'un délai de trois mois suivant son entrée en France alors qu'il est titulaire d'un titre de séjour valide délivré par un Etat membre et qu'il a la qualité de travailleur régulièrement détaché d'une entreprise ressortissante de cet Etat membre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention d'application de l'accord de Schengen ;

- la directive n° 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services ;

- l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Malaga le 26 novembre 2002 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2000-231 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. A...et autre.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., ressortissant équatorien résidant en Espagne et titulaire d'un titre de séjour dans ce pays, a été détaché en France comme ouvrier auprès d'entreprises vinicoles par la société de travail temporaire Terra Fecundis, qui est établie en Espagne. Par un arrêté du 29 septembre 2015, le préfet de la Gironde a ordonné la remise d'office de M. A...aux autorités espagnoles en application de l'accord de Schengen et de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que l'intéressé s'était maintenu sur le territoire national à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans être titulaire d'un titre de séjour régulièrement délivré par les autorités françaises, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par M. A...et par la société Terra Fecundis contre cet arrêté. Par un arrêt du 1er décembre 2016, contre lequel M. A...et autre se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement précité pour irrégularité et évoqué l'affaire, a rejeté la demande des requérants.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne. / L'étranger visé au premier alinéa est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'Etat. / Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. ". En vertu des dispositions qui viennent d'être rappelées, eu égard aux effets et aux conditions d'exécution d'une décision de remise d'un étranger aux autorités compétentes d'un autre Etat membre, la personne concernée doit être mise à même de présenter utilement des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix préalablement à l'exécution de la décision. Par suite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé, au point 6 de son arrêt, que ces dispositions n'imposaient pas de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations avant l'adoption de la décision de remise, mais uniquement avant son exécution d'office.

3. D'autre part, il résulte des termes mêmes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative au droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations que la procédure contradictoire qu'il prévoit n'est pas applicable " aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ". Comme le troisième alinéa de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organise une procédure contradictoire particulière s'agissant des décisions de remise prévues à cet article, les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre de l'arrêté qui a été pris par le préfet du Gard sur le fondement de cet article L. 531-1. La cour administrative d'appel n'a, dès lors, pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000.

4. En deuxième lieu, la cour a relevé qu'il ressortait d'un procès-verbal de gendarmerie que M.A..., qui a été entendu en présence d'un interprète, lors de son audition préalable à la décision de remise, a déclaré être entré en France le 7 mai 2015 pour y travailler à la demande de son employeur, l'entreprise espagnole Terra Fecundis, qu'il a indiqué avoir eu un titre de séjour espagnol et être affilié à la sécurité sociale en Espagne et n'avoir jamais sollicité de titre de séjour en France, où il n'a aucune famille et qu'il souhaitait retourner en Espagne dans l'hypothèse où il devrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement. La cour en a déduit que, dans ces conditions, l'intéressé devait être regardé comme n'ayant manifesté aucune volonté de s'opposer à une mesure de reconduite en Espagne et comme ayant ainsi exercé son droit d'être entendu. En se prononçant ainsi, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation et, en tout état de cause d'erreur de qualification juridique, sans incidence étant à cet égard les simples erreurs de plume concernant la date du procès-verbal de gendarmerie, soit le 21 septembre au lieu du 29 septembre, et la mention erronée dans ce document d'un titre de séjour espagnol périmé en cours de renouvellement alors que le titre était encore valide.

5. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de qualification juridique et dénaturé les pièces du dossier en estimant que l'intéressé avait pu valablement avertir ou faire avertir son consulat, son conseil ou toute personne de son choix, qui ne sont pas d'ordre public ni nés de l'arrêt attaqué, sont nouveaux en cassation et doivent par suite être écartés comme inopérants.

6. En quatrième lieu, en jugeant que la circonstance que l'intéressé n'aurait pas été mis à même de présenter ses observations après la décision de remise et avant son exécution comme les conditions de la notification de la mesure étaient sans incidence sur la légalité de cette décision la cour n'a pas commis d'erreur de droit au regard des principes régissant l'office du juge de l'excès de pouvoir et des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En cinquième lieu, il résulte des dispositions du code de l'entrée et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment celles de son article L. 311-1, selon lequel " tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France, être muni d'une carte de séjour ", que, sous réserve de stipulations particulières d'un accord international, tout ressortissant étranger âgé de plus de dix-huit ans qui entend séjourner en France au-delà d'un délai de trois mois doit être muni d'une carte de séjour, sauf s'il est citoyen de l'Union européenne ou ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse. Cette règle s'applique aux ressortissants de pays tiers, en situation régulière dans un Etat membre de l'Union européenne, qui sont détachés en France dans le cadre d'une prestation de service, lesquels doivent ainsi, au-delà d'une période de trois mois à compter de leur entrée en France, être munis d'un titre de séjour délivré par les autorités françaises.

8. Cette obligation, qui se rattache aux conditions générales de séjour applicables à tous les étrangers sous les réserves mentionnées à l'article L. 311-1, ne constitue pas une autorisation préalable au détachement de travailleurs sur le territoire français et ne porte pas d'atteinte injustifiée à la libre prestation de services résultant de l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Par suite, les moyens tirés d'une méconnaissance des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatifs à la libre prestation de services, notamment de son article 56, doivent, en tout état de cause, être écartés.

9. En sixième lieu, en relevant que l'intéressé n'avait pas été éloigné vers l'Espagne au motif qu'il n'aurait pas été titulaire d'une autorisation de travail en France, la cour n'a pas inexactement interprété les motifs de la décision attaquée.

10. En septième lieu, il ne ressort pas des écritures devant la cour que les requérants aient entendu soulever le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'arrêt attaqué est à cet égard exempt de toute insuffisance de motivation.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que le pourvoi de M. A...et autre, y compris leurs conclusions relatives au paiement des frais de l'instance, doit être rejeté.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. A...et autre est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 407395
Date de la décision : 15/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2019, n° 407395
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:407395.20190515
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