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21/02/2018 | FRANCE | N°406987

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 21 février 2018, 406987


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 406987, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 20 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1551 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice admini

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2° Sous le n° 406990, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire,...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 406987, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 20 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1551 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 406990, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 20 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1553 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 407018, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 janvier, 19 mars et 4 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1551 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 407019, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 janvier, 19 mars et 4 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1553 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 34 ;

- la convention internationale du travail n° 87 de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée à San Francisco lors de la trente et unième session de la conférence internationale du travail, ratifiée le 28 juin 1951 ;

- la convention internationale du travail n° 98 de 1949 sur le droit d'organisation et de négociation collective adoptée à Genève lors de la trente-deuxième session de la conférence internationale du travail, ratifiée le 26 octobre 1951 ;

- la convention internationale du travail n° 111 de 1958 concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte sociale européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- la décision n°s 406987, 406990 du 14 juin 2017, rectifiée par ordonnance du 30 juin 2017, par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière en tant qu'elle portait sur les articles L. 3121-1 à L. 3121-8 et L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'article 8 de la loi du 8 août 2016 ;

- la décision n° 2017-653 QPC du 15 septembre 2017 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière.

Considérant ce qui suit :

1. Par les dispositions de l'article 8 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, le législateur a entendu donner une place plus importante à la négociation d'entreprise en matière de durée du travail, de repos et de congés, en distinguant, tout d'abord, les règles d'ordre public, auxquelles il ne peut être dérogé, ensuite, le champ de la négociation collective d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, de branche, et, enfin, les dispositions supplétives, qui s'appliquent en l'absence d'accord collectif. Par quatre requêtes qu'il y a lieu de joindre, la Confédération générale du travail - Force ouvrière et l'Union syndicale Solidaires demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décrets n° 2016-1551 et n° 2016-1553 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, qui ont modifié la partie réglementaire du livre Ier de la troisième partie du code du travail, dans ses dispositions adoptées par décret en Conseil d'Etat et dans ses dispositions adoptées par décret, pour tirer les conséquences des modifications apportées au même livre de la partie législative du code du travail par la loi du 8 août 2016.

Sur la recevabilité des requêtes, en tant qu'elles demandent l'annulation du 12° du IV de l'article 3 du décret n° 2016-1551 :

2. Le 12° du IV de l'article 3 du décret n° 2016-1551 insère dans le code du travail un nouvel article R. 3122-8 qui prévoit que lorsque, dans des cas exceptionnels, le bénéfice du repos devant être attribué aux salariés en cas de dépassement de la durée quotidienne de travail accomplie par un travailleur de nuit n'est pas possible pour des raisons objectives, une contrepartie équivalente permettant d'assurer une protection appropriée au salarié intéressé est prévue par accord collectif de travail. Ces dispositions, divisibles des autres dispositions du décret attaqué, se bornent à reprendre, sans en modifier le sens ou la portée, celles, issues du décret du 3 mai 2002 pris pour l'application des articles L. 213-2, L. 213-3, L. 213-4 et L. 213-5 du code du travail publié au Journal officiel de la République française du 5 mai 2002, qui étaient auparavant codifiées à l'article R. 213-4 puis au second alinéa de l'article R. 3122-12 du code du travail. En particulier, si les dispositions de l'article R. 3122-8 ainsi inséré dans le code du travail sont susceptibles d'être mises en oeuvre par un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut seulement, par une convention ou un accord collectif de branche, dont l'extension n'est au surplus pas requise, cette modification de la portée des dispositions réglementaires critiquées ne résulte pas du décret attaqué mais de la loi du 8 août 2016. Dès lors, les conclusions dirigées contre ces dispositions purement confirmatives des dispositions précédemment en vigueur sont tardives et, par suite, irrecevables.

Sur les moyens dirigés contre les deux décrets dans leur entier :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1 du code du travail : " Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation ". Les décrets attaqués, qui se bornent à tirer les conséquences des modifications apportées au code du travail par les articles 8 et 11 de la loi du 8 août 2016, ne peuvent être regardés en eux-mêmes comme des réformes au sens de l'article L. 1 du code du travail. Par suite, la méconnaissance de ces dispositions n'est pas utilement invoquée.

