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28/12/2018 | FRANCE | N°415209

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 28 décembre 2018, 415209


Vu la procédure suivante :

Le Syndicat de la biologie libérale européenne (SBLE) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 mai 2015 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics et le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ont refusé de lui reconnaître un caractère représentatif et d'enjoindre à ces ministres de réexaminer sa demande. Par un jugement n° 1512885 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision du 28 mai 2015 et, d'autr

e part, enjoint au ministre de l'économie et des finances et au minist...

Vu la procédure suivante :

Le Syndicat de la biologie libérale européenne (SBLE) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 mai 2015 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics et le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ont refusé de lui reconnaître un caractère représentatif et d'enjoindre à ces ministres de réexaminer sa demande. Par un jugement n° 1512885 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision du 28 mai 2015 et, d'autre part, enjoint au ministre de l'économie et des finances et au ministre des affaires sociales et de la santé de réexaminer la demande du Syndicat de la biologie libérale européenne tendant à la reconnaissance de sa représentativité, dans le délai de six mois à compter de la notification de son jugement.

Par un arrêt n°s 17PA01402, 17PA01403 du 5 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre des affaires sociales et de la santé contre ce jugement et dit n'y avoir plus lieu de statuer sur sa demande de sursis à exécution de ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 octobre 2017 et 29 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des solidarités et de la santé demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le décret n° 2000-685 du 21 juillet 2000 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat du Syndicat de la biologie libérale européenne.

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 162-14 du code de la sécurité sociale prévoit que : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les directeurs de laboratoires privés d'analyses médicales sont définis par une convention nationale conclue pour une durée au plus égale à cinq ans entre une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives des directeurs de laboratoire de biologie médicale et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. (...) ". En vertu des dispositions combinées des articles L. 162-14-1 et L. 162-33 du même code, sont habilitées à participer à la négociation de cette conventions " les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Les conditions (...) tiennent compte de leur indépendance, d'une ancienneté minimale de deux ans à compter de la date de dépôt légal des statuts, de leurs effectifs et de leur audience ". L'article R. 162-54 de ce code prévoit que, pour déterminer cette représentativité, une enquête est provoquée entre le douzième et le sixième mois précédant l'échéance conventionnelle. Enfin, l'article R. 162-54-1 du même code, qui précise les critères cumulatifs d'après lesquels la représentativité est déterminée, mentionne à son 2° : " Les effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de l'enquête de représentativité ouverte en mars 2014 en vue de déterminer les organisations syndicales représentatives des directeurs de laboratoires privés d'analyses médicales, le ministre des finances et des comptes publics et le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, par une décision du 28 mai 2015, ont refusé de reconnaître la représentativité du Syndicat de la biologie libérale européenne, au motif qu'il ne remplissait pas le critère lié aux effectifs posé par l'article L. 162-33 du code de la sécurité sociale, celui-ci devant être apprécié au regard des personnes qui adhèrent à titre individuel au syndicat. Par un jugement du 28 février 2017, le tribunal administratif de Paris, à la demande de ce syndicat, a annulé la décision du 28 mai 2015 et enjoint aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de réexaminer sa demande dans un délai de six mois. Le ministre des solidarités et de la santé se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 octobre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel et sa demande de sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il rejette l'appel du ministre :

3. D'une part, aux termes du sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2131-2 du code du travail : " Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement ". Il résulte de ces dispositions que la liberté syndicale, qui bénéficie notamment aux professionnels de santé exerçant une activité libérale, implique que ne puissent être imposés en droit ou en fait, directement ou indirectement, l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale.

4. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 1 que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale doivent reconnaître les organisations syndicales représentatives au niveau national des directeurs de laboratoire de biologie médicale, au vu notamment de leurs effectifs d'adhérents à jour de leur cotisation.

