Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 janvier et 8 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement n°s 1701658, 1701662, 1701669 et 1703061 du tribunal administratif de Grenoble du 25 juillet 2018 statuant sur ses demandes relatives à des indus, notamment de revenu de solidarité active et d'aide personnalisée au logement, mis à sa charge, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des article L. 114-19, L. 114-20 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 2 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- les articles L. 114-19, L. 114-20 et L.114-21 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de MmeB....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu'à la suite de déclarations divergentes sur sa situation de famille dans ses demandes de revenu de solidarité active et d'aides au logement, Mme A...B...a fait l'objet d'un contrôle de sa situation mené par la caisse d'allocations familiales de l'Isère qui, le 7 novembre 2016, a mis en oeuvre auprès des organismes bancaires de son époux, M.B..., le droit de communication prévu aux articles L. 114-19 et suivants du code de la sécurité sociale. Le 21 novembre 2016, Mme B...s'est vu notifier par cette caisse un indu de prestations sociales à compter de février 2015 au motif qu'elle avait inexactement déclaré être séparée de son mari. Le président du conseil départemental de l'Isère a, sur recours de l'intéressée, confirmé la récupération de l'indu de revenu de solidarité active le 19 décembre 2016 et la caisse d'allocations familiales a rejeté le 31 mars 2017 le recours gracieux de Mme B...portant sur l'indu d'aide personnalisée au logement. Selon les mentions du rapport d'enquête rédigé le 21 avril 2017, l'intéressée a été informée oralement, lors de l'entretien mené à l'occasion du contrôle à son domicile le 8 mars 2017, de la faculté pour la caisse d'allocations familiales de mettre en oeuvre dans le cadre de ce contrôle le droit de communication prévu par les articles L. 114-19 et suivants du code de la sécurité sociale et de son droit à avoir communication des documents obtenus de tiers si le contrôle aboutissait à un recouvrement ou à la suppression de la prestation. Par un jugement du 25 juillet 2018 contre lequel Mme B...se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Grenoble a, notamment, rejeté les conclusions de Mme B...contre les décisions du 19 décembre 2016 et du 31 mars 2017 et contre la décision implicite rejetant le recours par lequel elle contestait les retenues opérées sur les prestations versées par la caisse d'allocations familiales de l'Isère.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. L'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale prévoit que le droit de communication permet à certains agents des organismes de sécurité sociale d'obtenir, auprès de personnes publiques et privées que l'article L. 114-20 du même code désigne par renvoi au livre des procédures fiscales, sans que le secret professionnel ne s'y oppose, les documents et informations nécessaires à l'exercice des missions de contrôle ou de recouvrement de prestations indûment versées qu'il définit. L'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale dispose que l'organisme ayant usé de ce droit est tenu d'informer la personne à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision et qu'il communique, avant la mise en recouvrement ou la suppression du service de la prestation, une copie de ces documents à la personne qui en fait la demande.
4. Les articles L. 114-19, L. 114-20 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale, dont le tribunal administratif de Grenoble a fait application pour écarter le moyen tiré par Mme B... de la méconnaissance du dernier de ces articles, sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect de la vie privée, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 114-19, L. 114-20 et L.114-21 du code de la sécurité sociale est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de Mme B...jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B..., à la ministre des solidarités et de la santé et au département de l'Isère.
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la caisse d'allocations familiales de l'Isère.