Vu la procédure suivante :
L'hôpital privé Drôme Ardèche a demandé au tribunal administratif de Lyon, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Grenoble, d'annuler le titre exécutoire n° 552276 émis le 13 octobre 2016 par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble pour un montant de 12 960 euros, correspondant à des transports effectués par la structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) de cet établissement. Par une ordonnance n° 1700313 du 3 juillet 2017, le président de la 5e chambre du tribunal d'administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Grenoble demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'hôpital privé Drôme Ardèche ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital privé Drôme Ardèche la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 28 juin 2016 fixant la liste des structures, des programmes, des actions, des actes et des produits financés au titre des missions d'intérêt général mentionnées aux articles D. 162-6 et D. 162-7 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative, notamment son article R. 611-8 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du centre hospitalier universitaire de Grenoble.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le centre hospitalier universitaire de Grenoble a émis le 13 octobre 2016 un titre exécutoire n° 552276 correspondant à des transports secondaires de patients effectués par sa structure mobile d'urgence et de réanimation à partir de l'hôpital privé Drôme Ardèche. Le centre hospitalier universitaire de Grenoble se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 3 juillet 2017 par laquelle le président de la 5e chambre du tribunal d'administratif de Grenoble a annulé ce titre exécutoire à la demande de l'hôpital privé Drôme Ardèche.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Les établissements de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs des missions de service public suivantes : (...) 8° L'aide médicale urgente (...) ". Aux termes de l'article L. 6311-1 du même code : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état ". Aux termes de l'article L. 6311-2 du même code : " Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés (...) à comporter une ou plusieurs unités participant au service d'aide médicale urgente, dont les missions et l'organisation sont fixées par voie réglementaire. / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. (...) Les services d'aide médicale urgente (...) sont tenus d'assurer le transport des patients pris en charge dans le plus proche des établissements offrant des moyens disponibles adaptés à leur état, sous réserve du respect du libre choix ". Il résulte de l'article R. 6311-2 de ce code qu'à cette fin, ils " organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires ".
3. Aux termes de l'article R. 6123-1 du code de la santé publique : " L'exercice par un établissement de santé de l'activité de soins de médecine d'urgence (...) est autorisé selon une ou plusieurs des trois modalités suivantes : / 1° La régulation des appels adressés au service d'aide médicale urgente mentionné à l'article L. 6112-5 ; / 2° La prise en charge des patients par la structure mobile d'urgence et de réanimation, appelée SMUR (...) ; / 3° La prise en charge des patients accueillis dans la structure des urgences (...) ". Aux termes de son article R. 6123-15 : " Dans le cadre de l'aide médicale urgente, la structure mobile d'urgence et de réanimation mentionnée à l'article R. 6123-1 a pour mission : / 1° D'assurer, en permanence, en tous lieux et prioritairement hors de l'établissement de santé auquel il est rattaché, la prise en charge d'un patient dont l'état requiert de façon urgente une prise en charge médicale et de réanimation, et, le cas échéant, et après régulation par le SAMU [service d'aide médicale urgente], le transport de ce patient vers un établissement de santé ; / 2° D'assurer le transfert entre deux établissements de santé d'un patient nécessitant une prise en charge médicale pendant le trajet. / Pour l'exercice de ces missions, l'équipe d'intervention de la structure mobile d'urgence et de réanimation comprend un médecin ". Aux termes de son article R. 6123-16 : " Les interventions des SMUR (...) sont déclenchées et coordonnées par le SAMU (...) ". A cette fin, le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente (SAMU) peut, en vertu de l'article L. 1111-17 du même code, accéder, sauf opposition expresse précédemment manifestée par le patient, au dossier médical personnel de celui-ci.
4. Enfin, en vertu de l'article R. 6123-18 du code de la santé publique, tout établissement autorisé à exercer une prise en charge des patients dans une structure des urgences est tenu d'y accueillir en permanence toute personne qui s'y présente en situation d'urgence ou qui lui est adressée, notamment par le SAMU. L'article R. 6123-19 de ce code précise que : " Pour assurer, postérieurement à son accueil, l'observation, les soins et la surveillance du patient jusqu'à son orientation, l'établissement organise la prise en charge diagnostique et thérapeutique selon le cas : (...) 5° En liaison avec le SAMU, en l'orientant vers un autre établissement de santé apte à le prendre en charge et, si nécessaire, en assurant ou en faisant assurer son transfert (...) ".
5. Il résulte des dispositions du code de la santé publique mentionnées ci-dessus que les établissements de santé autorisés à prendre en charge des patients accueillis dans une structure des urgences sont responsables, lorsqu'elle est médicalement nécessaire, de l'orientation de ces personnes vers l'établissement de santé apte à les prendre en charge, en liaison avec le SAMU. Dans un tel cas, le transport du patient vers cet établissement peut être assuré, conformément à l'article R. 6311-2 de ce code, en faisant appel, selon les besoins du patient, à une entreprise privée de transport sanitaire ou à un service public, notamment à leur propre structure mobile d'urgence et de réanimation s'ils en ont une ou celle d'un autre établissement. La décision de transporter un patient par une structure mobile d'urgence et de réanimation, qui ne peut agir que dans le cadre de sa mission de service public d'aide médicale urgente, limitativement définie à l'article R. 6123-15 du code de la santé publique, est prise, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du SAMU, qui a estimé cette intervention médicalement justifiée au regard de l'état du patient.
