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30/05/2018 | FRANCE | N°402919

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 30 mai 2018, 402919


Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 à raison des locaux dont ils sont usufruitiers sur la commune de Paimpol et qui sont exploités par la SARL Ferme Marine du Trieux. Par un jugement n° 1401840 du 29 juin 2016, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 29 août et 29 novembre 2016 au

secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B...demandent au Cons...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 à raison des locaux dont ils sont usufruitiers sur la commune de Paimpol et qui sont exploités par la SARL Ferme Marine du Trieux. Par un jugement n° 1401840 du 29 juin 2016, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 29 août et 29 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme A...B....

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

2. En l'espèce, il ressort du relevé de l'application " Sagace " que le sens des conclusions du rapporteur public sur l'affaire en litige a été porté à la connaissance des parties à 17 heures le 31 mai 2016, alors que l'audience publique devait se tenir à 10 heures le 1er juin 2016. Dans les circonstances de l'espèce, les requérants ne peuvent être regardés comme ayant été mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, le sens de ces conclusions. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et qu'il doit, dès lors, être annulé.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

4. M. et Mme B...sont usufruitiers de locaux situés sur la commune de Paimpol, qu'ils ont confiés à bail à la SARL Ferme Marine du Trieux. Cette société exploite des installations d'élevage, de transformation et de commercialisation de truites arc-en-ciel qu'elle élève dans des cages immergées dans l'estuaire du Trieux. M. et Mme B...ont fait l'objet, au titre des années 2012 et 2013, d'une imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des locaux affectés à l'abattage, au filetage, au salage et au fumage des produits de cet élevage, ainsi que des locaux d'habitation occupés par les gérants de la SARL. Se prévalant de l'exonération prévue par les dispositions du 6° de l'article 1382 du code général des impôts, ils ont demandé à l'administration fiscale, qui a rejeté leur réclamation, de prononcer la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles ils ont été assujettis au titre de ces années.

5. Aux termes de l'article 1382 du code général des impôts : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : (...) 6° a. Les bâtiments qui servent aux exploitations rurales tels que granges, écuries, greniers, caves, celliers, pressoirs et autres, destinés, soit à loger les bestiaux des fermes et métairies ainsi que le gardien de ces bestiaux, soit à serrer les récoltes. / L'exonération est toutefois maintenue lorsque ces bâtiments ne servent plus à une exploitation rurale et ne sont pas affectés à un autre usage (...). ". Il résulte de ces dispositions que l'exonération qu'elles prévoient s'applique aux bâtiments affectés à un usage agricole, c'est-à-dire à la réalisation d'opérations qui s'insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale ou qui constituent le prolongement de telles opérations. La circonstance que les opérations en cause puissent avoir pour effet de transformer le produit de l'exploitation de telle sorte que celui-ci présente des caractéristiques physiques différentes de celles de la matière première non transformée dont il est issu ne fait pas obstacle à ce qu'elles soient regardées comme s'inscrivant dans le prolongement d'une activité agricole, dès lors qu'elles n'impliquent pas l'adjonction, dans des proportions substantielles, de produits qui ne seraient pas issus, quant à eux, de cette même activité.

6. Il est constant que la SARL Ferme Marine du Trieux réalise des opérations de filetage, de salage et de fumage des truites arc-en-ciel qu'elle élève. Ces opérations ont pour objet de permettre, dans la continuité de l'activité de production piscicole de la SARL, la conservation et la commercialisation des produits qui en sont issus. La circonstance que certaines d'entre elles aient pour effet de transformer le produit de l'exploitation de telle sorte que celui-ci présente des caractéristiques physiques différentes de celles de la matière première non transformée dont il est issu ne fait pas obstacle à ce qu'elles soient regardées comme s'inscrivant dans le prolongement de l'activité agricole de la SARL Ferme Marine du Trieux, dès lors qu'elles n'impliquent pas l'adjonction, dans des proportions substantielles, de produits qui ne seraient pas issus, quant à eux, de l'activité de production piscicole de la société. Il suit de là que M. et Mme B...sont fondés à demander la décharge des cotisations de taxe foncière auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 à raison des locaux affectés par la SARL Ferme Marine du Trieux à la transformation des produits issus de son exploitation.

7. En revanche, les gérants de la SARL Ferme Marine du Trieux ne peuvent être regardés comme étant " gardiens de bestiaux " au sens des dispositions, citées au point 5, de l'article 1382 du code général des impôts. En conséquence, la demande de décharge de M. et Mme B...ne peut qu'être rejetée en tant qu'elle concerne leurs locaux d'habitation.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 janvier 2016 est annulé.

