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26/07/2018 | FRANCE | N°411481

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 26 juillet 2018, 411481


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 juin 2017 et 5 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association European Technology and Travel Services Association (ETTSA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 avril 2017 du ministre de l'économie et des finances et de la secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire relatif à l'information sur les prix des prestations de certains services de t

ransport public collectif de personnes ;

2°) de mettre à la charge de l'E...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 juin 2017 et 5 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association European Technology and Travel Services Association (ETTSA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 avril 2017 du ministre de l'économie et des finances et de la secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire relatif à l'information sur les prix des prestations de certains services de transport public collectif de personnes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive (CE) n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 ;

- le règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 ;

- la directive n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- la directive n° 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

- le code de la consommation ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Malverti, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'association European Technology and Travel Services Association ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juillet 2018, présentée par l'association ETTSA ;

1. Considérant que le ministre de l'économie et des finances et la secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale ont pris le 10 avril 2017 un arrêté relatif à l'information sur les prix des prestations de certains services de transport public collectif de personnes ; que cet arrêté, pris sur le fondement de l'article L. 121-1 du code de la consommation relatif à l'information des consommateurs sur les prix et conditions de vente, a pour objet de définir les obligations d'information sur les prix des prestations de transport public collectif de personnes, notamment sur les éventuelles réductions liées à l'utilisation de certains instruments de paiement ainsi que sur les taxes et redevances applicables ; que l'association European Technology and Travel Services Association (ETTSA) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;

Sur la légalité externe :

2. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 614-2 du code monétaire et financier prévoit la consultation du comité consultatif de la législation et de la réglementation financières sur tout projet d'arrêté " traitant de questions relatives au secteur de l'assurance, au secteur bancaire, aux émetteurs de monnaie électronique, aux prestataires de services de paiement et aux entreprises d'investissement, à l'exception des textes portant sur l'Autorité des marchés financiers ou entrant dans les compétences de celle-ci " ; que l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme traitant de telles questions ; que, dès lors, ses auteurs avaient la faculté d'apporter au projet, après avoir choisi de consulter le comité consultatif de la législation et de la réglementation financières, toutes les modifications qui leur paraissaient utiles, quelle qu'en fût l'importance, sans avoir à saisir à nouveau cet organisme ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses auraient été prises à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que la consultation de ce comité n'avait pas un caractère obligatoire ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, le projet d'arrêté soumis au conseil national de la consommation comportait les modifications intégrées dans la version définitive relatives aux conditions pour déroger à l'interdiction d'affichage des réductions liées à l'utilisation d'un moyen de paiement donné ainsi qu'au délai accordé aux personnes autres que les transporteurs pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation en ce qui concerne l'obligation d'information sur le montant des taxes et redevances remboursables ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la consultation de cet organisme aurait été irrégulière ;

4. Considérant, en troisième lieu, que l'article 5 de la directive 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information prévoit que : " les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet " ; que, selon le même article, une " règle relative aux services " est " une exigence de nature générale relative à l'accès aux activités de services (...) et à leur exercice (...), à l'exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point. / Aux fins de la présente définition : / i) une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l'information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services ; / ii) une règle n'est pas considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l'information si elle ne concerne ces services que d'une manière implicite ou incidente " ;

5. Considérant que les règles définies par l'arrêté attaqué visent l'ensemble des personnes qui distribuent des titres de transport ou qui procèdent à des annonces de prix relatives à ces titres de transports et non spécifiquement les plateformes de réservation en ligne ; que les dispositions de l'arrêté litigieux ne constituent donc pas des règles relatives aux services de la société de l'information au sens de la directive 2015/1535 ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté qu'elle attaque est entaché d'un vice de procédure au motif qu'il aurait dû être notifié à la Commission européenne ;

Sur la légalité interne :

6. Considérant, en premier lieu, que le champ d'application de l'arrêté attaqué correspond à celui de l'article L. 112-1 du code de la consommation, qui en constitue le fondement légal ; que, dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté méconnaîtrait l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté de la loi et le principe de légalité des délits et des peines faute de préciser son champ d'application territorial ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que, comme le prévoit le paragraphe 2 de son article 3, la directive n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur " s'applique sans préjudice du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats " ; que le paragraphe 4 de l'article 3 de cette directive prévoit qu'" en cas de conflit entre les dispositions de la présente directive et d'autres règles communautaires régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s'appliquent à ces aspects spécifiques " ;