Sur l'ordonnance attaquée :
6. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance : (...) 6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision devenue irrévocable, à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d'Etat en application de l'article L. 113-1 et, pour le tribunal administratif, à celles tranchées ensemble par un même arrêt devenu irrévocable de la cour administrative d'appel dont il relève (...) ".
7. Le président de la 5e chambre du tribunal administratif de Grenoble a annulé le titre exécutoire attaqué au motif que les transports sanitaires ayant donné lieu à leur émission avaient été effectués par la structure mobile d'urgence et de réanimation du centre hospitalier universitaire de Grenoble, dans le cadre de la mission de service public d'aide médicale d'urgence dont cet établissement est chargé en application des articles L. 6112-1, L. 6311-1 et R. 6123-1 du code de la santé publique.
8. En faisant application du 6° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, alors qu'aucune décision du Conseil d'Etat ou arrêt de la cour administrative d'appel dont relève le tribunal n'avait tranché la question de savoir si aucune intervention d'une structure mobile d'urgence et de réanimation ne peut faire l'objet d'une facturation à l'établissement dans lequel le patient était hospitalisé jusque-là, le tribunal a méconnu ces dispositions. Il suit de là que le centre hospitalier universitaire de Grenoble est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le titre exécutoire en litige :
10. Aux termes de l'article L. 162-22-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est créé, au sein de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (...), une dotation nationale de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation des établissements de santé mentionnés aux a, b, c et d de l'article L. 162-22-6. Cette dotation participe notamment au financement des engagements relatifs aux missions mentionnées à l'article L. 6112-1 du code de la santé publique (...) ". Aux termes de l'article D. 162-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Peuvent être financées par la dotation nationale de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation mentionnée à l'article L. 162-22-13 les dépenses correspondant aux missions d'intérêt général suivantes : (...) 2° La participation aux missions de santé publique mentionnées ci-dessous : (...) j) L'aide médicale urgente réalisée par les services d'aide médicale urgente et les services mobiles d'urgence et de réanimation respectivement mentionnés aux articles L. 6112-5 et R. 6123-10 du code de la santé publique (...) ", dont les dispositions ont été transférées aux articles L. 6311-2 et R. 6123-15 du même code. L'article D. 162-8 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Un arrêté précise la liste des structures, des programmes et des actions ainsi que des actes et produits pris en charge par la dotation nationale mentionnée à l'article L. 162-22-13 au titre des missions mentionnées aux articles D. 162-6 et D. 162-7. / Cette dotation participe au financement de ces missions dans la limite des dépenses y afférentes à l'exclusion de la part incombant à d'autres financeurs en application de dispositions législatives ou réglementaires et de celle déjà supportée par l'assurance maladie en application des dispositions législatives ou réglementaires relatives à la prise en charge des soins ". Enfin, l'arrêté du 28 juin 2016 fixant la liste des structures, des programmes, des actions, des actes et des produits financés au titre des missions d'intérêt général mentionnées aux articles D. 162-6 et D. 162-7 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, précise que les SMUR peuvent être prises en charge au titre des missions mentionnées au 2° de l'article D. 162-6.
11. Il résulte de l'instruction que les transports sanitaires ayant donné lieu à l'émission du titre exécutoire en litige constituaient des transferts de patients par la SMUR du centre hospitalier universitaire de Grenoble, à partir de l'hôpital privé Drôme Ardèche, sans retour dans cet établissement dans le délai de quarante-huit heures.
12. Le centre hospitalier universitaire de Grenoble ne peut dès lors, en tout état de cause, se prévaloir de l'instruction du ministre des affaires sociales et de la santé du 15 mars 2017 relative aux pratiques de facturation inter-établissements des transports SMUR secondaires selon laquelle " en contrepartie de la suppression des facturations de transports SMUR dits secondaires à partir du 1er mars 2017, la MIG SMUR sera abondée ", qui concerne les seuls transports entre établissements de santé en cas de retour dans l'établissement d'origine dans le délai de quarante-huit heures.
13. En l'absence de dispositions prévoyant un autre mode de financement des transports litigieux, ils avaient vocation à être financés par la dotation nationale de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation et le centre hospitalier universitaire de Grenoble ne pouvait, par suite, en demander le remboursement à l'hôpital privé Drôme Ardèche.
14. Il résulte de ce qui précède que l'hôpital privé Drôme Ardèche est fondé à demander l'annulation du titre exécutoire émis à son encontre par le centre hospitalier universitaire de Grenoble pour un montant de 12 960 euros. En conséquence, il y a lieu de le décharger de cette somme.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'hôpital privé Drôme Ardèche, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de cet établissement présentée au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la 5e chambre du tribunal d'administratif de Grenoble du 3 juillet 2017 est annulée.
Article 2 : Le titre exécutoire n° 552276 émis le 13 octobre 2016 par le centre hospitalier universitaire de Grenoble pour le recouvrement de la somme de 12 960 euros est annulé. L'hôpital privé Drôme Ardèche est déchargé du paiement de la somme correspondante.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Grenoble et de l'hôpital privé Drôme Ardèche présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Grenoble et à l'hôpital privé Drôme Ardèche.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.