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24/10/2018 | FRANCE | N°402434

France | France, Conseil d'État, 4ème et 1ère chambres réunies, 24 octobre 2018, 402434


Vu la procédure suivante :

La société Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens (société Servair) a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 décembre 2011 par laquelle l'inspectrice du travail de la 18ème section d'inspection du travail de la Seine-Saint-Denis a refusé d'autoriser le licenciement de M. A...B..., ainsi que la décision du 17 avril 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a rejeté son recours hiérarchique. Par un jugement n° 1205139 du 26 mars 2013, le tribun

al administratif a annulé ces décisions et enjoint à l'administration ...

Vu la procédure suivante :

La société Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens (société Servair) a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 décembre 2011 par laquelle l'inspectrice du travail de la 18ème section d'inspection du travail de la Seine-Saint-Denis a refusé d'autoriser le licenciement de M. A...B..., ainsi que la décision du 17 avril 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a rejeté son recours hiérarchique. Par un jugement n° 1205139 du 26 mars 2013, le tribunal administratif a annulé ces décisions et enjoint à l'administration de réexaminer la demande présentée par la société Servair.

Par un arrêt n° 13VE01636 du 17 juin 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par une décision n° 384290 du 30 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi de M.B..., annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Par un arrêt n° 16VE00180 du 16 juin 2016, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil et rejeté la demande présentée par la société Servair.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 août et 16 novembre 2016 et le 28 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Servair demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. B...;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de M. B...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de la société compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, entre 2007 et 2008, la société Servair a sollicité à quatre reprises l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M.B..., salarié protégé ; que ces demandes ont été successivement rejetées par des décisions des 16 mai 2007, 16 août 2007, 13 février 2008 et 30 avril 2008 de l'inspecteur du travail compétent, confirmées, sur recours hiérarchique, par le ministre chargé du travail ; que, par un arrêt du 4 octobre 2011, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé les deux dernières décisions de refus des 13 février et 30 avril 2008, de même que les deux décisions ministérielles rejetant les recours hiérarchiques dirigés contre elles, et a enjoint à l'inspecteur du travail de réexaminer les deux demandes d'autorisation de licenciement qui étaient en cause ; que l'inspectrice du travail a, de nouveau, refusé de faire droit aux deux demandes de la société, par une unique décision du 6 décembre 2011, ces deux refus étant confirmés, sur recours hiérarchique, par une unique décision du 17 avril 2012 du ministre chargé du travail ; que, par un jugement du 26 mars 2013, le tribunal administratif de Montreuil a, à la demande de la société Servair, annulé ces nouvelles décisions de refus d'autorisation et enjoint à l'autorité administrative de réexaminer, une troisième fois, les deux demandes de la société ; que la société Servair se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 16 juin 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce dernier jugement et rejeté la demande de la société Servair tendant à l'annulation des décisions des 6 décembre 2011 et 17 avril 2012 ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ; que l'autorité administrative ne peut légalement faire droit à une demande d'autorisation de licenciement que si chacune de ces conditions cumulatives est remplie ; que, par suite, lorsque le juge administratif est saisi par l'employeur d'une demande tendant à l'annulation d'un refus d'autorisation de licenciement qui se fonde, sans que l'administration ait été tenue de le faire, sur plusieurs motifs résultant de la méconnaissance de plusieurs de ces conditions, il ne peut annuler cette décision que si elle est entachée d'illégalité externe ou si aucun des motifs retenus n'est fondé ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 6 décembre 2011 par laquelle l'inspectrice du travail a rejeté les deux demandes de licenciement de M. B...était fondée, pour chacune de ces deux demandes, sur deux motifs distincts, l'un tiré de l'irrégularité des convocations adressées par l'employeur en vue de l'entretien préalable au licenciement, l'autre de l'existence d'un lien entre les mandats représentatifs de l'intéressé et les demandes de licenciement ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que le second de ces motifs étant fondé, l'autorité administrative était en situation de compétence liée pour rejeter les demandes dont elle était saisie, de sorte que les autres moyens, y compris de légalité externe, présentés par la société Servair à l'encontre des décisions attaquées étaient inopérants ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'elle a, ce faisant, entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, la société Servair est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; que, le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Servair :

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Servair, la requête sommaire introduite dans le délai d'appel par M. B...comporte l'exposé de moyens d'appel ; que la circonstance que ces moyens reprendraient l'argumentation déjà développée par M. B...dans ses précédentes écritures en défense devant le tribunal administratif est sans incidence sur la recevabilité de son appel ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

6. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, le licenciement d'un salarié protégé ne peut être autorisé s'il est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; qu'à ce titre, l'article R. 2421-7 du code du travail prévoit que, saisis d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, " l'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé " ; qu'il appartient ainsi à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, d'opérer un tel contrôle au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de leur décision, y compris lorsqu'ils se prononcent à nouveau sur une demande d'autorisation après l'annulation d'une première décision refusant d'y faire droit ; qu'il en va ainsi même lorsque le refus d'autorisation qui a été annulé reposait sur l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et les mandats du salarié et que l'annulation contentieuse se fonde sur l'absence d'un tel lien ;

7. Considérant, d'autre part, que l'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif d'une décision juridictionnelle annulant un refus d'autorisation et devenu définitive ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, l'autorisation sollicitée soit à nouveau refusée par l'autorité administrative ou que l'autorisation accordée soit annulée par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par la décision juridictionnelle devenue définitive ;

8. Considérant que, par l'arrêt du 4 octobre 2011 mentionné au point 1 devenu définitif et revêtu de l'autorité de chose jugée irrévocable, la cour administrative d'appel de Versailles s'est notamment fondée, pour annuler les décisions de refus d'autorisation de licenciement des 13 février et 30 avril 2008, sur le motif que le lien entre les projets de licenciement et les mandats de M. B...n'était pas établi ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment de ce que, lorsque l'inspectrice du travail a, le 6 décembre 2011, de nouveau statué sur ces projets de licenciement, plusieurs procédures judiciaires avaient été engagées avec succès par M. B...pour que son employeur mette fin à diverses entraves à l'exercice de ses mandats et de ce que, par un arrêt du 7 avril 2011, la cour d'appel de Paris avait condamné la société Servair à verser des dommages et intérêts à M. B... à raison du caractère fautif d'une plainte de cette société ayant conduit à ce que l'intéressé soit placé en garde à vue, que, sans qu'y fasse obstacle l'autorité absolue de la chose jugée par l'arrêt du 4 octobre 2011, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les refus d'autorisation de licenciement du 6 décembre 2011 et la décision du 17 avril 2012 les confirmant sur recours hiérarchique, le tribunal a jugé que les demandes d'autorisation de licenciement présentées par la société Servair étaient, à la date du 6 décembre 2011, sans rapport avec ses mandats ;

9. Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Servair devant le tribunal administratif ;

En ce qui concerne le moyen de légalité externe dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail du 6 décembre 2011 :

10. Considérant qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection rappelée au point 2, les articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, disposent que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé au titre d'un ou plusieurs mandats représentatifs " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ; que ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet d'imposer à l'inspecteur du travail d'informer l'employeur, dans le cadre de son enquête, des motifs sur lesquels il est susceptible de fonder sa décision ;

11. Considérant, par suite, que le moyen tiré de ce l'inspecteur du travail aurait entaché son refus d'irrégularité en se fondant sur la circonstance que les convocations de M. B... à l'entretien préalable à son licenciement étaient irrégulières sans avoir, au préalable, recueilli les observations de la société sur ce point ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne les moyens de légalité externe dirigés contre la décision du ministre chargé du travail du 17 avril 2012 :

12. Considérant que, lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement formée par un employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur ; que, par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la décision du ministre chargé du travail du 17 avril 2012 serait signée par une autorité incompétente, de même que celui tiré de ce que la procédure devant le ministre n'aurait pas été contradictoire, sont inopérants ;

En ce qui concerne les autres moyens de légalité interne dirigés contre les deux décisions :

13. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 7, la société Servair n'est pas fondée à critiquer le motif des refus opposés par l'autorité administrative, tiré du lien existant entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. B... ; que, ce motif faisait, à lui seul, obstacle à ce que l'inspecteur du travail et, sur recours hiérarchique, le ministre chargé du travail, puissent légalement accorder les autorisations de licenciement sollicitées ; que, par suite, les autres moyens de légalité interne soulevés par la société Servair sont inopérants ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 6 décembre 2011 ainsi que, par voie de conséquence, la décision du ministre chargé du travail du 17 avril 2012 ;

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat et de M. B..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Servair la somme que demande, au même titre, M.B... ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 16 juin 2016 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : Le jugement du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 3 : La demande présentée par la société Servair devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée.

Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Servair, à M. A...B...et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 4ème et 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402434
Date de la décision : 24/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 oct. 2018, n° 402434
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie Baron
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP LEVIS ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:402434.20181024
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