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05/10/2018 | FRANCE | N°408665

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 05 octobre 2018, 408665


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal de Dijon d'annuler la décision du 5 juillet 2012 par laquelle le préfet de l'Yonne l'a exclu du bénéfice du revenu de remplacement à compter du 13 septembre 2009 ainsi que la décision confirmant sur recours gracieux cette exclusion, d'enjoindre à l'Etat de faire procéder au versement de ce revenu du 1er juin 2011 au 14 juin 2012 et, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 30 513,42 euros au titre du préjudice subi. Par un jugement n° 1300179 du 4 décembre 2014, le tribunal administratif

de Dijon a rejeté sa demande.

Par une décision n° 388184 du 23 nov...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal de Dijon d'annuler la décision du 5 juillet 2012 par laquelle le préfet de l'Yonne l'a exclu du bénéfice du revenu de remplacement à compter du 13 septembre 2009 ainsi que la décision confirmant sur recours gracieux cette exclusion, d'enjoindre à l'Etat de faire procéder au versement de ce revenu du 1er juin 2011 au 14 juin 2012 et, subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 30 513,42 euros au titre du préjudice subi. Par un jugement n° 1300179 du 4 décembre 2014, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Par une décision n° 388184 du 23 novembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement du 4 décembre 2014 et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Dijon.

Par un jugement n° 1503197 du 5 janvier 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M.B....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 mars et 6 juin 2017 et le 20 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Dijon du 5 janvier 2017 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.B..., qui s'est inscrit comme demandeur d'emploi le 7 août 2009 à la suite de son licenciement pour motif économique par la société qui l'employait, a perçu le revenu de remplacement à compter du 13 septembre 2009. Par une décision du 5 juillet 2012, à laquelle s'est substituée la décision implicite rejetant son recours préalable obligatoire reçu le 30 juillet 2012, le préfet de l'Yonne l'a exclu du bénéfice du revenu de remplacement à compter du 13 septembre 2009. M. B...a demandé l'annulation de cette sanction au tribunal administratif de Dijon, qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 décembre 2014, annulé par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 23 novembre 2015. Il se pourvoit en cassation contre le jugement du 5 janvier 2017, rendu sur renvoi du Conseil d'Etat, par lequel le tribunal administratif de Dijon a de nouveau rejeté sa demande.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (...) renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation (...) ". Il résulte de ces dispositions que la formation de jugement appelée à délibérer à nouveau sur une affaire à la suite d'une annulation par le Conseil d'Etat de la décision précédemment prise sur cette même affaire ne peut comprendre aucun magistrat ayant participé au délibéré de cette décision, sauf impossibilité structurelle pour la juridiction à laquelle l'affaire a été renvoyée de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l'affaire.

3. Il ressort des mentions du jugement attaqué que la formation de jugement du tribunal administratif de Dijon qui a délibéré à nouveau sur la demande de M.B..., à la suite de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 23 novembre 2015, comprenait deux magistrats qui avaient participé au délibéré du jugement du 4 décembre 2014, alors qu'il n'existait pas d'impossibilité structurelle de statuer sur l'affaire dans une formation de jugement ayant une composition entièrement différente.

4. Par suite, M. B...est fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation. Le motif retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens de son pourvoi.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée :

6. L'article L. 5426-2 du code du travail prévoit, d'une part, que le revenu de remplacement auquel ont droit les travailleurs involontairement privés d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi peut être supprimé notamment en cas de fraude ou de fausse déclaration, et, d'autre part, que les sommes indûment perçues donnent lieu à remboursement.

7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 5426-6 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la sanction attaquée : " Lorsque les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3, ils le signalent sans délai au préfet, sans préjudice de l'exercice du pouvoir de radiation du directeur général de l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail (...) ". Aux termes de l'article R. 5426-7 du même code : " A la suite du signalement d'un manquement et, sous réserve des dispositions de l'article R. 5426-10, le préfet se prononce dans un délai de trente jours à compter de la réception d'un dossier complet. (...) ". Aux termes de l'article R. 5426-8 de ce code : " Lorsqu'il envisage de prendre une décision de suppression ou de réduction du revenu de remplacement, le préfet (...) informe l'intéressé qu'il a la possibilité, dans un délai de dix jours, de présenter ses observations écrites ou, si la sanction envisagée est une suppression du revenu de remplacement, d'être entendu par la commission prévue à l'article R. 5426-9 ". Enfin, aux termes de l'article R. 5426-10 : " La commission émet son avis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier complet. / Le préfet se prononce dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cet avis ".

