Vu la procédure suivante :
La commune de Ploudiry, en défense au déféré du préfet du Finistère tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de sa délibération du 12 décembre 2016 portant régime indemnitaire des agents de la commune, a produit un mémoire, enregistré le 20 février 2018 au greffe du tribunal administratif de Rennes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une intervention, enregistrée le 23 février 2018 au greffe du tribunal administratif de Rennes, le centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère est venu au soutien des conclusions en défense de la commune de Ploudiry et, par un mémoire séparé, enregistré le même jour, est intervenu au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune.
Par une ordonnance n° 1702476 du 28 février 2018, enregistrée le 2 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Rennes, avant qu'il soit statué sur le déféré du préfet du Finistère, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un nouveau mémoire, enregistré le 13 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Ploudiry, à laquelle s'associe le centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère par la voie de l'intervention, soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, applicables au litige, méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution.
Par un mémoire, enregistré le 26 avril 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.
Par un mémoire, enregistré le 17 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics déclare s'associer aux écritures du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Ploudiry ;
Considérant ce qui suit :
1. Le centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère, qui est intervenu en défense dans le cadre de l'action principale, doit être regardé comme justifiant, en sa qualité d'établissement public local chargé d'une mission d'assistance et de conseil aux collectivités qui lui sont obligatoirement affiliées, portant notamment sur les questions statutaires d'emploi, d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions en défense de la commune de Ploudiry. Dès lors, son intervention au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Ploudiry à l'appui de ces conclusions doit être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.
2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel des agents. Lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat ".
4. En premier lieu, seules les deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction issue de la loi du 20 avril 2016, mentionnées au point 3, qui encadrent la liberté des organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dans la fixation des régimes indemnitaires de leurs agents, sont applicables au litige.
5. En deuxième lieu, ces mêmes dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. En troisième lieu, si la seconde phrase du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée prévoit la faculté pour les collectivités territoriales de tenir compte, pour la fixation des indemnités, des conditions d'exercice des fonctions et de la manière de servir des agents, la dernière phrase de ce premier alinéa leur impose, lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, que l'indemnité se compose de deux parts, dont l'une prend en compte les conditions d'exercice des fonctions et l'autre la manière de servir. Il résulte, en outre, de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en application de laquelle a été pris le décret du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'Etat, dont les dispositions précitées de l'article 88 ont pour objet de permettre la transposition à la fonction publique territoriale, que l'instauration au sein de ce régime d'une part relative à l'engagement professionnel des agents n'est qu'une simple faculté pour l'Etat, dont la mise en oeuvre relève du pouvoir réglementaire. Par suite, le moyen tiré par la commune de Ploudiry de ce que les dispositions instaurant de manière inconditionnelle l'obligation de prévoir un régime indemnitaire incluant une part relative à l'engagement professionnel de l'agent, lorsque tel est le cas pour les services de l'Etat servant de référence, ne comportent pas l'énoncé de garanties propres à prévenir une entrave à l'exercice du libre choix des collectivités territoriales dans l'établissement du régime indemnitaire de leurs agents et portent, ainsi, atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales affirmé par le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre des deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction issue de la loi du 20 avril 2016.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Ploudiry, au centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au tribunal administratif de Rennes.