Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 416500, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 décembre 2017 et les 10 janvier et 3 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Expanscience demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 9 octobre 2017 portant radiation de la spécialité Hyalgan de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de sécurité sociale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 416519, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 décembre 2017 et les 10 janvier et 3 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Expanscience demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 9 octobre 2017 portant radiation de la spécialité Hyalgan de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
le code de santé publique ;
le code de sécurité sociale ;
le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Laboratoires Expanscience ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, en vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par un arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. Il résulte des dispositions de l'article R. 163-3 et du I de l'article R. 163-7 du même code que ces médicaments sont radiés de cette liste lorsque leur service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles. D'autre part, en vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par un arrêté des mêmes ministres. L'article L. 162-17-2 du code de la sécurité sociale prévoit que l'inscription d'un médicament sur la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 vaut inscription sur cette liste en cas de demandes d'inscription simultanées sur les deux listes. Si, à l'inverse, aucune disposition n'impose la radiation d'une spécialité de cette liste en conséquence de sa radiation de la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux, le motif tiré de l'insuffisance du service médical rendu est également de nature à justifier l'abrogation d'une inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques.
2. Par deux arrêtés du 9 octobre 2017, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont, sur le fondement de ces dispositions, et après avoir mis en oeuvre la procédure contradictoire prévue par l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale, radié des listes mentionnées respectivement à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique la spécialité Hyalgan 20mg/2ml (hyaluronate de sodium), solution injectable pour voie intra-articulaire en seringue pré-remplie, exploitée par la société Laboratoires Expanscience, au motif que cette spécialité présentait un service médical rendu insuffisant. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la société demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés.
Sur l'intervention de la société TRB Chemedica :
3. La société TRB Chemedica, qui fabrique et exploite le produit Ostenil, solution d'acide hyaluronique pour injection intra-articulaire ayant le statut de dispositif médical, justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué sous le n° 416500. Ainsi, son intervention en défense dans cette affaire est recevable.
Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :
4. L'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, l'administration ne peut valablement se fonder sur l'avis émis par un tel organisme mais doit le consulter de nouveau si les circonstances de fait et de droit au regard desquelles elle prend sa décision se sont modifiées depuis cet avis ou si cette décision soulève une question nouvelle sur laquelle l'organisme n'a pas été mis à même de se prononcer.
5. D'une part, en vertu de l'article R. 163-4 du code de la sécurité sociale, l'inscription et le renouvellement de l'inscription des médicaments sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 sont prononcés après avis de la commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article R. 163-15 du même code, dite commission de la transparence. En vertu de l'article R. 163-7 du même code, les médicaments qui ne peuvent plus figurer sur cette liste en vertu notamment de l'article R. 163-3, qui fait obstacle à l'inscription des médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles, peuvent en être radiés après avis de cette commission. D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du code de la santé publique et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l'inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques, comme la radiation de cette liste, est prononcée après avis de cette même commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Dans tous les cas, en vertu du I de l'article R. 163-3 et de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, l'avis de la commission de la transparence comporte l'appréciation du bien-fondé de l'inscription du médicament sur ces listes au regard du service médical rendu qu'il apporte, indication par indication.
6. Il ressort des pièces des dossiers que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont décidé de radier la spécialité Hyalgan des listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique en raison du caractère insuffisant de son service médical rendu, en se fondant sur l'avis rendu par la commission de la transparence le 19 novembre 2014, qui jugeait faible le service médical rendu par la spécialité, dans le cadre du renouvellement de son inscription sur la liste des médicaments remboursables, qui arrivait à son terme le 11 janvier 2015.
7. En premier lieu, la circonstance que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale s'étaient implicitement prononcés, à la suite de l'avis de la commission de la transparence du 19 novembre 2014, sur le caractère suffisant du service médical rendu de la spécialité pour justifier le renouvellement de son inscription sur la liste des médicaments remboursables, accordé tacitement en l'absence de décision notifiée à l'entreprise, en vertu de l'article R. 163-10 du code de la sécurité sociale, ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que les ministres prennent une nouvelle décision au vu du même avis. En deuxième lieu, l'appréciation du service médical rendu par un médicament repose sur les mêmes critères, énumérés à l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, qu'il y soit procédé en vue de son éventuelle radiation des listes mentionnées ci-dessus ou en vue d'un renouvellement d'inscription et les dispositions de l'article R. 163-16 du code, qui prévoient la communication de l'avis de la commission de la transparence à l'entreprise qui exploite le médicament et lui ouvrent la possibilité de demander à être entendue ou à présenter des observations écrites, s'appliquent de la même façon, que l'avis soit rendu par la commission à la demande des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé en vue d'une radiation ou à la demande de l'entreprise en vue d'un renouvellement d'inscription. Ainsi, les décisions attaquées ne soulevaient pas de question différente de celles sur lesquelles la commission de la transparence s'était prononcée, dans le cadre d'une procédure consultative entourée des mêmes garanties. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que la commission aurait dû prendre en considération, postérieurement à l'évaluation de novembre 2014, des données nouvelles, que la société requérante n'a d'ailleurs pu mettre en évidence lors de la préparation de son audition par la commission de la transparence prévue le 11 octobre 2017 et à laquelle elle finalement renoncé pour ce motif par un courrier du 4 octobre 2017. Ainsi, en l'absence de modification des circonstances de fait et de droit au regard desquelles les arrêtés ont été pris, le délai qui s'est écoulé entre l'avis de la commission de la transparence du 19 novembre 2014 et les arrêtés du 9 octobre 2017, inférieur au délai de cinq ans au terme duquel l'inscription sur la liste des médicaments remboursables doit en principe être réexaminée, n'imposait pas que la commission soit de nouveau saisie pour avis.
8. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres auraient dû procéder à une nouvelle consultation de la commission de la transparence avant d'adopter les arrêtés litigieux et que ceux-ci auraient été pris au terme d'une procédure irrégulière.
Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :
9. Aux termes du I de l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale : " Après avis de la commission mentionnée à l'article R. 163-15, peuvent être radiés de la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé : / (...) / 3° Les médicaments qui ne peuvent plus figurer sur cette liste en vertu des dispositions prévues à l'article R. 163-3 (...) ". Il résulte des dispositions du I de l'article R. 163-3 du même code que l'appréciation du service médical rendu par un médicament " prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique ".
10. En premier lieu, d'une part, la circonstance que l'inscription d'une spécialité sur la liste des médicaments mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale est, en principe, prononcée pour une durée de cinq ans, en vertu de l'article R. 163-2 du même code, ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre, à tout moment, de la procédure de radiation d'un médicament inscrit sur cette liste, prévue par l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale, notamment si son service médical rendu apparaît insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles. D'autre part, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ne sont pas liés, dans l'appréciation qu'ils portent sur le service médical rendu par une spécialité, par les positions prises par la commission de la transparence au terme de son évaluation. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres auraient méconnu l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale en portant sur le service médical rendu de la spécialité Hyalgan une appréciation différente de celle qu'a portée la commission de la transparence et qu'eux-mêmes ont portée à l'occasion de l'examen de la demande de renouvellement de son inscription sur la liste des médicaments remboursables.
11. En deuxième lieu, d'une part, en prenant en considération l'absence de preuve de la supériorité de Hyalgan par rapport au placebo ou par rapport aux dispositifs médicaux poursuivant la même visée thérapeutique, ainsi que l'existence d'alternatives thérapeutiques aux injections de solutions d'acide hyaluronique dans le traitement de la gonarthrose, telles que les règles hygiéno-diététiques et non pharmacologiques, et l'absence de diminution du recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens associée à ces injections, les ministres ont tenu compte d'éléments relatifs à l'efficacité de Hyalgan, à sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles et à son intérêt pour la santé publique, conformément aux prévisions de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale. D'autre part, si les ministres, dans les motifs des arrêtés attaqués, mentionnent les critères qu'ils ont estimé les plus déterminants, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'ils auraient apprécié le service médical rendu de la spécialité au regard de ces seuls critères et non de l'ensemble des critères prévus par l'article R. 163-3. Enfin, si les solutions viscoélastiques d'acide hyaluronique ayant le statut de dispositif médical et dotées des mêmes indications thérapeutiques relèvent d'un régime différent, elles constituent toutefois des comparateurs pertinents que les ministres pouvaient prendre en considération à ce titre. Par suite, la société requérante n'est pas fondé à soutenir que les ministres se seraient écartés des critères prévus à l'article R. 163-3 précité et auraient ainsi commis une erreur de droit.
12. En dernier lieu, il ressort des pièces des dossiers que la spécialité Hyalgan était précédemment admise au remboursement pour le traitement des patients atteints de gonarthrose, après échec des antalgiques et échec des anti-inflammatoires non stéroïdiens ou intolérance. Eu égard au caractère d'affection de gravité moyenne de l'arthrose du genou, au fait que la spécialité constitue un traitement symptomatique, dont l'effet sur la douleur et sur la gêne fonctionnelle a été regardé par la commission de la transparence comme, au mieux, faible, compte tenu du faible niveau de preuve, sur la base des standards les plus récents, des études cliniques disponibles et au fait que, si la spécialité est indiquée dans le traitement des patients pour lesquels les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne sont pas appropriés, il existe des alternatives thérapeutiques autres que médicamenteuses, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les ministres, qui ne se sont pas fondés sur des faits inexacts, auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que le service médical rendu par la spécialité était insuffisant et en la radiant pour ce motif, qui suffisait à justifier les mesures prises, des listes mentionnées aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Laboratoires Expanscience n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés qu'elle attaque.
14. Dès lors, les conclusions de la société requérante présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société TRB Chemedica dans l'affaire n° 416500 est admise.
Article 2 : Les requêtes de la société Laboratoires Expanscience sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Laboratoires Expanscience, à la société TRB Chemedica et à la ministre des solidarités et de la santé.