8. Il résulte de ces dispositions que lorsque les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3, ils doivent le signaler au préfet, en lui transmettant dès que possible un dossier complet, et que celui-ci doit, pour se prononcer, respecter le délai de trente jours prévu à l'article R. 5426-7 à compter de la réception du dossier ou, si l'intéressé a demandé à présenter ses observations devant la commission prévue à l'article R. 5426-9, le délai de quinze jours, prévu à l'article R. 5426-10, suivant la réception de l'avis de cette commission. Eu égard aux garanties qui découlent, pour le bénéficiaire du revenu de remplacement, des délais ainsi prévus, la décision du préfet ne peut légalement intervenir, dans le délai qui lui est imparti, que si le temps écoulé entre le constat du manquement et le signalement au préfet, apprécié en tenant compte de l'ensemble des faits de l'espèce, n'est pas excessif.

9. Il résulte de l'instruction qu'ayant constaté, à la suite de contrôles effectués les 1er et 8 juin 2011, que M. B...avait omis de déclarer l'activité de directeur commercial qu'il avait exercée au sein de la société Paries de juin à novembre 2009, constituant l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3 du code du travail, Pôle emploi a cru pouvoir prendre, le 12 juillet 2011, une décision de suspension du revenu de remplacement, confirmée le 7 novembre 2011. Saisi par l'intéressé, le préfet de l'Yonne, compétent pour prononcer la suppression du revenu de remplacement, a retiré le 7 juin 2012 la décision de Pôle emploi puis, saisi par cette institution le 11 juin suivant, a informé M.B..., dans les conditions prévues à l'article R. 5426-8 du même code, qu'au vu du dossier qui lui avait été transmis par Pôle emploi, il envisageait de prendre une telle mesure à son encontre. Toutefois, lorsque le préfet a été saisi par Pôle emploi le 11 juin 2012, alors qu'aucune circonstance particulière ne faisait obstacle à une transmission plus rapide des éléments de nature à justifier le constat réalisé par les agents de cette institution, le temps écoulé depuis ce constat, en juin 2011, était excessif. M. B...est ainsi fondé à soutenir que la sanction qu'il attaque a été prise dans des conditions irrégulières.

10. En second lieu, une mesure de suppression du revenu de remplacement, prise sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 5426-2 et R. 5426-3 du code du travail, qui ne se borne pas à tirer les conséquences de ce que l'intéressé ne satisfait pas aux conditions légales auxquelles le revenu de remplacement est subordonné, revêt, en raison de ses motifs et des effets qui lui sont attachés, le caractère d'une sanction administrative. Par suite, et sans préjudice du reversement par l'intéressé des allocations indûment perçues, elle ne peut légalement prendre effet avant la notification à celui-ci de la décision initiale par laquelle le préfet la prononce. Dès lors, en fixant au 13 septembre 2009 la date d'effet de la suppression du revenu de remplacement de M.B..., par une décision du 5 juillet 2012 à laquelle s'est ultérieurement substituée la décision prise sur recours préalable obligatoire, le préfet de l'Yonne a entaché la mesure attaquée de rétroactivité illégale.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à demander l'annulation de la sanction qu'il attaque.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. M. B...demande qu'il soit enjoint au préfet de l'Yonne de faire procéder au versement des allocations chômage qui lui sont dues ou, à défaut, de condamner l'agent judiciaire du Trésor au paiement de la somme correspondante et, dans le dernier état de ses écritures, de condamner Pôle emploi à lui verser ces allocations. Toutefois, d'une part, l'annulation de la mesure attaquée, prise par le préfet, de suppression du revenu de remplacement n'implique par elle-même aucune mesure d'exécution incombant à l'Etat. D'autre part, s'il appartient à Pôle emploi de tirer les conséquences de la présente décision, une contestation sur ce point relèverait d'un litige distinct.

