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20/02/2019 | FRANCE | N°413625

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 20 février 2019, 413625


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 5 septembre 2016 par laquelle le préfet du Loiret a rejeté sa demande d'échange de son permis de conduire koweitien contre un permis de conduire français et d'enjoindre au préfet du Loiret de procéder à cet échange dans un délai de trente jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1604158 du 9 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique

, enregistrés les 22 août 2017, 20 novembre 2017 et 5 juin 2018 au secrétariat...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 5 septembre 2016 par laquelle le préfet du Loiret a rejeté sa demande d'échange de son permis de conduire koweitien contre un permis de conduire français et d'enjoindre au préfet du Loiret de procéder à cet échange dans un délai de trente jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1604158 du 9 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 août 2017, 20 novembre 2017 et 5 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- le code de la route ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M.A..., ressortissant koweitien auquel la qualité de réfugié a été reconnue, a sollicité du préfet du Loiret l'échange de son permis de conduire koweitien contre un permis français. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, le service spécialisé dans la fraude documentaire a indiqué que le permis présenté ne correspondait pas à un modèle de permis koweitien figurant dans sa base documentaire, que seule une vérification auprès des autorités du pays de délivrance permettrait de vérifier son authenticité mais que le fait qu'il était entièrement imprimé au jet d'encre rendait probable une contrefaçon. Au vu de cet avis, le préfet a, par une décision du 5 septembre 2016, refusé l'échange au motif que les services compétents n'étaient pas en mesure de confirmer l'authenticité du titre et qu'en raison du statut de réfugié du demandeur, l'administration ne pouvait s'assurer des droits de conduite de l'intéressé auprès des autorités de son pays. M. A... se pourvoit en cassation contre le jugement du 9 mars 2017 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté son recours pour excès de pouvoir contre cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : " Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article R. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères ". Aux termes des cinq premiers alinéas de l'article 7 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'authenticité et la validité du titre sont établies lors du dépôt du dossier complet et sous réserve de satisfaire aux autres conditions prévues par le présent arrêté, le titre de conduite est échangé. / En cas de doute sur l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet conserve le titre de conduite et fait procéder à son analyse, le cas échéant avec l'aide d'un service compétent, afin de s'assurer de son authenticité. (...) / Si l'authenticité est confirmée, le titre de conduite peut être échangé sous réserve de satisfaire aux autres conditions. Si le caractère frauduleux est confirmé, l'échange n'a pas lieu et le titre est retiré par le préfet, qui saisit le procureur de la République en le lui transmettant. / Le préfet peut compléter son analyse en consultant l'autorité étrangère ayant délivré le titre afin de s'assurer des droits de conduite de son titulaire (...) ". Au regard de ces dispositions, il appartient au préfet de refuser l'échange si l'authenticité du titre présenté n'est pas suffisamment établie. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange pour défaut d'authenticité du titre, apporter la preuve de son authenticité par tout moyen présentant des garanties suffisantes.

3. D'autre part, l'article 25 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés stipule que : " 1. Lorsque l'exercice d'un droit par un réfugié nécessiterait normalement le concours d'autorités étrangères auxquelles il ne peut recourir, les Etats contractants sur le territoire desquels il réside veilleront à ce que ce concours lui soit fourni, soit par leurs propres autorités, soit par une autorité internationale. / 2. La ou les autorités visées au paragraphe 1er délivreront ou feront délivrer sous leur contrôle, aux réfugiés, les documents ou les certificats qui normalement seraient délivrés à un étranger par ses autorités nationales ou par leur intermédiaire. / 3. Les documents ou certificats ainsi délivrés remplaceront les actes officiels délivrés à des étrangers par leurs autorités nationales ou par leur intermédiaire, et feront foi jusqu'à preuve du contraire (...) ".

4. Il résulte de ces stipulations, combinées avec les dispositions citées au point 2, que, lorsqu'un réfugié demande l'échange d'un permis de conduire délivré par les autorités du pays dont il a la nationalité contre un permis français et que les services compétents, sans être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une contrefaçon, mettent en doute son authenticité, le préfet doit, eu égard à l'impossibilité de vérifier l'existence des droits de conduite auprès des autorités qui ont délivré le titre, adapter ses diligences à la situation du demandeur. A cette fin, il lui appartient, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. Il ne peut légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le préfet du Loiret avait pu légalement se fonder sur la circonstance que le permis de M. A...ne pouvait être authentifié pour rejeter sa demande d'échange, sans rechercher s'il avait invité le demandeur à fournir des éléments permettant de tenir pour suffisamment établi qu'il était bien titulaire du titre dont il se prévalait, le tribunal administratif d'Orléans a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'annulation de son jugement.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il ne résulte pas des pièces du dossier qu'avant de refuser la demande d'échange présentée par M.A..., au motif que l'analyse de son permis ne permettait pas de conclure à son authenticité et qu'il était impossible à l'administration de s'assurer de ses droits de conduite auprès des autorités koweitiennes, le préfet du Loiret ait invité l'intéressé à produire tous éléments permettant de tenir pour suffisamment établi qu'il était bien titulaire du titre dont il se prévalait. Il y a lieu, par suite, d'annuler sa décision, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.

