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26/04/2018 | FRANCE | N°400477

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 26 avril 2018, 400477


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 16 février 2015 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande tendant à l'attribution de la bonification pour enfant et d'enjoindre au service des pensions de réexaminer sa demande conformément aux textes en vigueur dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir, d'autre part, de l'indemniser du préjudice moral et financier qu'il a subi à hauteur de 59 138 euros et, enfin, de surseoir à statuer

, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux ...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 16 février 2015 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande tendant à l'attribution de la bonification pour enfant et d'enjoindre au service des pensions de réexaminer sa demande conformément aux textes en vigueur dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir, d'autre part, de l'indemniser du préjudice moral et financier qu'il a subi à hauteur de 59 138 euros et, enfin, de surseoir à statuer, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 121-4 du code de justice administrative et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles. Par un jugement n° 1502721 du 8 avril 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 juin et 7 septembre 2016 ainsi que le 22 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des pensions civiles et militaires ;

- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;

- la loi n° 2010-130 du 9 novembre 2010 ;

- le décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 ;

- l'arrêt C-173/13 du 17 juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., par une requête enregistrée au greffe de ce tribunal le 16 juin 2015, a demandé l'annulation de la décision du 16 février 2015 par laquelle la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande tendant à l'attribution de la bonification pour enfants et a refusé de l'indemniser à hauteur du préjudice moral et financier qu'il estimait avoir subi. Il ressort, par ailleurs, des pièces transmises par le tribunal administratif de Bordeaux que M. A...a déposé, à l'appui de sa demande aux fins d'annulation de cette décision, outre un nouveau mémoire enregistré au greffe du tribunal le 2 février 2016, un mémoire en question prioritaire de constitutionnalité qui a été enregistré, ainsi qu'il ressort de la fiche de l'instance n° 1502721, à cette même date. Par ce mémoire, M. A...entendait soulever la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative.

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

2. L'article R. 811-1 du code de justice administrative dispose que : " (...) le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / 7° Sur les litiges en matière de pensions ; / 8° Sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ". Il résulte de ces dispositions que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les actions indemnitaires relevant d'un litige en matière de pensions, et ce quel que soit le montant des indemnités demandées. Par suite, la requête de M. A...présente le caractère d'un pourvoi en cassation et le Conseil d'Etat est compétent pour en connaître.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article R. 771-9 du code de justice administrative : " La décision qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est notifiée aux parties (...). / La notification d'une décision de refus de transmission mentionne que cette décision ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige. Elle mentionne aussi que cette contestation devra faire l'objet d'un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission ". Aux termes de l'article R. 771-16 du même code : " Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. / (...) ".

4. Lorsqu'une juridiction administrative a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester une telle méconnaissance des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre la décision qui statue sur le litige. Dans une telle hypothèse, lorsque le requérant a présenté à l'appui de son pourvoi en cassation un mémoire en contestation d'un refus de transmission, les conclusions en annulation de cette décision alléguée ne peuvent, en raison de l'absence de toute décision statuant sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, qu'être regardées comme irrecevables.

5. En l'espèce, le tribunal administratif de Bordeaux, au greffe duquel a été enregistrée la question prioritaire de constitutionnalité mentionnée au point 1 ci-dessus, n'a, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, statué sur cette dernière, ni par une ordonnance ou une décision avant dire droit, comme il lui était loisible de le faire, ni par le jugement attaqué du 8 avril 2016. Il en résulte que, faute de décision se prononçant sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A..., la contestation présentée par ce dernier, par un mémoire distinct enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 juin 2016, est irrecevable.

Sur le pourvoi en cassation :

6. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ".

7. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, le tribunal administratif de Bordeaux a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.... Alors même que les dispositions de l'article L 121-4 du code de justice administrative relatives à la nomination des conseillers d'Etat en service extraordinaire et à leurs fonctions, dont l'inconstitutionnalité était invoquée, n'étaient pas applicables au litige soumis au tribunal administratif, ce dernier a entaché son jugement d'irrégularité en omettant de statuer sur cette question prioritaire de constitutionnalité conformément aux dispositions précitées de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 . M. A...est donc fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 avril 2016 qu'il attaque.

