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03/10/2018 | FRANCE | N°422290

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 03 octobre 2018, 422290


Vu la procédure suivante :

La société Softposition, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 novembre 2016 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris lui a fait obligation de verser au Trésor public la somme de 4 511 118, 87 euros pour différents manquements constatés dans son activité de formation professionnelle continue, a produit un mémoire, enregistré le 8 février 2017 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soul

ève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnanc...

Vu la procédure suivante :

La société Softposition, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 novembre 2016 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris lui a fait obligation de verser au Trésor public la somme de 4 511 118, 87 euros pour différents manquements constatés dans son activité de formation professionnelle continue, a produit un mémoire, enregistré le 8 février 2017 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1702274 du 11 juillet 2018, enregistrée le 12 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le vice-président de la 3ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Softposition, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 6362-7-2 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail, notamment son article L. 6362-7-2 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Societe Softposition.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, tout homme est " présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ". Les principes énoncés par ces articles s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

3. Aux termes de l'article L. 6362-7-2 du code du travail : " Tout employeur ou prestataire de formation qui établit ou utilise intentionnellement des documents de nature à éluder l'une de ses obligations en matière de formation professionnelle ou à obtenir indûment le versement d'une aide, le paiement ou la prise en charge de tout ou partie du prix des prestations de formation professionnelle est tenu, par décision de l'autorité administrative, solidairement avec ses dirigeants de fait ou de droit, de verser au Trésor public une somme égale aux montants imputés à tort sur l'obligation en matière de formation ou indûment reçus ".

4. En premier lieu, d'une part, la sanction instaurée par ces dispositions réprime l'établissement ou l'utilisation intentionnelle de documents de nature à éluder les obligations de l'employeur en matière de formation professionnelle ou à obtenir indûment le versement d'une aide en ce domaine. En instituant une sanction d'un montant correspondant aux sommes imputées à tort sur l'obligation en matière de formation ou indûment reçues par le moyen de tels documents, le législateur a instauré une sanction dont la nature présente un lien avec celle du manquement réprimé et dont le montant n'est pas manifestement disproportionné.

5. D'autre part, le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, les autorités administratives et judiciaires compétentes devant veiller au respect de cette exigence.

6. L'article L. 6362-7-2 du code du travail réprime l'établissement ou l'usage intentionnel de documents frauduleux, pour éluder une obligation ou obtenir indûment une aide ou un paiement en matière de formation professionnelle, d'une amende correspondant aux sommes imputées à tort ou indûment reçues par ce moyen. Les articles 313-1, 313-2 et 313-9 du code pénal punissent l'escroquerie, dans l'ensemble de ses formes possibles, de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, portés à sept ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende lorsque, notamment, l'escroquerie est réalisée au préjudice d'une personne publique ou d'un organisme chargé d'une mission de service public, pour l'obtention d'une prestation, d'un paiement ou d'un avantage indu. Les personnes morales encourent le quintuple de l'amende et celle-ci peut être assortie de peines complémentaires, telles la fermeture des établissements ayant servi à commettre les faits incriminés, l'interdiction d'exercer une ou plusieurs activités, voire la dissolution. Les faits prévus et réprimés par les dispositions précitées du code du travail et par celles du code pénal sont ainsi susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente.

7. Il suit de là que les dispositions critiquées, qui doivent être appliquées conformément au principe rappelé au point 5, ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.

8. En deuxième lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail que le montant de la sanction qu'elles établissent est fonction de l'importance des sommes qui ont été imputées sur l'obligation en matière de formation ou reçues du fait de l'établissement ou de l'usage frauduleux de documents à cette fin. D'autre part, la décision de sanction doit être prise en tenant compte des observations de l'intéressé et celui-ci peut en saisir le juge, lequel peut, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, annuler la décision prononçant la sanction dans la mesure où son montant ne serait pas proportionné aux sommes imputées à tort ou indûment reçues du fait du comportement réprimé. Ainsi, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

9. En dernier lieu, les dispositions précitées de l'article L. 6362-7-2 prévoient que les dirigeants de fait ou de droit de l'employeur ou du prestataire de formation visé par la sanction sont solidairement tenus au paiement de la pénalité. La solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction. Elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public. Conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires. Ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Il s'ensuit que le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance du principe, résultant de ces articles, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Paris.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Softposition et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Paris.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 422290
Date de la décision : 03/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE RÉGIME DE LA SANCTION ADMINISTRATIVE - SANCTION AU TITRE DE L'ÉTABLISSEMENT OU DE L'USAGE DE DOCUMENTS PERMETTANT D'ÉLUDER LES OBLIGATIONS LÉGALES EN MATIÈRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE (ART - L - 6362-7-2 DU CODE DU TRAVAIL) - MONTANT ÉTABLI EN FONCTION DES SOMMES IMPUTÉES SUR L'OBLIGATION OU REÇUES DU FAIT DE CES DOCUMENTS UNIQUEMENT.

59-02-02 Il résulte de l'article L. 6362-7-2 du code du travail que le montant de la sanction qu'il établit est fonction de l'importance des sommes qui ont été imputées sur l'obligation en matière de formation ou reçues du fait de l'établissement ou de l'usage frauduleux de documents à cette fin.

TRAVAIL ET EMPLOI - FORMATION PROFESSIONNELLE - PARTICIPATION DES EMPLOYEURS AU DÉVELOPPEMENT DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE - SANCTION AU TITRE DE L'ÉTABLISSEMENT OU DE L'USAGE DE DOCUMENTS PERMETTANT D'ÉLUDER L'OBLIGATION LÉGALE (ART - L - 6362-7-2 DU CODE DU TRAVAIL) - MONTANT ÉTABLI EN FONCTION DES SOMMES IMPUTÉES SUR L'OBLIGATION OU REÇUES DU FAIT DE CES DOCUMENTS UNIQUEMENT.

66-09-04 Il résulte de l'article L. 6362-7-2 du code du travail que le montant de la sanction qu'il établit est fonction de l'importance des sommes qui ont été imputées sur l'obligation en matière de formation ou reçues du fait de l'établissement ou de l'usage frauduleux de documents à cette fin.


Références :

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Publications
Proposition de citation : CE, 03 oct. 2018, n° 422290
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thibaut Félix
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:422290.20181003
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