Sur les conclusions indemnitaires :

13. L'illégalité affectant la décision de suppression définitive du revenu de remplacement prise à l'encontre de M. B...constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, à la date de la présente décision, le préjudice dont il se prévaut, consistant dans la perte du revenu de remplacement auquel il avait droit, n'est, alors qu'il incombe à Pôle emploi de lui verser ce revenu si les conditions en sont remplies, que purement éventuel. Les conclusions indemnitaires de M. B...doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge, à ce titre, de Pôle emploi, qui n'est pas partie à la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 5 janvier 2017 est annulé.

Article 2 : La décision par laquelle le préfet de l'Yonne a confirmé sa décision du 5 juillet 2012 excluant M. B...du bénéfice du revenu de remplacement à compter du 13 septembre 2009 est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B...devant le tribunal administratif de Dijon est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée à Pôle emploi Bourgogne.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 408665
Date de la décision : 05/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE RÉGIME DE LA SANCTION ADMINISTRATIVE - RÉGULARITÉ - EXCLUSION DU REVENU DE REMPLACEMENT (ART - R - 5426-3 DU CODE DU TRAVAIL) [RJ1] - ILLÉGALITÉ SI LE TEMPS ÉCOULÉ ENTRE LE CONSTAT DU MANQUEMENT ET LE SIGNALEMENT AU PRÉFET - APPRÉCIÉ EN TENANT COMPTE DE L'ENSEMBLE DES FAITS DE L'ESPÈCE - EST EXCESSIF - EXISTENCE.

59-02-02-02 Il résulte des articles R. 5426-6, R. 5426-7, R. 5426-8 et R. 5426-10 du code du travail que lorsque les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3, ils doivent le signaler au préfet, en lui transmettant dès que possible un dossier complet, et que celui-ci doit, pour se prononcer, respecter le délai de trente jours prévu à l'article R. 5426-7 à compter de la réception du dossier ou, si l'intéressé a demandé à présenter ses observations devant la commission prévue à l'article R. 5426-9, le délai de quinze jours, prévu à l'article R. 5426-10, suivant la réception de l'avis de cette commission.... ...Eu égard aux garanties qui découlent, pour le bénéficiaire du revenu de remplacement, des délais ainsi prévus, la décision du préfet ne peut légalement intervenir, dans le délai qui lui est imparti, que si le temps écoulé entre le constat du manquement et le signalement au préfet, apprécié en tenant compte de l'ensemble des faits de l'espèce, n'est pas excessif.

TRAVAIL ET EMPLOI - POLITIQUES DE L'EMPLOI - INDEMNISATION DES TRAVAILLEURS PRIVÉS D'EMPLOI - EXCLUSION DU REVENU DE REMPLACEMENT (ART - R - 5426-3 DU CODE DU TRAVAIL) [RJ1] - ILLÉGALITÉ SI LE TEMPS ÉCOULÉ ENTRE LE CONSTAT DU MANQUEMENT ET LE SIGNALEMENT AU PRÉFET - APPRÉCIÉ EN TENANT COMPTE DE L'ENSEMBLE DES FAITS DE L'ESPÈCE - EST EXCESSIF - EXISTENCE.

66-10-02 Il résulte des articles R. 5426-6, R. 5426-7, R. 5426-8 et R. 5426-10 du code du travail que lorsque les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3, ils doivent le signaler au préfet, en lui transmettant dès que possible un dossier complet, et que celui-ci doit, pour se prononcer, respecter le délai de trente jours prévu à l'article R. 5426-7 à compter de la réception du dossier ou, si l'intéressé a demandé à présenter ses observations devant la commission prévue à l'article R. 5426-9, le délai de quinze jours, prévu à l'article R. 5426-10, suivant la réception de l'avis de cette commission.... ...Eu égard aux garanties qui découlent, pour le bénéficiaire du revenu de remplacement, des délais ainsi prévus, la décision du préfet ne peut légalement intervenir, dans le délai qui lui est imparti, que si le temps écoulé entre le constat du manquement et le signalement au préfet, apprécié en tenant compte de l'ensemble des faits de l'espèce, n'est pas excessif.


Références :

[RJ1]

Rappr., sur son caractère de sanction, CE, 23 février 2011, M.,, n° 332837, T. p. 760.


Publications
Proposition de citation : CE, 05 oct. 2018, n° 408665
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:408665.20181005
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