Sur le règlement au fond :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux sur le fondement de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

10. Aux termes de l'article L. 121-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " Les conseillers d'Etat en service extraordinaire sont nommés par décret pris en conseil des ministres, sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, et sont choisis parmi les personnalités qualifiées dans les différents domaines de l'activité nationale. Ils siègent à l'assemblée générale et peuvent être appelés à participer aux séances des autres formations administratives. Les conseillers d'Etat en service extraordinaire ne peuvent être affectés à la section du contentieux ". M. A...soutient que ces dispositions, en tant qu'elles n'ont pas empêché que des conseillers d'Etat en service ordinaire siègent au sein de la formation de jugement du Conseil d'Etat ayant rendu la décision n° 372426 du 27 mars 2015 statuant sur un litige identique, sont contraires aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la formation de jugement ayant rendu cette décision est inopérant dans le cadre du présent litige. Par suite, les dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative, en tant qu'elles n'ont pas prévu que les conseillers d'Etat en service ordinaire ne peuvent pas siéger à la section du contentieux, ne peuvent être regardées comme étant applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

En ce qui concerne la bonification pour enfant et le bénéfice du départ anticipé à la retraite :

11. Aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable au litige : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : (...) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt-et-unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu ou réduit leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". En vertu des dispositions du 1° de l'article R. 13 du même code, le bénéfice des dispositions précitées du b de l'article L. 12 de ce code est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.

12. Aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre. Par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel de la cour administrative d'appel de Lyon, a estimé que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à l'octroi de la bonification en cause, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article. Elle a cependant rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications " " de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revient exclusivement au juge national, seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs.

13. Si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il ressort néanmoins des données disponibles qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière. Les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes. De plus, les mères de famille ont dans les faits plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer. Alors qu'une femme fonctionnaire sans enfant perçoit en moyenne à la fin de sa carrière une pension au moins égale à celle que perçoivent en moyenne les hommes sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d'enfants. Ces écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s'accroissent avec le nombre d'enfants. Le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière, qui ne peut être modifiée au moment de la liquidation. Cette bonification n'a pas pour objet et ne pouvait avoir pour effet de prévenir les inégalités sociales dont ont été l'objet les femmes mais de leur apporter, dans une mesure jugée possible, par un avantage de retraite assimilé à une rémunération différée au sens de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées.

14. Par ailleurs, par la loi du 21 août 2003, le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles ont été prises les dispositions litigieuses, en ne maintenant le bénéfice automatique de la bonification que pour les femmes fonctionnaires et militaires mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004. Ce faisant, le législateur a entendu maintenir à titre provisoire, en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions du b de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, ces dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître. Dans ces conditions, la différence de traitement dont bénéficient indirectement les femmes mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004 par le bénéfice systématique de la bonification pour enfant tel qu'il découle de la prise en compte du congé maternité, en application des dispositions combinées du b de l'article L. 12 et de l'article R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale, est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet, ce dont il résulte que les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité tel que défini à l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

15. Aux termes du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " I. - La liquidation de la pension intervient : / (...) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilés aux enfants mentionnés au premier alinéa les enfants énumérés au II de l'article L. 18 que l'intéressé a élevés dans les conditions prévues au III dudit article ". En vertu des I et II de l'article R. 37 du même code, le bénéfice des dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 24 est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé de paternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans. Par l'arrêt déjà cité du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé, conformément à cette jurisprudence, que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de départ anticipé à la retraite tel que celui résultant des dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé maternité dans les conditions ouvrant droit au bénéfice en cause introduirait également une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article.

16. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 12 de la présente décision, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revient exclusivement au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs. Par la loi du 9 novembre 2010, le législateur a modifié les dispositions sur le fondement desquelles a été prise la décision attaquée, en procédant à une extinction progressive de la mesure pour les parents de trois enfants. Ce faisant, le législateur a entendu non pas prévenir les inégalités de fait entre les hommes et les femmes fonctionnaires et militaires dans le déroulement de leur carrière et leurs incidences en matière de retraite, mais compenser à titre transitoire ces inégalités normalement appelées à disparaître. Dans ces conditions, la disposition litigieuse relative au choix d'un départ anticipé avec jouissance immédiate, prise, pour les mêmes motifs que la bonification pour enfant prévue par les dispositions combinées des articles L. 12 et R. 37, afin d'offrir, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences de la naissance et de l'éducation d'enfants sur le déroulement de la carrière d'une femme, en l'état de la société française d'alors, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale, qu'elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet. Par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité des rémunérations tel que défini à l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

17. Enfin, les modalités de liquidation d'une pension sont appréciées à la date de l'admission à la retraite, intervenue, dans le cas de M.A..., à compter du 1er février 2005. Il en résulte que les modalités de liquidation de la pension devaient s'apprécier, non au regard des dispositions du décret n° 65-836 du 24 septembre 1965, contrairement à ce que soutient le requérant, mais au regard des dispositions du décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004.

