Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 21 août et 20 novembre 2017 et le 27 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de Seine-Maritime demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 02-2017 du 14 juin 2017 par laquelle le conseil national de l'ordre des infirmiers a, d'une part, annulé la décision implicite du conseil régional de l'ordre des infirmiers de Haute-Normandie confirmant le refus du conseil interdépartemental de l'Eure et de la Seine-Maritime d'inscrire M. B...A...au tableau de l'ordre et, d'autre part, inscrit ce dernier au tableau ;
2°) de mettre à la charge du conseil national de l'ordre des infirmiers et de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Zolezzi, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat du conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de la Seine Maritime et à Me Brouchot, avocat de M.A....
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil interdépartemental de l'Eure et de la Seine-Maritime de l'ordre des infirmiers, saisi par M. A... d'une demande d'inscription au tableau de l'ordre, a demandé au conseil régional de Haute-Normandie de diligenter une expertise sur le fondement des dispositions du III de l'article R. 4112-2 du code de la santé publique ; qu'au vu des conclusions des experts, le conseil départemental a refusé l'inscription de l'intéressé par une décision du 9 novembre 2016, au motif qu'il présentait un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession d'infirmier ; qu'à la suite du rejet implicite par le conseil régional du recours dont il l'avait saisi, M. A...a présenté un recours devant le conseil national qui, par une décision du 14 juin 2017, a annulé le refus d'inscription et inscrit le demandeur au tableau de l'ordre ; que le conseil interdépartemental de l'Eure et de la Seine-Maritime demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 4112-2 du code de la santé publique, rendu applicable à l'ordre des infirmiers par l'article R. 4311-52 : " I.- A la réception de la demande, le président du conseil départemental désigne un rapporteur parmi les membres du conseil. Ce rapporteur procède à l'instruction de la demande et fait un rapport écrit. / Le conseil vérifie les titres du candidat et demande communication du bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé. Il refuse l'inscription si le demandeur est dans l'un des trois cas suivants : / 1° Il ne remplit pas les conditions nécessaires de moralité et d'indépendance ; / 2° Il est établi, dans les conditions fixées au II, qu'il ne remplit pas les conditions nécessaires de compétence ; / 3° Il est constaté, dans les conditions fixées au III, une infirmité ou un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession. / II.- En cas de doute sérieux sur la compétence professionnelle du demandeur, le conseil départemental saisit, par une décision non susceptible de recours, le conseil régional ou interrégional qui diligente une expertise. Le rapport d'expertise est établi dans les conditions prévues aux II, III, IV, VI et VII de l'article R. 4124-3-5 et il est transmis au conseil départemental. / S'il est constaté, au vu du rapport d'expertise, une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, le conseil départemental refuse l'inscription et précise les obligations de formation du praticien. La notification de cette décision mentionne qu'une nouvelle demande d'inscription ne pourra être acceptée sans que le praticien ait au préalable justifié avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision du conseil départemental. / III.- En cas de doute sérieux sur l'existence d'une infirmité ou d'un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession, le conseil départemental saisit, par une décision non susceptible de recours, le conseil régional ou interrégional qui diligente une expertise. Le rapport d'expertise est établi dans les conditions prévues aux II, III, IV, VII et VIII de l'article R. 4124-3. / (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, que la décision prise par le conseil départemental sur une demande d'inscription au tableau peut, dans les conditions prévues à l'article R. 4112-5 du code de la santé publique, faire l'objet d'un recours devant le conseil régional, dont la décision peut elle-même faire l'objet d'un recours devant le conseil national qui statue dans les conditions prévues à l'article R. 4112-5-1 du même code ; que, saisi d'un tel recours, le conseil régional ou le conseil national ne peut prononcer une inscription au tableau qu'après avoir vérifié que l'intéressé remplit l'ensemble des conditions relatives à la moralité et à l'indépendance professionnelle, à la compétence et à l'absence d'infirmité ou d'état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession, prévues au I de l'article R. 4112-2 ; qu'en cas de doute sérieux sur la compétence du demandeur ou sur l'existence d'une infirmité ou d'un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession, il appartient au besoin au conseil régional de diligenter l'expertise prévue au II ou au III du même article ; que, dans le même cas, il appartient au conseil national de diligenter l'expertise nécessaire, si elle n'a pas déjà été réalisée ou s'il estime la précédente expertise insuffisante ;
4. Considérant qu'il ressort des termes de la décision attaquée qu'au vu des certificats médicaux produits devant lui, le conseil national de l'ordre des infirmiers, s'écartant de l'appréciation des experts qui avaient été désignés en application du III de l'article R. 4112-2 précité du code de la santé publique, a estimé que M. A...ne présentait pas un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession d'infirmier ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le conseil national ne pouvait légalement inscrire l'intéressé au tableau sans vérifier qu'il remplissait les autres conditions prévues au I du même article et, notamment, celle relative à la compétence professionnelle ; qu'en cas de doute sérieux sur ce point, il lui appartenait de diligenter l'expertise prévue au II du même article dès lors qu'elle n'avait pas été prescrite à ce titre ;
5. Considérant que la décision attaquée procède à l'inscription de M. A...au tableau sans vérifier expressément qu'il remplit la condition relative à la compétence professionnelle ; qu'en réponse à l'argumentation de la requête tirée de ce que l'exercice de l'intéressé en milieu hospitalier avait donné lieu, à plusieurs reprises à partir de l'année 2011, à de graves reproches de ses supérieurs puis, en 2015, à une procédure de licenciement motivée par des erreurs et négligences dans la dispensation des soins, le conseil national s'est borné à indiquer, dans ses observations en défense, d'une part, que le conseil interdépartemental n'avait pas relevé d'insuffisance professionnelle et, d'autre part, qu'il n'appartenait qu'au conseil interdépartemental de prendre l'initiative d'une expertise sur ce point ; que, toutefois, le conseil interdépartemental, retenant un état pathologique incompatible avec l'exercice de la profession, n'avait pas eu à se prononcer sur la condition relative à la compétence ; que, par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, il appartenait au besoin au conseil national de diligenter lui-même une expertise sur ce point ; que, dans ces conditions, le conseil interdépartemental est fondé à soutenir que le conseil national, en ne vérifiant pas la compétence professionnelle de M. A...avant de l'inscrire au tableau, a commis une erreur de droit relative à l'étendue de sa propre compétence et à demander, pour ce motif, l'annulation de sa décision ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du conseil national de l'ordre des infirmiers, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros à verser au conseil interdépartemental requérant ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que le conseil interdépartemental présente au même titre contre M.A... ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 14 juin 2017 du conseil national de l'ordre des infirmiers est annulée.
Article 2 : Le conseil national de l'ordre des infirmiers versera au conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de la Seine-Maritime une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées contre M. A...par le conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de la Seine-Maritime au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au conseil national de l'ordre des infirmiers, au conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers de l'Eure et de la Seine-Maritime, à M. B... A...et à l'agence régionale de santé de Normandie.