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17/04/2019 | FRANCE | N°428358

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 17 avril 2019, 428358


Vu la procédure suivante :

M. A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) portant refus des conditions matérielles d'accueil et d'enjoindre à l'Office de procéder au rétablissement de ses conditions matérielles d'accueil avec effet rétroactif, et ce dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jours de retard.

Par

une ordonnance n° 1900921 du 7 février 2019, le juge des référés du tribun...

Vu la procédure suivante :

M. A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) portant refus des conditions matérielles d'accueil et d'enjoindre à l'Office de procéder au rétablissement de ses conditions matérielles d'accueil avec effet rétroactif, et ce dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jours de retard.

Par une ordonnance n° 1900921 du 7 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Par une requête enregistrée le 22 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au rétablissement des conditions matérielles d'accueil et ce à titre rétroactif dans les trois jours à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive (UE) n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M.B..., de la Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", de la Ligue des droits de l'Homme et de la Fédération des associations des solidarités avec tou-te-s les immigré-e-s ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 avril 2019, présentée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Sur le fondement de ces dispositions, M. B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'enjoindre sous astreinte au directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Il relève appel de l'ordonnance du 7 février 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les interventions :

3. La Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", la Ligue des droits de l'Homme et la Fédération des associations des solidarités avec tou-te-s les immigré-e-s justifient, eu égard à l'objet et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions présentées par M.B.... Leurs interventions sont, par suite, recevables.

Sur les dispositions applicables :

4. La directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale vise à harmoniser les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile en leur garantissant un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne. Aux termes, toutefois, de l'article 20 de cette directive : " 1. Les États membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsqu'un demandeur : a) abandonne le lieu de résidence fixé par l'autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l'avoir obtenue ; ou b) ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités, ne répond pas aux demandes d'information ou ne se rend pas aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile dans un délai raisonnable fixé par le droit national (...) En ce qui concerne les cas visés aux points a) et b), lorsque le demandeur est retrouvé ou se présente volontairement aux autorités compétentes, une décision dûment motivée, fondée sur les raisons de sa disparition, est prise quant au rétablissement du bénéfice de certaines ou de l'ensemble des conditions matérielles d'accueil retirées ou réduites. (...) 5. Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les États membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs (...) ".

5. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable (...). / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile (...) ". L'article L. 742-1 du même code prévoit que : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat ". L'article L. 744-1 du même code dispose que les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive du 26 juin 2013, " sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile (...). Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre (...) ". L'article L. 744-9 de ce même code prévoit que " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 744-1 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. L'Office français de l'immigration et de l'intégration ordonne son versement dans l'attente de la décision définitive lui accordant ou lui refusant une protection au titre de l'asile ou jusqu'à son transfert effectif vers un autre Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile (...) ".

6. Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : / 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile (...) ". Si les termes de cet article ont été modifiés par différentes dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, il résulte du III de l'article 71 de cette loi que ces modifications, compte tenu de leur portée et du lien qui les unit, ne sont entrées en vigueur ensemble qu'à compter du 1er janvier 2019 et ne s'appliquent qu'aux décisions initiales, prises à compter de cette date, relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil proposées et acceptées après l'enregistrement de la demande d'asile. Les décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil accordées avant le 1er janvier 2019 restent régies par les dispositions antérieures à la loi du 10 septembre 2018.

7. Il résulte des dispositions précédemment citées que les conditions matérielles d'accueil sont proposées au demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile auquel il est procédé en application de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si, par la suite, les conditions matérielles proposées et acceptées initialement peuvent être modifiées, en fonction notamment de l'évolution de la situation du demandeur ou de son comportement, la circonstance que, postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'examen de celle-ci devienne de la compétence de la France n'emporte pas l'obligation pour l'Office de réexaminer, d'office et de plein droit, les conditions matérielles d'accueil qui avaient été proposées et acceptées initialement par le demandeur. Dans le cas où les conditions matérielles d'accueil ont été suspendues sur le fondement de l'article L. 744-8, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015, le demandeur peut, notamment dans l'hypothèse où la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile, en demander le rétablissement. Il appartient alors à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, pour statuer sur une telle demande de rétablissement, d'apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acceptation initiale des conditions matérielles d'accueil.

Sur l'office du juge des référés :

8. D'une part, les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative confèrent au juge administratif des référés le pouvoir d'ordonner toute mesure dans le but de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public. Il résulte tant des termes de cet article que du but dans lequel la procédure qu'il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l'illégalité relevée à l'encontre de l'autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l'exercice de la liberté fondamentale en cause.

9. D'autre part, si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et de la situation du demandeur. Ainsi, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation familiale de la personne intéressée.

Sur la demande en référé :

10. Il résulte de l'instruction que M.B..., ressortissant guinéen, a demandé l'asile en France le 10 février 2017 auprès des services de la préfecture du Nord et a accepté le même jour les conditions matérielles d'accueil proposées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Sa demande d'asile a été enregistrée et la procédure en vue de son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande, a été engagée. M. B...ayant été déclaré en fuite, l'OFII a, par une décision du 14 février 2018, suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil sur le fondement des dispositions de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A l'expiration du délai de transfert, prolongé à dix-huit mois, la France étant devenue responsable de l'examen de la demande d'asile, le préfet du Nord a délivré le 21 décembre 2018 à l'intéressé une attestation mentionnant ce changement de procédure. Estimant pouvoir prétendre au bénéfice des conditions matérielles d'accueil, M. B...a demandé à l'OFII le 24 janvier 2019 le rétablissement de l'allocation pour demandeur d'asile. Sa demande a été implicitement rejetée.

11. Il n'est pas sérieusement contesté que l'intéressé, célibataire, âgé de 25 ans et qui ne fait pas état d'une vulnérabilité particulière, a été en situation de fuite entre octobre 2017 et décembre 2018 et n'a demandé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil qu'en janvier 2019. Dans les circonstances de l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que le refus de rétablir les conditions matérielles d'accueil à l'intéressé porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile à laquelle il appartiendrait au juge des référés, statuant sur le fondement de ces dispositions, de mettre fin.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille. Il s'ensuit que ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de la Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", de la Ligue des droits de l'Homme et de la Fédération des associations des solidarités avec tou-te-s les immigré-e-s sont admises.

Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M.A... C...B..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, à la Cimade et à l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", premiers désignés de chaque intervention. Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 428358
Date de la décision : 17/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2019, n° 428358
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Stéphanie Vera
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:428358.20190417
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