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24/10/2018 | FRANCE | N°412322

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 24 octobre 2018, 412322


Vu 1°, sous le n° 412322, la procédure suivante :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1201627 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 15NC02357 du 11 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel f

ormé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.
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Vu 1°, sous le n° 412322, la procédure suivante :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1201627 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 15NC02357 du 11 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 10 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu 2°, sous le n° 412323, la procédure suivante :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1201626 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 15NC02356 du 11 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 10 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M.C....

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société civile Sacajisme, soumise à l'impôt sur les sociétés, et la société civile immobilière (SCI) Sacaj, soumise au régime fiscal des sociétés de personnes prévu à l'article 8 du code général des impôts, ont acquis, par acte du 4 septembre 2008, respectivement l'usufruit, pour une durée de vingt-deux années, et la nue-propriété d'un immeuble sis 13 rue Tronchet à Paris pour un prix total de 730 000 euros. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Sacajisme, l'administration a estimé que le prix de 645 000 euros qu'elle avait acquitté pour acquérir l'usufruit excédait de 145 000 euros la valeur de celui-ci et que l'excédent de prix ainsi consenti constituait une libéralité accordée à la SCI Sacaj, nue-propriétaire. En conséquence, Mme B... et M. C..., associés à parts égales de la SCI Sacaj et associés par ailleurs à parts inégales de la société Sacajisme, ont été imposés, au titre de l'année 2008, sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts, à raison des revenus distribués correspondant à cette libéralité retenue par administration. Par des jugements du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a, sur demande respectivement de Mme B...et de M. C..., prononcé la décharge des impositions litigieuses. Par des arrêts du 11 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté les recours du ministre des finances et des comptes publics contre ces jugements. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre ces arrêts.

3. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / (...) ".

4. En cas d'acquisition par des personnes distinctes de l'usufruit temporaire et de la nue-propriété du même bien immobilier, le caractère délibérément majoré du prix payé pour l'acquisition de l'usufruit temporaire par rapport à la valeur vénale de cet usufruit, sans que cet écart de prix ne comporte pour l'usufruitier de contrepartie, révèle, en ce qu'elle conduit à une minoration à due concurrence du prix acquitté par le nu-propriétaire pour acquérir la nue-propriété par rapport à la valeur vénale de celle-ci, l'existence, au profit du nu-propriétaire, d'une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre les prix convenus et les valeurs vénales respectives de l'usufruit et de la nue-propriété, d'autre part, s'agissant des parties au démembrement du droit de propriété, de l'intention de l'usufruitier d'octroyer, et pour le nu-propriétaire, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de l'acquisition dudit bien.

5. En l'absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l'appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d'évaluation qui permettent d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où l'acquisition est intervenue. Dans le cas de l'acquisition d'un bien en démembrement de propriété, constitue une telle méthode d'évaluation celle qui définit des prix de la nue-propriété et de l'usufruit tels qu'ils offrent le même taux de rendement interne de l'investissement pour l'usufruitier et le nu-propriétaire.

6. Pour déduire des faits qu'elle a souverainement appréciés que l'administration n'apportait pas la preuve d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale de l'usufruit de l'immeuble litigieux, la cour administrative d'appel a jugé, premièrement, que la méthode de valorisation de l'usufruit proposée par l'administration, fondée sur la somme actualisée des revenus futurs de l'immeuble, n'était pas davantage pertinente que celle employée par les parties à l'acte d'acquisition, dès lors que le taux de rentabilité fixe retenu par l'administration n'était pas à même de tenir compte de l'inflation des loyers, que, deuxièmement, était sans incidence sur la pertinence de la méthode retenue par les sociétés Sacajisme et Sacaj la circonstance que son application était susceptible de conduire à une évaluation de l'usufruit supérieure à 100 % du prix d'acquisition de l'immeuble, dès lors que la valeur vénale de sa pleine propriété serait différente à la date d'extinction de l'usufruit, et, troisièmement, que la circonstance que l'intérêt financier de la SCI Sacaj à recevoir le bien en pleine propriété au terme de l'usufruit serait sans commune mesure avec le coût supporté par elle pour l'acquisition de la nue-propriété ne démontrait pas la surévaluation de l'usufruit.

7. La cour administrative d'appel a ainsi écarté la méthode d'évaluation de l'administration au motif qu'elle n'aurait pas tenu compte de l'augmentation annuelle des loyers du fait de l'inflation, alors que cette méthode déterminait de manière cohérente la valeur vénale de l'usufruit par différence entre la valeur de pleine propriété à la date de l'opération et la valeur actualisée à cette même date de la pleine propriété obtenue à l'extinction de l'usufruit en appliquant un taux d'actualisation égal au taux de rendement de l'investissement immobilier, indépendamment de l'inflation. Elle a regardé comme plus pertinente la méthode d'évaluation employée par les sociétés Sacajisme et Sacaj qui déterminait la valeur vénale de l'usufruit à partir de la somme actualisée des loyers futurs pour la durée de l'usufruit temporaire, exprimés en valeur nominale et donc en prenant en compte l'inflation, tout en appliquant un taux d'actualisation ne prenant pas en compte l'inflation. Or une telle méthode repose sur des termes de calcul non homogènes et conduit par suite à une rentabilité interne de l'investissement déséquilibrée entre l'usufruitier et le nu-propriétaire et à un partage inexact, à la date de la cession, de la valeur en pleine propriété de l'immeuble entre celle de l'usufruit et celle de la nue-propriété, cette méthode erronée ayant pour conséquence que la somme de la valeur ainsi déterminée de l'usufruit et de la valeur vénale de la nue-propriété soit supérieure au prix d'acquisition de la pleine propriété. En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé, par le moyen d'erreur de droit qu'il invoque, qui, contrairement à ce que M. C...soutient en défense, n'est pas irrecevable, à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les arrêts de la cour administrative d'appel de Nancy du 11 mai 2017 sont annulés.

Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics, à Mme D... B...et à M. A...C....


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 412322
Date de la décision : 24/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 oct. 2018, n° 412322
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Uher
Rapporteur public ?: M. Romain Victor

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:412322.20181024
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