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28/12/2018 | FRANCE | N°415927

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 28 décembre 2018, 415927


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415927, par une requête, enregistrée le 23 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande, reçue le 22 septembre 2017, tendant à la publication du décret d'application prévu par les dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail ;

2°) d'enjoindre aux ministres compétents

de publier, dans un délai d'un mois, le décret d'application des dispositions de l...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415927, par une requête, enregistrée le 23 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande, reçue le 22 septembre 2017, tendant à la publication du décret d'application prévu par les dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail ;

2°) d'enjoindre aux ministres compétents de publier, dans un délai d'un mois, le décret d'application des dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 415928, par une requête, enregistrée le 23 novembre 2017, le syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande, reçue le 22 septembre 2017, tendant à la publication du décret d'application prévu par les dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail ;

2°) d'enjoindre aux ministres compétents de publier, dans un délai d'un mois, le décret d'application des dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;

- la convention collective des agents de direction de la Mutualité sociale agricole du 27 juillet 2000 ;

- la convention collective du personnel de direction du régime social des indépendants du 20 mars 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole et du syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 décembre 2018, présentée par le ministre des solidarités et de la santé et le ministre du travail dans les affaires n°s 415927 et 415928 ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 123-2 du code de la sécurité sociale, qui est notamment applicable, en vertu de son second alinéa ainsi que de l'article L. 123-1 du même code et de l'article L. 723-1 du code rural et de la pêche maritime, aux agents du régime social des indépendants et à ceux des organismes de mutualité sociale agricole : " Sous réserve des dispositions fixées par décret en Conseil d'Etat, les conditions de travail des agents de direction et de l'agent comptable font l'objet de conventions collectives spéciales qui ne deviennent applicables qu'après avoir reçu l'agrément de l'autorité compétente de l'Etat ". L'article L. 2122-5 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, dispose que : " Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui :/ (...) 3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau de la branche, d'une part, des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, et, d'autre part, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans ". Toutefois, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi a introduit dans le code du travail un article L. 2122-6-1 du code du travail, aux termes duquel, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour les personnels mentionnés à l'article L. 123-2 du code de la sécurité sociale qui ne disposent pas de modalités de représentation applicables à leurs spécificités, le seuil fixé au 3° de l'article L. 2122-5 du présent code est apprécié au regard des suffrages exprimés lors de l'élection des membres représentant les salariés aux commissions paritaires nationales instituées par leur convention collective nationale spécifique. / Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article ".

2. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, le syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole et le syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à leur demande, reçue le 22 septembre 2017, tendant à ce que le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 2122-6-1 du code du travail soit adopté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par l'article 13. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation, hors le cas où le respect des engagements européens et internationaux de la France y ferait obstacle, de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi.

4. Les conventions collectives spéciales prévues par l'article L. 123-2 du code de la sécurité sociale sont destinées à régir les conditions de travail d'une catégorie particulière de salariés des organismes de sécurité sociale entrant dans le champ d'application de cet article. Toutefois, alors, au surplus, que certains de ces salariés ne participent pas aux élections considérées en raison des délégations d'autorité qui peuvent leur être consenties par l'employeur ou de la représentation de celui-ci devant les institutions représentatives du personnel, les dispositions du 3° de l'article L. 2122-5 du code du travail, qui subordonnent la représentativité d'une organisation syndicale dans la branche à la condition qu'elle ait recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles mentionnées par cet article, ne permettent pas de mesurer, dans le champ d'application de la convention collective qui leur est légalement applicable, l'audience, auprès de ces salariés, des différentes organisations syndicales susceptibles de les représenter. Par l'article L. 2122 6-1 du code du travail, le législateur a, dès lors, défini, pour les personnels qui ne disposent pas de modalités de représentation applicables à leurs spécificités, les conditions particulières selon lesquelles les organisations syndicales sont reconnues représentatives dans le champ couvert par ces conventions collectives. A ce titre, il a prévu que la représentativité des organisations syndicales est appréciée selon les critères fixés pour les branches professionnelles par l'article L. 2122-5 du code du travail sous réserve que celui fixé au 3° de cet article soit vérifié au regard des suffrages exprimés lors de l'élection des membres représentant ces salariés aux commissions paritaires nationales instituées par leur convention collective nationale spécifique.

5. Par les dispositions du second alinéa de l'article L. 2122-6-1 du code du travail citées au point 1, le législateur a entendu charger le pouvoir réglementaire de prendre les mesures nécessaires à l'appréciation de cette audience. Certaines des conventions collectives spéciales conclues sur le fondement de l'article L. 123-2 du code de la sécurité sociale, telles la convention collective du personnel de direction du régime social des indépendants et celle des agents de direction de la Mutualité sociale agricole, avaient certes, à la date de publication de la loi du 17 août 2015 comme à celle de la décision attaquée, institué des commissions paritaires nationales dont les membres représentant les salariés n'étaient pas élus. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 2122-6-1 du code du travail, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 17 août 2015, conformément d'ailleurs aux dispositions de l'article L. 123-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoient l'intervention de conventions collectives spéciales " sous réserve des dispositions fixées par décret en Conseil d'Etat ", que le législateur, en prévoyant une appréciation de l'audience au regard des suffrages exprimés lors de l'élection des membres représentant les salariés aux commissions paritaires nationales instituées par leur convention collective nationale spécifique, doit être regardé comme ayant imposé l'élection de ces membres et habilité le pouvoir réglementaire à définir, si besoin est, les modalités d'un tel dispositif électoral, qui est nécessaire à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Dans ces conditions, et alors que le délai raisonnable au terme duquel ce texte aurait dû être adopté, à compter de l'intervention de la loi du 17 août 2015, était dépassé, le Premier ministre ne pouvait légalement refuser, par sa décision du 22 novembre 2017, de prendre le décret prévu par l'article L. 2122-6-1 du code du travail.

6. Il résulte de ce qui précède que le syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole et le syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à leur demande tendant à l'adoption du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 2122-6-1 du code du travail.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

8. L'annulation de la décision par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2122-6-1 du code du travail implique nécessairement l'édiction de ce décret. Il y a donc lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de quatre mois, à compter de la notification de la présente décision.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à chacun des deux syndicats requérants, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2122-6-1 du code du travail est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2122-6-1 du code du travail dans le délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera au syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole et au syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale une somme de 1 500 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des agents de direction de la Mutualité sociale agricole, au syndicat UNSA des agents de direction des organismes de sécurité sociale, à la ministre des solidarités et de la santé et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 415927
Date de la décision : 28/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2018, n° 415927
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Sirinelli
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415927.20181228
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