Article 2 : M. et Mme B...sont déchargés de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 à raison des locaux affectés par la Ferme Marine du Trieux à la transformation des produits issus de son activité piscicole.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. et Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande de M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Rennes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B...et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402919
Date de la décision : 30/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-03-01-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES. TAXES FONCIÈRES. TAXE FONCIÈRE SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES. - EXONÉRATION EN FAVEUR DES BÂTIMENTS AFFECTÉS À UN USAGE AGRICOLE (ART. 1382, 6° DU CGI) - 1) NOTION D'USAGE AGRICOLE - RÉALISATION D'OPÉRATIONS QUI S'INSÈRENT DANS LE CYCLE BIOLOGIQUE DE LA PRODUCTION ANIMALE OU VÉGÉTALE OU CONSTITUENT LE PROLONGEMENT DE TELLES OPÉRATIONS - CIRCONSTANCE QUE CES OPÉRATIONS PUISSENT AVOIR POUR EFFET DE TRANSFORMER LE PRODUIT DE L'EXPLOITATION - CIRCONSTANCE SANS INCIDENCE DÈS LORS QUE CETTE TRANSFORMATION N'IMPLIQUE PAS L'ADJONCTION DANS DES PROPORTIONS SUBSTANTIELLES DE PRODUITS QUI NE SERAIENT PAS ISSUS DE L'ACTIVITÉ AGRICOLE EN CAUSE [RJ1] - 2) ESPÈCE - OPÉRATIONS DE FILETAGE, SALAGE ET FUMAGE DE TRUITES ARC-EN-CIEL - INCLUSION.

19-03-03-01-04 1) Il résulte du 6° de l'article 1382 du code général des impôts (CGI) que l'exonération qu'il prévoit s'applique aux bâtiments affectés à un usage agricole, c'est-à-dire à la réalisation d'opérations qui s'insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale ou qui constituent le prolongement de telles opérations. La circonstance que les opérations en cause puissent avoir pour effet de transformer le produit de l'exploitation de telle sorte que celui-ci présente des caractéristiques physiques différentes de celles de la matière première non transformée dont il est issu ne fait pas obstacle à ce qu'elles soient regardées comme s'inscrivant dans le prolongement d'une activité agricole, dès lors qu'elles n'impliquent pas l'adjonction, dans des proportions substantielles, de produits qui ne seraient pas issus, quant à eux, de cette même activité.,,,2) Société réalisant des opérations de filetage, de salage et de fumage des truites arc-en-ciel qu'elle élève. Ces opérations ont pour objet de permettre, dans la continuité de son activité de production piscicole, la conservation et la commercialisation des produits qui en sont issus. La circonstance que certaines d'entre elles aient pour effet de transformer le produit de l'exploitation de telle sorte que celui-ci présente des caractéristiques physiques différentes de celles de la matière première non transformée dont il est issu ne fait pas obstacle à ce qu'elles soient regardées comme s'inscrivant dans le prolongement de l'activité agricole de la société, dès lors qu'elles n'impliquent pas l'adjonction, dans des proportions substantielles, de produits qui ne seraient pas issus, quant à eux, de l'activité de production piscicole de la société. Décharge des cotisations de taxe foncière auxquelles avaient été assujettis les requérants à raison des locaux affectés par la société à la transformation des produits issus de son exploitation.


Références :

[RJ1]

Cf., s'agissant d'opérations incluant une part de transformation reconnues comme constituant le prolongement d'une activité s'insérant dans le cycle biologique de la production animale ou végétale, CE, 11 avril 1973, min. c/ Société Mesrine et Vasquez, n° 85843, p. 298 ;

CE, 4 juin 1976, Association des viticulteurs de Côte-d'Or, n° 98863, p. 298 ;

CE, 31 décembre 2008, Sté coopérative fromagère de Planèze, n° 308998, inédite au Recueil ;

CE, 31 décembre 2008, Sté coopérative laitière de Neuvéglise, n° 309036, inédite au Recueil ;

CE, 31 décembre 2008, Société coopérative agricole Opalin, n° 292723, T. p. 694 ;

CE, 21 novembre 2011, min. c/ SCA de Broons, n° 338224, T. pp. 879-883 ;

CE, 14 octobre 2015, Société Champagne Pierre Gerbais, n° 378329, T. p. 635.

Cf. sol. contr., CE 25 février 1987, Min. c/ Coopérative agricole La Noëlle Ancenis, n° 68157, T. p. 683. Comp., en matière de taxe professionnelle, CE, 30 novembre 1988, Min. c/ Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est, n° 466416 87945, p. 429.


Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2018, n° 402919
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:402919.20180530
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