8. Considérant que les articles 5 et 6 de l'arrêté litigieux encadrent les modalités selon lesquelles les réductions liées à l'utilisation de certains moyens de paiement doivent être portées à la connaissance des consommateurs ; que ces dispositions ont été prises sur le fondement de l'article L. 112-1 du code de la consommation, auquel renvoie l'article L. 111-1 de ce code relatif à l'obligation générale d'information précontractuelle des consommateurs, qui pose une règle relative à la formation du contrat, non une règle encadrant des pratiques commerciales ; que l'article L. 112-1 du code de la consommation transpose la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, qui procède au rapprochement des législations relatives aux contrats conclus entre les consommateurs et les professionnels et dont les articles 5 et 6 imposent au professionnel, avant que le consommateur ne lui soit lié par contrat, de fournir à celui-ci une série d'informations, dont le prix du bien ou du service ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions des articles 5 et 6 de l'arrêté attaqué n'entrent pas dans le champ d'application de la directive n° 2005/29/CE ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cette directive ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article 5 de l'arrêté attaqué, qui prévoient la possibilité d'indiquer un prix incluant une réduction pour l'utilisation d'un instrument de paiement donné, à condition que le professionnel soit en mesure de justifier que cet instrument est " celui le plus couramment utilisé parmi les destinataires de l'annonce ", ne sont pas équivoques et sont suffisamment précises ; qu'ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, elles ne méconnaissent, pour ce motif, ni l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ni le principe de légalité des délits et des peines ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que l'article 23 du règlement (CE) 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté prévoit que les montants dus par les clients au titre des taxes, des redevances aéroportuaires ainsi que des autres redevances, suppléments et droits doivent figurer, de manière séparée, dans les tarifs des services aériens de passagers ; que ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, ne s'opposent pas à ce que les États membres réglementent des aspects relatifs au contrat de transport aérien, en particulier aux fins de protéger les consommateurs contre des pratiques abusives, à condition de ne pas remettre en cause les dispositions tarifaires du règlement ; que l'article 7 de l'arrêté attaqué, qui se borne à prévoir l'obligation d'indiquer au consommateur, avant la conclusion du contrat, le montant des taxes et redevances remboursables dans le cas où il n'embarquerait pas, ne remet pas en cause les dispositions tarifaires du règlement nº 1008/2008 ; que, par suite, les moyens tirés de ce que l'article 7 de l'arrêté attaqué méconnaîtrait ce règlement ainsi que les principes d'intelligibilité et de clarté de la norme en prévoyant des obligations allant au-delà du règlement sans en écarter l'application ne peuvent qu'être écartés ;

11. Considérant, en cinquième lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, l'article 7 de l'arrêté attaqué ne méconnaît pas le principe de responsabilité personnelle, garanti par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droit de l'homme et du citoyen, dès lors que la responsabilité des agences de voyage ne peut être engagée qu'en raison de la méconnaissance des obligations d'information qu'il met à leur charge ;

12. Considérant, en sixième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 7 de l'arrêté attaqué aurait pour effet de mettre automatiquement les compagnies aériennes en situation d'abuser d'une position dominante sur le marché de la délivrance des billets d'avion ;

13. Considérant, en septième lieu, que l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante ; qu'en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ; que, toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi lorsque l'application immédiate des règles nouvelles, de fond ou de procédure, entraînerait, au regard de leur objet ou de leurs effets, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ;

14. Considérant qu'en prévoyant l'entrée au vigueur de l'article 7 de l'arrêté attaqué le 1er juillet 2017, soit près de trois mois après la publication de l'arrêté au Journal officiel, le pouvoir réglementaire a laissé aux acteurs concernés un délai raisonnable pour s'adapter à la modification de la réglementation ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté qu'elle attaque méconnaîtrait, pour ce motif, le principe de sécurité juridique ni, en tout état de cause, le principe de confiance légitime ;

15. Considérant, en huitième lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le droit de la concurrence ainsi que les objectifs de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

16. Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait la liberté de prestation de services n'est pas non plus assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association ETTSA est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association ETTSA et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 411481
Date de la décision : 26/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2018, n° 411481
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Malverti
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:411481.20180726
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