Vu la procédure suivante :
La SNC Jacques Cros et Cie a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer, d'une part, la décharge des rappels de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquels elle a été assujettie, au titre des années 2008, 2009 et 2010, dans les rôles de la commune de Payrin-Augmontel (Tarn), d'autre part, la restitution des cotisations de cette taxe auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013 et, enfin, le dégrèvement partiel de la taxe mise à sa charge au titre de l'année 2014. Par un jugement nos 1200472, 1405792 et 1500184 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté comme irrecevables les conclusions de sa demande présentées au titre des années 2011 et 2012, réduit les bases de la taxe due au titre des années 2009, 2010, 2013 et 2014 à concurrence de la valeur locative du canal d'amenée d'eau, accordé les réductions de taxe correspondantes et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
Par une ordonnance n° 16BX03755 du 23 mars 2017, enregistrée le 28 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, les conclusions du pourvoi, enregistré le 28 novembre 2016 au greffe de cette cour, présenté par la SNC Jacques Cros et Cie contre ce jugement.
Par ce pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mai 2017 et 6 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SNC Jacques Cros et Cie demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Jacques Cros et Cie.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement :
1. Aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller ou ayant une ancienneté minimale de deux ans statue en audience publique et après audition du rapporteur public, sous réserve de l'application de l'article R. 732-1-1 : / (...) 5° Sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale ". Aux termes de l'article R. 741-7 du même code : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier, faute pour la minute d'être revêtue des signatures requises, manque en fait, dès lors que la minute du jugement a été signée par le magistrat désigné en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative et par le greffier d'audience.
2. Le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur les conclusions de la société requérante tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2009 manque également en fait, dès lors qu'il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif a fait partiellement droit à ces conclusions en excluant de la valeur locative des installations le prix de revient du canal et en a rejeté le surplus par des motifs suffisamment étayés.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui sont expressément exonérées par les dispositions du présent code ". Aux termes de l'article 1381 du même code : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : 1° Les installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits ainsi que les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub, les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation ; 2° Les ouvrages d'art et les voies de communication (...) ". Aux termes de l'article 1382 du même code: " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : ... 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés aux 1° et 2° de l'article 1381 ". Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Après avis des conseils généraux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / (...) 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, pour déterminer la valeur locative des installations d'une centrale hydroélectrique située sur la rivière Le Thoré dans la commune de Payrin-Augmontel (Tarn) au titre desquelles la SNC Jacques Cros et Cie a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties, l'administration a tenu compte de la passe à poissons située en bordure du barrage aménagé en amont de l'usine. Selon les pièces produites devant le tribunal administratif par la requérante, cette construction consiste en un couloir maçonné divisé par des cloisons latérales formant une succession de bassins intermédiaires, mesurant selon elle trois à quatre mètres de long et un mètre cinquante de large, dont le coût d'installation s'est élevé à 73 396 euros. Compte tenu de la nature de cet ouvrage, de son importance et de sa fixité au sol, le tribunal n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que cette passe à poissons devait être regardée comme une véritable construction entrant dans le champ d'application du 1° de l'article 1381 précité du code général des impôts, alors même qu'elle était située dans le lit de la rivière et à une distance de 600 mètres du bâtiment abritant l'usine hydroélectrique, qu'elle avait été emportée par une crue en 2011, qu'elle ne produisait par elle-même aucun revenu et qu'elle résultait d'une obligation légale imposée aux propriétaires des ouvrages installés sur les cours d'eau en application des dispositions précitées du code de l'environnement.
5. En second lieu, aux termes de l'article 1389 du code général des impôts : " I. - Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l'inexploitation a pris fin. / Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible de location ou d'exploitation séparée (...) ". Aux termes de l'article R. 196-2 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de l'année suivant, selon le cas : a) L'année de la mise en recouvrement du rôle ; b) L'année de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (...)". Aux termes de l'article R. 196-5 du même livre : " Les dégrèvements de taxe foncière prévus par l'article 1389 du code général des impôts pour vacance d'une maison ou inexploitation d'un immeuble à usage industriel ou commercial, doivent être demandés au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle la vacance ou l'inexploitation atteint la durée minimum exigée. ".
6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'administration avait opposé l'irrecevabilité des conclusions de la société requérante en ce qui concerne les cotisations de taxe foncière dues au titre des années 2011 et 2012, en faisant valoir que ses réclamations avaient été présentées pour la première fois le 25 septembre 2014, soit au-delà des délais prévus aux articles R. 196-2 et R. 196-5 précités du livre des procédures fiscales. Toutefois, ainsi que l'avait d'ailleurs admis l'administration dans le dernier état de ses écritures devant le tribunal administratif, la société requérante avait sollicité un dégrèvement pour inexploitation d'immeuble au titre de l'année 2011, en application de l'article 1389 du code général des impôts, par une réclamation en date du 28 novembre 2011. Dès lors, la société est fondée à soutenir qu'en jugeant que les conclusions portant sur la taxe foncière due au titre de l'année 2011 étaient irrecevables en raison de la tardiveté de sa réclamation, le tribunal administratif de Toulouse a dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit. Par suite, son jugement doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions présentées par la société Jacques Cros et Cie, sur le fondement de l'article 1389 du code général des impôts, au titre de l'année 2011.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée au point 6.
8. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté qu'à la suite d'une crue majeure de la rivière Le Thoré survenue en mars 2011, la totalité des installations de la centrale hydroélectrique a été rendue inexploitable durant le reste de l'année pour un motif indépendant de la volonté de son propriétaire. La circonstance que le bien ait été donné en location-gérance ne fait pas obstacle à ce que ce dernier soit regardé comme ayant utilisé lui-même cet immeuble à usage industriel au sens et pour l'application de l'article 1389 précité du code général des impôts. Par suite, la SNC Jacques Cros et Cie est fondée à obtenir la décharge de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011 à proportion de la partie de l'année concernée, soit la somme de 14 823 euros.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SNC Jacques Cros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 septembre 2016 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par la SNC Jacques Cros et Cie, sur le fondement de l'article 1389 du code général des impôts, au titre de l'année 2011.
Article 2 : La SNC Jacques Cros et Cie est déchargée de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011 à hauteur de la somme de 14 823 euros.
Article 3 : L'Etat versera à la SNC Jacques Cros et Cie la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SNC Jacques Cros et Cie et au ministre de l'action et des comptes publics.