Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2017 et 11 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Greenpeace France, Réseau " Sortir du nucléaire ", Notre affaire à tous, France nature environnement, Observatoire du nucléaire, Comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN), Stop EPR ni à Penly ni ailleurs et Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 modifié autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger le décret du 10 avril 2007 dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de l'association Greenpeace France et autres et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France (EDF).
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que l'installation nucléaire de base dénommée " Flamanville 3 ", comportant un réacteur nucléaire de type à eau pressurisée, a été autorisée par un décret du 10 avril 2007, au profit de la société Electricité de France (EDF). L'association Greenpeace France et autres demandent l'annulation du refus implicite opposé par le Premier ministre à leur demande tendant à l'abrogation de cette autorisation.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ". Aux termes de l'article L. 242-2 du même code : " (...) l'administration peut, sans condition de délai : / 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 593-1 du code de l'environnement : " Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement (...) ". L'article L. 593-7 du même code prévoit que : " I. - La création d'une installation nucléaire de base est soumise à une autorisation. / Cette autorisation ne peut être délivrée que si, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, l'exploitant démontre que les dispositions techniques ou d'organisation prises ou envisagées aux stades de la conception, de la construction et de l'exploitation ainsi que les principes généraux proposés pour le démantèlement ou, pour les installations de stockage de déchets radioactifs, pour leur entretien et leur surveillance après leur fermeture sont de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante les risques ou inconvénients que l'installation présente pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. / II. Le demandeur fournit un dossier comportant notamment une version préliminaire du rapport de sûreté, qui précise les risques auxquels l'installation projetée peut exposer les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, ainsi que l'analyse des mesures prises pour prévenir ces risques et la description des mesures propres à limiter la probabilité des accidents et leurs effets. / III. - L'autorisation prend en compte les capacités techniques et financières de l'exploitant qui doivent lui permettre de conduire son projet dans le respect de ces intérêts, en particulier pour couvrir les dépenses de démantèlement de l'installation et de remise en état, de surveillance et d'entretien de son lieu d'implantation (...). " Aux termes de son article L. 593-8 du même code : " (...) L'autorisation détermine les caractéristiques et le périmètre de l'installation et fixe le délai dans lequel celle-ci doit être mise en service. / Les éléments essentiels que requiert la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 sont fixés par l'autorisation et, éventuellement, par les modifications ultérieures de celle-ci fixant des dispositions ou obligations complémentaires. ". Aux termes de l'article L. 593-23 du même code : " Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire peut ordonner la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement d'une installation nucléaire de base qui présente, pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, des risques graves que les mesures prévues par le présent chapitre et le chapitre VI ne sont pas de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante. " Enfin, l'article L. 596-6 de ce code prévoit que les litiges relatifs aux décisions administratives prises en application des dispositions précitées sont soumis à un contentieux de pleine juridiction.
4. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées qu'il incombe à l'autorité administrative investie du pouvoir de police des installations nucléaires de base de vérifier si les conditions légales permettant le fonctionnement de l'installation sont toujours remplies. Si elles ne le sont plus, il lui incombe alors de modifier l'autorisation de l'installation nucléaire de base en cause pour fixer les dispositions ou obligations complémentaires que requiert la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 et, lorsque ces modifications ne sont pas de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante les risques graves qu'elle présente pour ces même intérêts, d'abroger l'autorisation.
5. Il résulte de l'instruction que, si diverses anomalies techniques, tenant notamment à la construction du radier et à la fabrication du " liner " de l'enceinte de confinement, ont été relevées par l'Autorité de sûreté nucléaire au cours de la construction du réacteur " Flamanville 3 ", elles ont été corrigées par l'exploitant de manière jugée satisfaisante par cette autorité. De même, il ne résulte pas de l'instruction que les anomalies décelées dans la composition de l'acier utilisé dans certaines parties de la cuve de ce réacteur interdiraient toute mise en service future de l'installation dans des conditions de sécurité satisfaisantes, ainsi que cela ressort notamment de l'avis rendu par l'Autorité de sûreté nucléaire le 10 octobre 2017 concluant à l'absence de remise en cause de la future mise en service et utilisation de l'installation du seul fait de ces anomalies sous réserve que, le moment venu, lors de l'autorisation de mise en service, des conditions appropriées de contrôle et d'utilisation de l'installation soient précisées. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la situation financière d'EDF, dont l'endettement financier net était évalué à 33 milliards d'euros au 31 décembre 2017, caractériserait une incapacité de l'exploitant à mener à bien son projet, y compris en ce qui concerne la prise en charge des futures dépenses de démantèlement de l'installation.
6. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la société EDF ne disposerait plus des capacités techniques et financières nécessaires pour conduire le projet de création de l'installation de Flamanville 3 dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement et que les conditions mises au maintien de l'autorisation de création de cette installation ne seraient plus remplies.
7. En second lieu, il résulte en tout état de cause de l'instruction qu'en décembre 2005, l'Autorité de sûreté nucléaire a eu connaissance des anomalies constatées dans la fabrication d'équipements sous pression nucléaires par l'usine Creusot Forge, reprise par la société Areva NP l'année suivante, et que des échanges entre EDF, Areva et l'Autorité ont eu lieu à ce sujet, notamment au cours de l'année 2006. Ainsi, ces éléments n'ont pas été dissimulés à l'autorité administrative investie du pouvoir de police des installations nucléaires de base, contrairement à ce qui est soutenu par les associations requérantes. La circonstance qu'ils n'auraient pas figuré au dossier de l'enquête publique effectuée en 2006 préalablement à l'autorisation litigieuse n'est pas, à elle seule, de nature à caractériser une fraude dans l'obtention de cette autorisation.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que les associations Greenpeace France et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du décret du 10 avril 2007 autorisant la création du réacteur nucléaire " Flamanville 3 ". Leur requête doit donc être rejetée, y compris leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacune des associations requérantes la somme de 400 euros à verser à la société Electricité de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Greenpeace France et autres est rejetée.
Article 2 : Les associations requérantes verseront chacune à la société Electricité de France une somme de 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Greenpeace France, représentante désignée, pour l'ensemble des requérantes, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la société Electricité de France.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à l'Autorité de sûreté nucléaire.