8. L'exécution de la présente décision n'implique pas que l'administration procède à l'échange du permis de M. A...mais seulement qu'elle réexamine la demande de ce dernier selon les modalités ci-dessus définies. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Loiret, par application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de mettre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, M. A...à même de produire tous éléments permettant de tenir pour suffisamment établie l'authenticité du titre dont il se prévaut, afin de procéder au réexamen de sa demande, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros que demande M. A...au titre des frais qu'il a exposés pour se pourvoir en cassation. Devant le tribunal administratif, M. A...avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat, la SCP Madrid-Cabezo Madrid-Foussereau Madrid peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que la SCP Madrid-Cabezo Madrid-Foussereau Madrid renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à cette SCP.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 9 mars 2017 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 2 : La décision du 5 septembre 2016 du préfet du Loiret est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Loiret de mettre dans un délai de deux mois à compter de la présente décision M. A...à même de produire tous éléments permettant de tenir pour suffisamment établie l'authenticité du titre dont il se prévaut, afin de procéder au réexamen de sa demande.

Article 4 : L'Etat versera à M. A...la somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il versera à la SCP Madrid-Cabezo Madrid-Foussereau Madrid, avocat de M. A...devant le tribunal administratif d'Orléans, la somme de 1 200 euros en application de ces dispositions et de celles du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au préfet du Loiret et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 413625
Date de la décision : 20/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - TRAITÉS ET DROIT DÉRIVÉ - CONVENTION DE GENÈVE DU 28 JUILLET 1951 RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS - RECONNAISSANCE DE LA QUALITÉ DE RÉFUGIÉ - CONSÉQUENCE - ECHANGE D'UN PERMIS DE CONDUIRE ÉTRANGER CONTRE UN PERMIS DE CONDUIRE FRANÇAIS - ADAPTATION DES DILIGENCES DU PRÉFET À LA SITUATION DU DEMANDEUR EN CAS DE DOUTES SUR L'AUTHENTICITÉ DU PERMIS ÉTRANGER [RJ1].

01-04-01 Echange d'un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français demandé par un réfugié. Eu égard tant aux stipulations de l'article 25 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés qu'à l'impossibilité de vérifier l'existence des droits de conduite auprès des autorités qui ont délivré le titre, le préfet doit, lorsque les services compétents, sans être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une contrefaçon, mettent en doute l'authenticité du permis étranger, adapter ses diligences à la situation du demandeur. A cette fin, il lui appartient, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. Il ne peut légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments.

- ECHANGE DE PERMIS DE CONDUIRE - ADAPTATION DES DILIGENCES DU PRÉFET À LA SITUATION DU DEMANDEUR EN CAS DE DOUTES SUR L'AUTHENTICITÉ DU PERMIS ÉTRANGER [RJ1].

095-05 Echange d'un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français demandé par un réfugié. Eu égard tant aux stipulations de l'article 25 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés qu'à l'impossibilité de vérifier l'existence des droits de conduite auprès des autorités qui ont délivré le titre, le préfet doit, lorsque les services compétents, sans être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une contrefaçon, mettent en doute l'authenticité du permis étranger, adapter ses diligences à la situation du demandeur. A cette fin, il lui appartient, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. Il ne peut légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments.

POLICE - POLICE GÉNÉRALE - CIRCULATION ET STATIONNEMENT - PERMIS DE CONDUIRE - DÉLIVRANCE - ECHANGE D'UN PERMIS DE CONDUIRE ÉTRANGER CONTRE UN PERMIS FRANÇAIS - ETRANGER S'ÉTANT VU RECONNAÎTRE LA QUALITÉ DE RÉFUGIÉ - CONSÉQUENCE - ADAPTATION DES DILIGENCES DU PRÉFET À LA SITUATION DU DEMANDEUR EN CAS DE DOUTES SUR L'AUTHENTICITÉ DU PERMIS ÉTRANGER [RJ1].

49-04-01-04-01 Echange d'un permis de conduire étranger contre un permis de conduire français demandé par un réfugié. Eu égard tant aux stipulations de l'article 25 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés qu'à l'impossibilité de vérifier l'existence des droits de conduite auprès des autorités qui ont délivré le titre, le préfet doit, lorsque les services compétents, sans être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une contrefaçon, mettent en doute l'authenticité du permis étranger, adapter ses diligences à la situation du demandeur. A cette fin, il lui appartient, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. Il ne peut légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments.


Références :

[RJ1]

Cf., en précisant, CE, 14 septembre 2007, Ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer c/,, n° 291762, T. p. 981.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 fév. 2019, n° 413625
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:413625.20190220
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