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28/12/2018 | FRANCE | N°418897

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 28 décembre 2018, 418897


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 418897, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 9 mars, 3 mai, 17 septembre et 9 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 novembre 2017 accordant son extradition aux autorités russes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 421416, par u

ne requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 418897, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 9 mars, 3 mai, 17 septembre et 9 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 21 novembre 2017 accordant son extradition aux autorités russes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 421416, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 12 juin, 13 juillet, 17 septembre et 9 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le Premier ministre et par la garde des sceaux, ministre de la justice, sur ses recours gracieux formés contre le décret du 21 novembre 2017 accordant son extradition aux autorités russes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B...;

1. Considérant que, par décret du 21 novembre 2017, le Premier ministre a accordé aux autorités russes l'extradition de M. A...B..., ressortissant russe, sur le fondement d'une ordonnance de détention provisoire du 6 juillet 2011 et d'un arrêt de poursuite du 19 septembre 2012, pour des faits qualifiés " d'escroquerie, de blanchiment de biens acquis par une personne par la commission d'une infraction et de détournement de biens d'autrui par une personne abusant de son autorité, en groupe organisé et sur une vaste échelle " ; que les requêtes de M. B...tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et du refus implicite de le retirer ; qu'il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que le décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par la garde des sceaux, ministre de la justice ; que l'ampliation notifiée à l'intéressé n'avait pas à être revêtue de ces signatures ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'il satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, l'Etat doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique ; que, selon le paragraphe 2 de l'article 3 de la convention européenne d'extradition, l'extradition n'est pas accordée " si la partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons " ;

5. Considérant que le décret attaqué accorde l'extradition de M. B...aux autorités russes pour des faits d'escroquerie, de blanchiment et de détournements de fonds qui ne présentent pas le caractère d'infractions de nature politique ; qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités russes dans un but autre que la répression, par les juridictions russes, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé ; que M. B...n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que son extradition aurait été demandée dans un but politique ; que les moyens tirés de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République, de l'article 3 de la convention européenne d'extradition et, en tout état de cause, du 2° de l'article 696-4 du code de procédure pénale ne peuvent, ainsi, qu'être écartés ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d'extradition : " L'extradition ne sera pas accordée lorsque la personne réclamée serait jugée dans l'Etat requérant par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense (...) " ;

7. Considérant que si M. B...soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, les conditions dans lesquelles il viendrait à être jugé en Russie ne pourraient que méconnaître le droit de bénéficier des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense mentionnées au 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale et contreviendraient aux stipulations du premier alinéa de l'article 1er des réserves et déclarations émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d'extradition, ses allégations se fondent sur des éléments de portée générale ou se rapportant principalement à des procédures distinctes de celle qui le concerne, sans que soient apportés des éléments circonstanciés de nature à établir qu'il risquerait d'être personnellement privé du droit à un procès équitable, la rétractation d'une personne qui aurait été contrainte de témoigner à charge contre lui ne pouvant, à elle seule, établir ce risque ; qu'il ressort des pièces du dossier que les autorités russes se sont engagées, dans le cadre de la présente procédure d'extradition, à ce que M. B...bénéficie d'un procès équitable, incluant notamment l'assistance d'un avocat ;

8. Considérant, en cinquième lieu, qu'en vertu du second alinéa des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d'extradition, l'extradition peut être refusée si la remise est susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée ;

9. Considérant, d'une part, que, si M. B...soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants, il ressort des pièces du dossier que le vice-procureur général de la Fédération de Russie s'est engagé à trois reprises, les 22 juillet 2013, 22 avril 2014 et 19 octobre 2018, à ce que M. B...soit incarcéré, lors de sa détention provisoire, et, le cas échéant, en cas de condamnation à une peine de prison, dans un établissement pénitentiaire de régime ordinaire respectant les prescriptions découlant de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des règles pénitentiaires européennes concernant le traitement des détenus, à ce qu'il ne soit pas soumis à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou à un travail non consenti, à ce qu'il bénéficie d'une assistance médicale appropriée, enfin, à ce que les agents diplomatiques français puissent rendre visite à M. B...sur son lieu de détention pour s'assurer du respect des garanties qui ont assorti la demande d'extradition et ont été apportées ultérieurement ; que ces garanties s'appliquent aussi aux conditions de transfèrement ; que la circonstance, alléguée par M.B..., qu'auraient été commis par le passé dans l'établissement pénitentiaire indiqué par les autorités russes comme étant celui où il serait détenu des actes constitutifs de traitements inhumains ou dégradants n'est pas de nature à établir que les garanties spécialement apportées par les autorités russes dans le cadre de la présente procédure d'extradition ne seraient pas respectées ; que le décret attaqué, prenant acte des garanties ainsi apportées par les autorités russes, a précisé que l'extradition n'était accordée que sous réserve de conditions tenant à ce que, en cas d'emprisonnement, M. B...ne pourra être soumis à un travail non consenti, qu'il devra purger sa peine dans une colonie correctionnelle ordinaire et que les agents de l'ambassade de France auront toute liberté de visiter l'intéressé et de contrôler le respect de ces garanties ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué ne serait pas assorti de garanties suffisantes au regard des exigences résultant des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du second alinéa de l'article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d'extradition et des principes généraux du droit de l'extradition ;

10. Considérant, d'autre part, que si M. B...fait valoir que son extradition l'exposerait à ne pas disposer des soins qui lui sont nécessaires, il ne ressort pas des pièces du dossier que les affections qu'il indique ne pourraient être prises en charge en cas de détention en Russie ; que les autorités russes, ainsi qu'il a été dit, se sont engagées à ce qu'il puisse bénéficier d'une assistance médicale appropriée ; qu'aucun élément versé au dossier n'est, sur ce point comme précédemment sur les autres points, de nature à établir que les garanties spécialement apportées par les autorités russes dans le cadre de la présente procédure d'extradition ne seraient pas respectées ;

11. Considérant, en sixième lieu, que le principe de spécialité de l'extradition résultant de l'article 14 de la convention européenne d'extradition s'oppose à ce qu'une personne extradée soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue d'exécuter une peine, pour une infraction autre que celle ayant motivé l'extradition et antérieure à sa remise à l'Etat requérant ; qu'aucun élément du dossier n'est de nature à laisser penser que les autorités russes n'entendraient pas respecter l'engagement résultant pour elles de l'article 14 de la convention européenne d'extradition, que la Russie a signée et ratifiée ;

12. Considérant, en septième lieu, qu'il résulte de l'article 18 de la convention européenne d'extradition que l'Etat requis informe l'Etat requérant de la durée de la détention subie dans l'Etat requis en vue de l'extradition, ce qui implique la prise en compte de cette durée ; que, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la loi russe prévoit l'imputation de la durée de la détention provisoire sur la durée de la peine prononcée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret serait illégal faute de prévoir l'imputation de la durée du placement sous écrou extraditionnel ou de la détention provisoire ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

13. Considérant, en huitième lieu, que, si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits ; que la circonstance que les membres de la famille du requérant ne pourraient lui rendre visite sur son lieu de détention en Russie n'est pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 novembre 2017 accordant son extradition aux autorités russes et du refus implicite de rapporter ce décret ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de M. B...sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 418897
Date de la décision : 28/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2018, n° 418897
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:418897.20181228
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