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09/05/2018 | FRANCE | N°409161

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 09 mai 2018, 409161


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 22 décembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de Me A...B..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global Facility Services, dirigées contre l'arrêt n° 15PA03729 de la cour administrative d'appel de Paris du 19 janvier 2017 en tant seulement que cet arrêt s'est prononcé sur la décision du préfet de la région d'Ile-de-France du 15 novembre 2013 en ce qu'elle ordonne à la société Française de services groupe de verser au Trésor public

une somme de 187 622 euros en application de l'article L. 6331-31 du cod...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 22 décembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de Me A...B..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global Facility Services, dirigées contre l'arrêt n° 15PA03729 de la cour administrative d'appel de Paris du 19 janvier 2017 en tant seulement que cet arrêt s'est prononcé sur la décision du préfet de la région d'Ile-de-France du 15 novembre 2013 en ce qu'elle ordonne à la société Française de services groupe de verser au Trésor public une somme de 187 622 euros en application de l'article L. 6331-31 du code du travail.

Le pourvoi a été communiqué au ministre du travail, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 ;

- la décision du 22 septembre 2017 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MeB... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, auditeur,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de MeB....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Française de services groupe (FSG), devenue Global facility services, qui avait une activité de prestations de service de nettoyage dans le domaine hôtelier, a fait l'objet d'un contrôle du respect de ses obligations en matière de formation professionnelle continue au titre des exercices 2009 à 2012. Par une décision du 15 novembre 2013, prise sur recours administratif préalable obligatoire, le préfet de la région d'Ile-de-France a ordonné à cette société de verser notamment une somme de 187 622 euros, pour défaut de consultation du comité d'entreprise, en application de l'article L. 6331-31 du code du travail. Par un jugement du 13 juillet 2015, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision en tant qu'elle ordonnait le versement de cette somme et déchargé la société de son paiement. Par un arrêt du 19 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Paris, sur l'appel incident du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a annulé ce jugement dans cette mesure et rejeté les conclusions présentées à ce titre par la société devant le tribunal. Par une décision du 22 décembre 2017, le Conseil d'État statuant au contentieux a admis les conclusions du pourvoi en cassation formé par Me A...B..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global facility services, dirigées contre cette partie de l'arrêt de la cour.

2. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ". Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne qui, selon l'appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires. Dès lors, sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s'est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi pénale plus douce soit rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée. Ce principe s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle.

3. Il appartient ainsi au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.

4. L'article L. 6331-12 du code du travail dispose, dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2017, que les employeurs de cinquante salariés et plus ne peuvent être regardés comme s'étant conformés à leurs obligations en matière de participation au développement de la formation professionnelle continue s'ils ne peuvent justifier, sauf à produire un procès-verbal de carence, que le comité d'entreprise a délibéré sur les problèmes propres à l'entreprise relatifs à la formation professionnelle continue. Aux termes de l'article L. 6331-31 du même code, abrogé par le 11° du I de l'article 10 de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, l'employeur de cinquante salariés et plus " atteste sur l'honneur qu'il a satisfait à l'obligation de consultation du comité d'entreprise prévue à l'article L. 6331-12. À la demande de l'administration, il produit les procès-verbaux justifiant du respect de cette obligation. / À défaut, le montant des dépenses ou contributions auquel il est tenu par l'article L. 6331-19 est majoré de 50 %. (...) ". Selon le paragraphe III du même article 10 de la loi du 5 mars 2014 : " Les I et II du présent article entrent en vigueur au 1er janvier 2015. Ils s'appliquent à la collecte des contributions dues au titre de l'année 2015 ".

5. La majoration prévue par les dispositions de l'article L. 6331-31 du code du travail, ayant pour objet de réprimer le défaut de consultation du comité d'entreprise sur les problèmes propres à l'entreprise en matière de formation professionnelle continue, était une sanction ayant le caractère d'une punition. D'une part, si le législateur a procédé à son abrogation, par voie de conséquence de celle de l'article L. 6331-19 relatif à l'obligation de financement d'actions de formation au bénéfice de leurs salariés qui pesait sur les employeurs, il a toutefois maintenu l'obligation de procéder à la consultation du comité d'entreprise. Il n'a ainsi pas supprimé une répression inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle se substituait mais a considéré que cette sanction n'était plus nécessaire. D'autre part, en fixant, par le III de l'article 10 de la loi du 5 mars 2014, au 1er janvier 2015 l'entrée en vigueur de l'ensemble des modifications apportées par les paragraphes I et II du même article aux dispositions du code du travail et du code général des impôts relatives à la formation professionnelle continue, et en prévoyant que ces modifications s'appliquaient à la collecte des contributions dues au titre de l'année 2015, le législateur a seulement entendu préciser les modalités d'entrée en vigueur de la réforme de la participation des employeurs au développement de la formation qu'il opérait et non déroger au principe d'application immédiate de la loi pénale plus douce en maintenant en vigueur les dispositions relatives aux sanctions antérieurement prononcées.

6. Par suite, en jugeant, par son arrêt du 19 janvier 2017, que les dispositions de l'article L. 6331-31 du code du travail, fondement de la sanction infligée à la société Française de services groupe, étaient toujours applicables aux manquements commis au cours des années 2009 à 2012, la cour a commis une erreur de droit. Son arrêt doit, dès lors, être annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la décision du préfet de la région d'Île-de-France du 15 novembre 2013 en ce qu'elle ordonne à la société le versement d'une somme de 187 622 euros en application de l'article L. 6331-31 du code du travail.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond au titre du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le ministre chargé du travail n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a relevé que les dispositions de l'article L. 6331-31 du code du travail, fondement de la sanction infligée à la société Française de services groupe, n'étaient plus susceptibles d'être appliquées à la date à laquelle il statuait et qu'en conséquence la décision attaquée devait être annulée en ce qu'elle ordonnait à la société Française de services groupe de verser une somme de 187 622 euros en application de ce même article. L'appel incident que ce ministre forme doit, ainsi, être rejeté.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à MeB..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global Facility Services, d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 janvier 2017 est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la décision du préfet de la région d'Ile-de-France du 15 novembre 2013 en ce qu'elle ordonne à la société Française de services groupe de verser au Trésor public une somme de 187 622 euros en application de l'article L. 6331-31 du code du travail.

Article 2 : Les conclusions du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social présentées, par la voie de l'appel incident, devant la cour administrative d'appel de Paris sont rejetées.

Article 3 : L'Etat versera à MeB..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global facility services, une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Me A...B..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Global facility services, et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 409161
Date de la décision : 09/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 mai. 2018, n° 409161
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dorothée Pradines
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:409161.20180509
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