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05/03/2018 | FRANCE | N°407464

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 05 mars 2018, 407464


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 février, 28 avril et 22 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la presse quotidienne nationale, le syndicat de la presse hebdomadaire régionale, l'union de la presse en région et la société d'édition La Manche Libre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-2013 du 30 décembre 2016 relatif au transport postal des suppléments et hors-séries ;

2°) de

mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 février, 28 avril et 22 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la presse quotidienne nationale, le syndicat de la presse hebdomadaire régionale, l'union de la presse en région et la société d'édition La Manche Libre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-2013 du 30 décembre 2016 relatif au transport postal des suppléments et hors-séries ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat du syndicat de la presse quotidienne nationale, du syndicat de la presse hebdomadaire régionale, de l'union de la presse en région et de la société d'édition La Manche Libre ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 septembre 2016 relatif au transport postal des suppléments et hors-séries. Ce décret, qui modifie certaines dispositions réglementaires du code des postes et des communications électroniques, a notamment pour objet de mettre fin à la pratique faisant bénéficier du tarif de presse spécifique prévu, à l'article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques, pour les journaux et publications de périodicité au maximum hebdomadaire présentant un caractère d'information politique et générale remplissant les conditions prévues à l'article D. 18 de ce code, les suppléments attachés à ces titres, sauf lorsque ces suppléments paraissent régulièrement selon une périodicité au maximum hebdomadaire et répondent, par eux-mêmes, aux critères d'information politique et générale. A défaut, ces suppléments relèvent désormais du tarif de presse, moins avantageux, prévu à l'article D. 18. L'article D. 27-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit également que le hors-série relève du tarif de l'article D. 18.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, si le dernier alinéa de l'article L. 2 du code des postes et des communications électroniques renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer " les droits et obligations de La Poste au titre de ses missions de service public des envois postaux, comprenant le régime spécifique offert à la presse (...) ", la détermination par le décret attaqué des publications susceptibles de bénéficier d'un des tarifs spéciaux de la presse n'entre pas dans le champ de cette consultation du Conseil d'Etat. Par ailleurs, il ne résulte d'aucune autre disposition ni d'aucun principe que la consultation du Conseil d'Etat soit obligatoire eu égard au contenu du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré du défaut de consultation du Conseil d'Etat ne peut qu'être écarté.

3. En second lieu, si l'article L. 4 du code des postes et communications électroniques prévoit que " (...) Les ministres chargés des postes et de l'économie homologuent, après avis public de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les tarifs des prestations offertes à la presse au titre du service public du transport et de la distribution de la presse, et soumises au régime spécifique prévu par le présent code (...) ", le décret attaqué, qui ne fixe pas le tarif des prestations offertes à la presse, n'a pas été pris pour l'application de ces dispositions. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune autre disposition n'impose la consultation obligatoire de La Poste, de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ou de la commission supérieure du numérique et des postes préalablement à l'édiction du décret attaqué.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne les mesures permanentes :

4. En premier lieu, les requérants soutiennent que le fait de subordonner, pour les suppléments des titres d'information politique et générale, le bénéfice du tarif de presse spécifique à la double condition qu'ils présentent un caractère d'information politique et générale et remplissent les conditions prévues à l'article D. 18 du code des postes et des communications électroniques, méconnaît la liberté et le pluralisme de la presse, garantis par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

5. Toutefois, le décret attaqué n'a pas pour objet de réduire le montant des aides visant à préserver le pluralisme des titres d'information politique et générale, mais uniquement d'en circonscrire le bénéfice aux seules publications qui, eu égard à leur contenu, sont nécessaires à l'exercice effectif de la liberté proclamée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Par ailleurs, en tout état de cause, les principes invoqués ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire modifie certaines des caractéristiques des aides à la presse, dès lors que l'exercice de ce pouvoir n'aboutit pas à priver de garanties les exigences de caractère constitutionnel en cause. Aussi, la seule circonstance que les mesures litigieuses, dont l'effet serait de réduire le montant des aides perçues, pour l'acheminement de leurs suppléments, par les titres d'information politique et générale, n'ont pas été compensées par l'octroi de nouvelles garanties n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

6. En deuxième lieu, d'une part, en exigeant des suppléments des titres d'information politique et générale qu'ils remplissent les conditions prévues aux articles D. 18 et D. 19-3 du code des postes et des communications électroniques pour bénéficier du tarif de presse applicable aux journaux d'information politique et générale, le décret attaqué se borne à prévoir, pour ces suppléments, les mêmes exigences que celles auxquelles sont soumis les journaux et écrits périodiques qui peuvent bénéficier de ce tarif, sans leur imposer de contraintes supplémentaires. D'autre part, en subordonnant le bénéfice du tarif de presse spécifique à la condition que ces suppléments répondent aux critères d'information politique et générale au sens de l'article D. 19-2, le décret attaqué a pour effet de traiter de façon identique tous les suppléments et les publications périodiques qui ne remplissent pas ces conditions. Par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le décret attaqué ne méconnaît ni le principe d'égalité, ni la libre concurrence, ni la liberté d'entreprendre.

7. En troisième lieu, le décret attaqué n'a ni pour objet, ni pour effet, de porter atteinte aux contrats légalement conclus, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance selon laquelle, en renchérissant les coûts d'acheminement supportés par les titres d'information politique et générale pour leurs suppléments et hors-séries, il perturberait l'équilibre économique de ces derniers.

8. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués aux points 4 à 7, le décret attaqué ne méconnaît pas davantage la liberté d'information et le principe de non-discrimination tels qu'ils sont garantis par les stipulations des articles 10 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dispositions de ce décret ne sauraient davantage être regardées comme portant atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

9. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas des termes du décret attaqué que ce dernier serait ambigu quant aux modalités de calcul des tarifs postaux applicables aux suppléments.

En ce qui concerne les mesures transitoires :

10. L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

11. L'article 9 du décret attaqué prévoit, pour les suppléments et hors-séries relevant du tarif de presse prévu à l'article D. 18, une remise correspondant à un pourcentage de la différence entre ce nouveau tarif et le tarif de presse spécifique, dont ils bénéficiaient auparavant. Cette remise correspond à 75 % de cette différence pour l'année 2017, 50 % pour l'année 2018 et 25 % pour l'année 2019.

12. Les mesures transitoires ainsi prévues, en lissant sur trois ans les coûts supplémentaires induits par la réglementation nouvelle, permettent aux acteurs concernés, s'ils le jugent utile, d'adapter leur modèle économique, notamment en modifiant les modalités de distribution de leurs publications ou le tarif de leurs abonnements. Elles sont, par suite, suffisantes.

13. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du syndicat de la presse quotidienne nationale et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat de la presse quotidienne nationale, premier dénommé, et à la ministre de la culture. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Spinosi et Sureau, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407464
Date de la décision : 05/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2018, n° 407464
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Villette
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407464.20180305
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