5. Il suit de là que la condition fixée par le 2° de l'article R. 162-54-1 du code de la sécurité sociale, relative aux effectifs d'adhérents, ne peut être entendue que des directeurs de laboratoire de biologie médicale ayant personnellement et librement adhéré à l'organisation syndicale dont la représentativité est appréciée. Dès lors, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que, pour apprécier cette condition, les ministres devaient également prendre en considération toutes les personnes ayant adhéré de façon collective, au travers de l'adhésion de la personne morale à laquelle elles appartiennent, indépendamment des modalités de leur adhésion.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre des solidarités et de la santé est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il rejette son appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 février 2017. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la légalité de la décision du 28 mai 2015 :

8. Il ressort des pièces du dossier que les statuts du Syndicat de la biologie libérale européenne prévoyaient, sous la seule réserve de la situation particulière des biologistes retraités ou cessant provisoirement leur activité, l'adhésion non des biologistes mais des laboratoires et de sociétés d'exercice libéral, l'ensemble des directeurs et des directeurs-adjoints du laboratoire devenant " solidairement membres du syndicat " et la cotisation étant fixée par laboratoire ou société d'exercice libéral. Si ces mêmes statuts ouvraient la possibilité à tout membre de démissionner à tout moment, les biologistes étaient avertis par courriel de ce que la direction du réseau de laboratoires auquel ils appartenaient avait souhaité faciliter, pour l'année en cours, l'adhésion de leur laboratoire au syndicat, en mentionnant les avantages, en termes d'information, qui s'y attachaient et en indiquant le nom de la personne à laquelle signaler, le cas échéant, leur souhait de ne pas bénéficier personnellement de cette adhésion. De telles modalités d'adhésion ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme traduisant une adhésion personnelle et libre des directeurs de laboratoire de biologie médicale considérés.

9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour annuler la décision des ministres du 28 mai 2015, sur ce qu'ils ne pouvaient refuser de prendre en considération, dans les effectifs du Syndicat de la biologie libérale européenne, les directeurs et directeurs adjoints des laboratoires et sociétés d'exercice libérale ayant adhéré à ce syndicat.

10. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le Syndicat de la biologie libérale européenne devant le tribunal administratif de Paris.

11. En premier lieu, d'une part, si la compétence pour reconnaître la représentativité d'une organisation syndicale relève des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, le ministre chargé de la sécurité sociale pouvait rejeter seul la demande présentée par le Syndicat de la biologie libérale européenne. D'autre part, il résulte des dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que le directeur de la sécurité sociale avait, en vertu de sa nomination par un décret du 26 janvier 2012, à compter du 13 février 2012, et du fait des attributions de la direction placée sous son autorité, définies par un décret du 21 juillet 2000, qualité pour prendre la décision attaquée au nom du ministre des finances et des comptes publics et du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargés de la sécurité sociale. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de son signataire doit être écarté.

12. En deuxième lieu, la décision attaquée, qui est au nombre de celles qui doivent être motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 désormais repris à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'elle serait insuffisamment motivée.

13. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, il ressort des pièces du dossier que les ministres ont procédé à un examen particulier de sa situation.

14. En dernier lieu, s'il résulte des dispositions des articles L. 162-33 et R. 162-54-1 du code de la sécurité sociale que la représentativité des organisations syndicales est appréciée en fonction de leur indépendance, de leur ancienneté, de leurs effectifs et de leur audience, ces critères sont cumulatifs. En outre, s'agissant des directeurs de laboratoire, dont les représentants au sein des unions régionales des professionnels de santé sont désignés et non élus, l'audience ne peut être appréciée, en vertu de l'article R. 162-54-1, en fonction de résultats électoraux, mais en fonction de l'activité et de l'expérience du syndicat. En estimant que le Syndicat de la biologie libérale européenne, faute de compter parmi ses adhérents des directeurs de laboratoire de biologie médicale en activité ayant volontairement et personnellement adhéré au syndicat, ne pouvait être reconnu comme une organisation syndicale représentative des directeurs de laboratoire de biologie médicale, les ministres n'ont pas commis d'erreur de droit et ont fait une exacte application de ces dispositions.

15. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 28 mai 2015 refusant de reconnaître au Syndicat de la biologie libérale européenne la qualité d'organisation syndicale représentative des directeurs de laboratoire de biologie médicale et lui a enjoint de réexaminer la demande de ce syndicat.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il dit n'y avoir plus lieu à statuer sur la demande de sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 28 février 2017 :

16. Il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 février 2017 est annulé. Par suite, les conclusions du pourvoi dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il dit n'y avoir pas lieu à statuer sur la demande de sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'Etat, qui ne fait pas état précisément des frais qu'il aurait exposés pour défendre en appel, présentées au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er, 3 et 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 5 octobre 2017 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 février 2017 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par le Syndicat de la biologie libérale européenne devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi du ministre des solidarités et de la santé dirigées contre l'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 5 octobre 2017.

Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre des solidarités et de la santé et au Syndicat de la biologie libérale européenne.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 415209
Date de la décision : 28/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

SANTÉ PUBLIQUE - DIVERS ÉTABLISSEMENTS À CARACTÈRE SANITAIRE - LABORATOIRES D'ANALYSES DE BIOLOGIE MÉDICALE - ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTATIVES AU NIVEAU NATIONAL DES DIRECTEURS DE LABORATOIRE DE BIOLOGIE MÉDICALE - CRITÈRE DE REPRÉSENTATIVITÉ RELATIF AUX EFFECTIFS D'ADHÉRENTS À JOUR DE LEUR COTISATION (2° DE L'ART - R - 162-54-1 DU CSS) - NOTION - DIRECTEURS DE LABORATOIRE DE BIOLOGIE MÉDICALE AYANT PERSONNELLEMENT ET LIBREMENT ADHÉRÉ À L'ORGANISATION SYNDICALE DONT LA REPRÉSENTATIVITÉ EST APPRÉCIÉE.

61-08-01 La condition fixée par le 2° de l'article R. 162-54-1 du code de la sécurité sociale (CSS), relative aux effectifs d'adhérents, ne peut être entendue que des directeurs de laboratoire de biologie médicale ayant personnellement et librement adhéré à l'organisation syndicale dont la représentativité est appréciée. Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge, pour apprécier cette condition, que les ministres devaient également prendre en considération toutes les personnes ayant adhéré de façon collective, au travers de l'adhésion de la personne morale à laquelle elles appartiennent, indépendamment des modalités de leur adhésion.

TRAVAIL ET EMPLOI - SYNDICATS - REPRÉSENTATIVITÉ - ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTATIVES AU NIVEAU NATIONAL DES DIRECTEURS DE LABORATOIRE DE BIOLOGIE MÉDICALE - CRITÈRE DE REPRÉSENTATIVITÉ RELATIF AUX EFFECTIFS D'ADHÉRENTS À JOUR DE LEUR COTISATION (2° DE L'ART - R - 162-54-1 DU CSS) - NOTION - DIRECTEURS DE LABORATOIRE DE BIOLOGIE MÉDICALE AYANT PERSONNELLEMENT ET LIBREMENT ADHÉRÉ À L'ORGANISATION SYNDICALE DONT LA REPRÉSENTATIVITÉ EST APPRÉCIÉE.

66-05-01 La condition fixée par le 2° de l'article R. 162-54-1 du code de la sécurité sociale (CSS), relative aux effectifs d'adhérents, ne peut être entendue que des directeurs de laboratoire de biologie médicale ayant personnellement et librement adhéré à l'organisation syndicale dont la représentativité est appréciée. Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge, pour apprécier cette condition, que les ministres devaient également prendre en considération toutes les personnes ayant adhéré de façon collective, au travers de l'adhésion de la personne morale à laquelle elles appartiennent, indépendamment des modalités de leur adhésion.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2018, n° 415209
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thibaut Félix
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415209.20181228
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