18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A...doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

19. D'une part, il résulte de ce qui vient d'être dit que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à raison d'une violation par le législateur français du droit de l'Union européenne. D'autre part, la circonstance que le Conseil d'Etat statuant au contentieux ait, à l'occasion d'autres instances, refusé de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les mêmes questions préjudicielles que celles soulevées par M. A...n'est pas de nature à caractériser une violation du droit de l'Union européenne, pas plus que des stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce dont il résulte que la responsabilité de l'Etat ne peut pas non plus être engagée à raison de ces décisions

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

20. La présente décision n'appelle aucune mesure d'exécution et les conclusions présentées par M. A...sur le fondement des dispositions des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne, que la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux doit être rejetée.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. A...au titre de ces dispositions soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 8 avril 2016 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 3 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie sera transmise à la Caisse des dépôts et consignations.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Analyses

COMPÉTENCE - COMPÉTENCE À L'INTÉRIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPÉTENCE EN PREMIER ET DERNIER RESSORT DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS - INCLUSION - ACTIONS INDEMNITAIRES RELEVANT D'UN LITIGE EN MATIÈRE DE PENSIONS (7° DE L'ART - R - 811-1 DU CJA) - QUEL QUE SOIT LE MONTANT DES INDEMNITÉS DEMANDÉES [RJ1].

17-05-012 Il résulte des 7° et 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative (CJA) que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les actions indemnitaires relevant d'un litige en matière de pensions, et ce quel que soit le montant des indemnités demandées.

PENSIONS - PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE - CONTENTIEUX DES PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE - COMPÉTENCE - ACTIONS INDEMNITAIRES RELEVANT D'UN LITIGE EN MATIÈRE DE PENSIONS (7° DE L'ART - R - 811-1 DU CJA) - COMPÉTENCE DE PREMIER ET DERNIER RESSORT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF - EXISTENCE - QUEL QUE SOIT LE MONTANT DES INDEMNITÉS DEMANDÉES [RJ1].

48-02-04-01 Il résulte des 7° et 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative (CJA) que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les actions indemnitaires relevant d'un litige en matière de pensions, et ce quel que soit le montant des indemnités demandées.

PROCÉDURE - JUGEMENT AYANT OMIS DE STATUER SUR UNE QPC - 1) MODALITÉS DE CONTESTATION - A) CONTESTATION D'UN REFUS DE TRANSMISSION - ABSENCE - FAUTE D'UNE TELLE DÉCISION DE REFUS - CONTESTATION À L'OCCASION DU POURVOI EN CASSATION FORMÉ CONTRE LA DÉCISION STATUANT SUR LE LITIGE - EXISTENCE - 2) CONSÉQUENCE - IRRÉGULARITÉ DU JUGEMENT ATTAQUÉ.

54-10 1) Lorsqu'une juridiction administrative a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester une telle méconnaissance des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre la décision qui statue sur le litige. Dans une telle hypothèse, lorsque le requérant a présenté à l'appui de son pourvoi en cassation un mémoire en contestation d'un refus de transmission, les conclusions en annulation de cette décision alléguée ne peuvent, en raison de l'absence de toute décision statuant sur la transmission de la QPC, qu'être regardées comme irrecevables.,,,2) Alors même que les dispositions objet de la QPC n'étaient pas applicables au litige soumis au tribunal administratif, ce dernier a entaché son jugement d'irrégularité en omettant de statuer sur cette QPC conformément aux dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Annulation du jugement.

PROCÉDURE - CAS DANS LEQUEL UNE JURIDICTION ADMINISTRATIVE A OMIS DE STATUER SUR UNE QPC - RECEVABILITÉ DE CONCLUSIONS TENDANT À LA CONTESTATION D'UNE DÉCISION DE REFUS DE TRANSMISSION DE CETTE QPC - ABSENCE - EN L'ABSENCE D'UNE TELLE DÉCISION.

54-10-10 Lorsqu'une juridiction administrative a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester une telle méconnaissance des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre la décision qui statue sur le litige. Dans une telle hypothèse, lorsque le requérant a présenté à l'appui de son pourvoi en cassation un mémoire en contestation d'un refus de transmission, les conclusions en annulation de cette décision alléguée ne peuvent, en raison de l'absence de toute décision statuant sur la transmission de la QPC, qu'être regardées comme irrecevables.


Références :

[RJ1]

Comp. CE, 4 avril 2008,,, n° 283999, T. pp. 653-833.

Rappr., s'agissant du 1° de l'art. R. 811-1 du CJA, CE, 27 octobre 2016,,, n° 395780, T. p. 695.


Publications
Proposition de citation: CE, 26 avr. 2018, n° 400477
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: M. Yohann Bénard
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Date de la décision : 26/04/2018
Date de l'import : 07/08/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 400477
Numéro NOR : CETATEXT000036845209 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2018-04-26;400477 ?
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