Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance du 27 mars 2018, enregistrée le 30 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a sursis à statuer sur la demande présentée par la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon tendant à la condamnation de M. A...B...à lui payer la somme de 304 640, 28 euros avec intérêts au taux contractuel de 2,06 % l'an à compter du 9 novembre 2016 à raison de la déchéance du prêt immobilier qu'elle lui avait accordé et a saisi le Conseil d'Etat de la question de la légalité de l'arrêté du 8 octobre 2013 portant création par la direction générale des finances publiques d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Service de vérification en ligne des avis ".
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc Roussillon demande au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer que l'arrêté du 8 octobre 2013 n'est pas entaché d'illégalité ;
2°) de mettre à la charge de M. B...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul-François Schira, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon ;
Considérant ce qui suit :
1. Le deuxième alinéa de l'article 49 du code de procédure civile dispose : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle. "
2. Sur le fondement de ces dispositions, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a, par une ordonnance du 27 mars 2018, sursis à statuer sur la demande présentée par la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon tendant à ce que M. A...B...soit condamné à lui payer la somme de 306 640, 28 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts en remboursement du prêt immobilier qu'elle lui avait accordé, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la question de savoir si l'arrêté du ministre de l'économie et des finances du 8 octobre 2013 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Service de vérification en ligne des avis " est entaché d'illégalité.
3. Il résulte des articles 2 et 6 de l'arrêté du 8 octobre 2013 que le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " service de vérification de l'avis d'impôt sur le revenu " (SVAIR) a pour objet de permettre aux tiers auxquels, pour les besoins de leurs activités, un contribuable a communiqué une copie de son avis d'impôt sur le revenu ou de son justificatif d'impôt sur le revenu, de vérifier l'authenticité des données qui y figurent au moyen d'une consultation directe, effectuée sur le site impots.gouv.fr, du justificatif d'impôt sur le revenu du contribuable certifié par l'administration fiscale. Pour accéder à ce document contenu dans un autre traitement de la direction générale des finances publiques dénommé " accès au dossier fiscal des particuliers " (ADONIS), ces tiers doivent être munis, du numéro fiscal et du numéro de référence de l'avis d'imposition du contribuable, qui figurent sur la copie de l'avis d'impôt sur le revenu ou du justificatif d'impôt sur le revenu qu'il leur aura préalablement communiquée.
4. En premier lieu, le I de l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que la personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée par le responsable du traitement ou son représentant des informations mentionnées au 1° à 7° de cet article " sauf si elle l'a été au préalable ". Cette disposition n'impose pas que l'acte portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel fixe les modalités d'une telle information. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 faute de contenir une telle information ne peut qu'être écarté. Au demeurant, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier, d'une part, que le justificatif d'impôt sur le revenu produit par l'application " ADONIS " auquel le contribuable a accès fait mention de ce que " les données de ce document peuvent être vérifiées directement en ligne sur impots.gouv.fr par l'organisme à qui le justificatif a été remis " et, d'autre part, que la notice jointe à l'avis d'impôt sur le revenu fourni au contribuable fait mention de ce que " les organismes tiers pourront accéder au service de vérification en ligne qui garantit l'authenticité des informations de votre avis ou de votre justificatif d'impôt ". Il en résulte que le contribuable qui communique à un tiers son avis d'impôt sur le revenu ou son justificatif d'impôt sur le revenu préalablement fourni par l'administration fiscale aura nécessairement été informé de la faculté dont disposeront les tiers à qui il envisage de les communiquer d'en vérifier l'authenticité.
5. En deuxième lieu, les dispositions législatives protégeant le secret professionnel, telles que l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, font obstacle à ce que l'administration fiscale communique à un tiers des renseignements concernant un contribuable, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet. Il résulte de l'article 6 de l'arrêté attaqué que les destinataires du traitement " SVAIR " n'ont accès au justificatif d'impôt sur le revenu d'un contribuable, sur lequel figurent notamment sa situation de famille, son nombre de parts, son revenu brut global, son revenu imposable et son montant d'impôt, qu'à la condition que ce dernier leur ait au préalable communiqué les données dont ils cherchent l'authentification, ainsi que les numéros d'identification nécessaires à l'accès sécurisé du traitement " SVAIR ". Il en résulte que le contribuable qui communique à un tiers, pour les besoins de son activité, une copie de son avis d'impôt sur le revenu ou de son justificatif d'impôt sur le revenu doit être regardé comme ayant légalement renoncé au secret fiscal protégeant ces informations. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le secret fiscal protégé par l'article L. 103 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
6. En troisième lieu, la circonstance que le ministre chargé de l'économie et des finances aurait mis en oeuvre le traitement " SVAIR " avant que ne soit rendu l'avis de la Commission nationale informatique et libertés et donc avant que ne soit publié au Journal Officiel l'arrêté litigieux est sans incidence sur la légalité de ce dernier.
7. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que le traitement " SVAIR " vise à permettre d'authentifier les données fiscales des seules personnes physiques sans s'appliquer à celles des personnes morales ne saurait caractériser une méconnaissance du principe d'égalité devant l'impôt.
8. Toutefois, en cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus que les destinataires du traitement " SVAIR " ne sont définis, par les dispositions de l'article 6 de l'arrêté attaqué, que comme les personnes ayant besoin, dans le cadre de leurs activités, de connaître et de vérifier l'authenticité des informations contenues dans le justificatif d'impôt sur le revenu d'un contribuable. Une telle définition ne peut être regardée, eu égard à l'importance des données en cause, comme précisant suffisamment les destinataires ou catégories de destinataires habilités à en recevoir communication, comme l'exige l'article 29 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés. Dès lors que les dispositions en cause ne sont pas divisibles du reste de l'arrêté attaqué, celui-ci doit être déclaré illégal.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A...B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande à ce titre la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc Roussillon.
D E C I D E :
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Article 1er : Il est déclaré que l'arrêté du 8 octobre 2013 portant création par la direction générale des finances publiques d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Service de vérification en ligne des avis " est entaché d'illégalité.
Article 2 : Les conclusions de la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à la Caisse d'épargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon, au ministre de l'action et des comptes publics, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et au juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence.