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14/11/2018 | FRANCE | N°389254

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 14 novembre 2018, 389254


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 30 janvier 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la SCI Château du Grand Bois tendant à l'annulation de l'arrêt n° 13NT01973 du 5 février 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes qui avait annulé la décision du directeur général de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) du 18 décembre 2009 ayant rejeté sa demande de versement de l'aide à la restructuration et à la reconversion du

vignoble, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'U...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 30 janvier 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la SCI Château du Grand Bois tendant à l'annulation de l'arrêt n° 13NT01973 du 5 février 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes qui avait annulé la décision du directeur général de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) du 18 décembre 2009 ayant rejeté sa demande de versement de l'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

Les dispositions des articles 76, 78 et 81 du règlement d'application du 27 juin 2008 autorisent-elles les agents qui procèdent à un contrôle sur place à pénétrer sur les terres d'une exploitation agricole sans avoir obtenu l'accord de l'exploitant '

Dans l'hypothèse où il serait répondu positivement à cette première question, y a-t-il lieu de distinguer selon que les terres sont closes ou non '

Dans l'hypothèse où il serait répondu positivement à cette première question, les dispositions des articles 76, 78 et 81 du règlement d'application du 27 juin 2008 sont-elles compatibles avec le principe d'inviolabilité du domicile tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme '

Par un arrêt C-59/17 du 7 août 2018, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

L'instruction a été clôturée le 15 octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;

- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'ordonnance n° 2009-325 du 25 mars 2009 ;

- le décret n° 2009-153 du 11 février 2009 ;

- le décret n° 2009-340 du 27 mars 2009 ;

- l'arrêté du 26 mai 2009 relatif aux conditions d'attribution de l'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble ;

- l'arrêt C-59/17 du 7 août 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Château du Grand Bois et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Château du Grand Bois a présenté le 29 juillet 2009 une demande d'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble pour la campagne 2008/2009. Par une décision du 18 décembre 2009, le directeur général de FranceAgriMer a rejeté cette demande au motif qu'il avait été constaté, lors de contrôles effectués sur place les 27 août et 15 septembre 2009 par un agent de FranceAgriMer, que sur certaines parcelles l'arrachage des vignes n'avait pas été effectué dans des conditions conformes à la réglementation en vigueur. Par un jugement du 7 mai 2013, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 février 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel de FranceAgriMer, a annulé ce jugement et rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 72 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008, fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole, en ce qui concerne les programmes d'aide, les échanges avec les pays tiers, le potentiel de production et les contrôles dans le secteur vitivinicole : " Versement de la prime : Le versement de la prime à l'arrachage est effectué après vérification que l'arrachage a effectivement eu lieu et au plus tard pour le 15 octobre de l'année d'acceptation de la demande par l'État membre conformément à l'article 102, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 479/2008. ". Aux termes de l'article 76 du même règlement : " Sans préjudice des dispositions particulières du présent règlement ou d'autres instruments législatifs communautaires, les Etats membres instaurent des contrôles et des mesures lorsque ceux-ci sont nécessaires pour garantir la bonne application du règlement [(CE) n° 479/2008] et du présent règlement. Ces contrôles et ces mesures revêtent un caractère effectif, proportionné et dissuasif de manière à assurer une protection adéquate des intérêts financiers des Communautés. / Les Etats membres veillent en particulier à ce que : / (...) / d) les contrôles et mesures soient adaptés à la nature du soutien en cause. Les Etats membres définissent les méthodes et les moyens de vérification ainsi que les personnes à contrôler ; / (...) ". Aux termes de l'article 78 du même règlement : " Contrôles sur place : 1. Les contrôles sur place sont effectués de manière inopinée. Un préavis limité au strict nécessaire peut toutefois être donné, pour autant que cela ne nuise pas à l'objectif du contrôle. Le préavis ne dépasse pas 48 heures, sauf dans des cas dûment justifiés ou dans le cas des mesures pour lesquelles des contrôles sur place systématiques sont prévus. (...) 3. La demande ou les demandes d'aide concernées sont rejetées si les bénéficiaires ou leur représentant empêchent la réalisation du contrôle sur place ". Aux termes de l'article 81 du même règlement : "(...) / 3. Les superficies donnant lieu au versement de la prime à l'arrachage font l'objet d'un contrôle systématique avant et après l'exécution de l'arrachage. Les parcelles contrôlées sont celles qui font l'objet d'une demande d'aide. / (...) / 4. Le contrôle destiné à vérifier que l'arrachage a effectivement eu lieu prend la forme d'un contrôle sur place classique. (...) ".

3. Dans l'arrêt du 7 août 2018 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 76, 78 et 81 du règlement du 27 juin 2008 doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'autorisent pas les agents qui procèdent à un contrôle sur place à pénétrer sur une exploitation agricole sans avoir obtenu l'accord de l'exploitant. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne qu'en jugeant que la circonstance que l'agent de FranceAgriMer chargé du contrôle avait pénétré sans son autorisation sur la propriété de la SCI Château du Grand Bois était sans incidence sur la légalité de la décision de rejet de sa demande d'aide à la restructuration du vignoble, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Par suite, la SCI Château du Grand Bois est fondée à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer sur l'appel de FranceAgrimer.

5. En vertu du décret du 11 février 2009 relatif à la prime à l'arrachage de vignes, la gestion et les contrôles de la prime à l'arrachage de vignes, dont pouvaient bénéficier les exploitants de superficies viticoles cultivées pour la production de raisins de cuve, étaient effectués par l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture (Viniflhor). Les articles 4 et 7 de l'ordonnance du 25 mars 2009, relative à la création de l'Agence de services et de paiement et de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), qui s'est substitué à cinq offices agricoles, dont Viniflhor, ont transféré les compétences, les personnels, les biens, droits et obligations de ces offices à FranceAgriMer et ont placé le personnel des offices sous l'autorité du directeur général de cet établissement. Aux termes de l'article 12 de cette ordonnance : " III. - Dans toutes les autres dispositions législatives en vigueur, et à compter de la création de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), les mots : (...) " Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture " (...) sont remplacés par les mots : " Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ". Selon l'article 10 du décret du 27 mars 2009 relatif à l'Agence de services et de paiement, à l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer et à l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer, sauf disposition spéciale, dans toutes les dispositions réglementaires en vigueur, la référence à l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture (Viniflhor) est remplacée par la référence à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). L'article 3 de ce décret a modifié notamment l'article R. 622-50 du code rural en substituant la mention de l'établissement mentionné à l'article L. 621-1, soit FranceAgriMer, à la mention des établissements mentionnés à l'article R. 621-1, qui comprenait Vinifhor mais a laissé inchangées les dispositions antérieures relatives aux habilitations des agents chargés du contrôle, selon lesquelles les agents " peuvent réaliser auprès des exploitants, des entreprises et de tout organisme ayant un lien direct ou indirect avec les missions relevant de la compétence de l'établissement, tout contrôle portant, d'une part, sur les missions relevant de la compétence de celui-ci en vertu de la réglementation communautaire ou nationale et, d'autre part, sur les missions qui lui ont été déléguées " en vertu d'une décision du directeur général de l'établissement, qui précise leur compétence territoriale. L'arrêté du ministre chargé de l'agriculture du 26 mai 2009, relatif aux conditions d'attribution de l'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble, et en particulier l'article 12 de ce texte, a transféré à FranceAgriMer l'ensemble des missions confiées à Vinifhlor et notamment l'instruction des demandes d'arrachage préalable et le contrôle du respect des critères et conditions définis par la réglementation pour les actions subventionnées.

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les habilitations au contrôle qui avaient été précédemment délivrées aux agents de Viniflhor doivent être regardées comme ayant été transférées à ces mêmes agents de l'établissement FranceAgriMer, sous la seule réserve des modifications qui auraient été apportées à la liste des personnes habilitées par le directeur du nouvel établissement FranceAgriMer. Il ressort des pièces du dossier que MmeA..., qui a réalisé les contrôles litigieux les 27 août et 15 septembre 2009, disposait d'une habilitation du 26 janvier 2009 qui lui avait été accordée par le directeur général de Vinifhor pour effectuer les contrôles dans le secteur des pays de la Loire. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a annulé les deux décisions contestées, au motif que l'agent chargé du contrôle ne disposait pas d'une habilitation régulière.

7. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCI Château du Grand Bois devant le tribunal administratif et devant la cour.

8. Il n'est pas contesté que l'agent chargé du contrôle a pénétré dans la propriété de la SCI Château du Grand Bois, sans avoir obtenu l'autorisation d'une personne la représentant, et que la décision du directeur général de FranceAgriMer du 18 décembre 2009 rejetant la demande d'aide à la restructuration du vignoble de cette société est fondée sur les éléments matériels constatés par cet agent. En l'absence d'une telle autorisation de la SCI Château du Grand Bois, laquelle constituait une garantie pour la société, la décision du directeur général de FranceAgriMer du 18 décembre 2009 est illégale. Par suite, FranceAgriMer n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à la demande de la SCI Château du Grand Bois. En conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer une somme de 4 000 euros à verser à la SCI Château du Grand Bois au titre des frais exposés en appel et devant le Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 5 février 2015 est annulé.

Article 2 : La requête de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : L'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer versera la somme de 4 000 euros à la SCI Château du Grand Bois au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCI Château du Grand Bois et à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 389254
Date de la décision : 14/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 nov. 2018, n° 389254
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Géraud Sajust de Bergues
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:389254.20181114
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