4. En deuxième lieu, l'article L. 2271-1 du code du travail dispose que la Commission nationale de la négociation collective, qui comprend notamment, en vertu de l'article L. 2272-1 du même code, des représentants des organisations d'employeurs et des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national, est notamment chargée " d'émettre un avis sur les projets de loi, d'ordonnance et de décret relatifs aux règles générales portant sur les relations individuelles et collectives du travail, notamment celles concernant la négociation collective ". Il ressort des pièces des dossiers que cette commission a rendu le 14 octobre 2016 un avis motivé sur les deux projets de décret. Par suite, le moyen tiré de l'absence de consultation des partenaires sociaux doit, en tout état de cause, être écarté.

5. En troisième lieu, par sa décision du 15 septembre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 3121-8 et l'article L. 3121-45 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, et a dit n'y avoir pas lieu d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l'article L. 3121-8. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

6. En quatrième lieu, si les décrets attaqués se bornent, pour l'essentiel, à apporter les modifications jugées nécessaires aux dispositions existantes, en déplaçant certains articles du code du travail, sans les reprendre dans leur intégralité, il n'en résulte pas un défaut de clarté des dispositions ainsi modifiées. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme ne peut qu'être écarté.

7. En dernier lieu, la contrariété d'une disposition législative à des normes européennes ou de droit international ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier trouve sa base légale dans cette disposition ou a été pris pour son application. Si la Confédération générale du travail - Force ouvrière soutient que les articles L. 3121-41 et L. 3121-44 du code du travail méconnaissent les objectifs de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, elle ne mentionne pas, parmi les très nombreuses dispositions des décrets attaqués qui modifient la partie réglementaire du livre Ier de la troisième partie du code du travail, celles qui ont pour base légale ces articles ou ont été prises pour leur application. Dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme assortissant ce moyen de précisions suffisantes pour permettre au juge de se prononcer.

Sur les moyens dirigés contre le décret n° 2016-1551 :

En ce qui concerne le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail :

8. D'une part, l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule que : " 1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. / 2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ". Aux termes de l'article 51 de cette Charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. (...) ".

9. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux ; / b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ". En vertu du b) de l'article 16 de cette directive, les États membres peuvent prévoir, pour l'application de l'article 6, une période de référence ne dépassant pas quatre mois. Des possibilités de dérogations sont en outre ouvertes par les articles 17 et suivants de la même directive.

10. En vertu de l'article L. 3121-20 du code du travail, au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures. Si l'article L. 3121-21 du même code prévoit qu'en cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci, le dépassement de la durée maximale de quarante-huit heures peut être autorisé par l'autorité administrative, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, sans toutefois que ce dépassement puisse avoir pour effet de porter la durée du travail à plus de soixante heures par semaine, d'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 3121-22 de ce code que la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures et, d'autre part, la durée de soixante heures ne fait pas obstacle au respect des dispositions des articles 3 et 5 de la directive relatives aux périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire. Par suite, le syndicat requérant, qui ne peut utilement invoquer les dispositions du 5 de l'article 17, applicables aux médecins en formation, n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 3121-21 du code du travail, pour l'application desquelles le décret n° 2016-1551 insère un article R. 3121-10 dans le code du travail, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive 2003/88/CE. Il n'est pas plus fondé à soutenir, en tout état de cause, que les dispositions de l'article L. 3121-21 du code du travail méconnaissent l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

En ce qui concerne la durée quotidienne de travail des travailleurs de nuit :

11. Aux termes de l'article L. 3122-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 8 de la loi du 8 août 2016 : " La durée quotidienne de travail accomplie par un travailleur de nuit ne peut excéder huit heures, sauf dans les cas prévus à l'article L. 3122-17 ou lorsqu'il est fait application des articles L. 3132-16 à L. 3132-19. / En outre, en cas de circonstances exceptionnelles, l'inspecteur du travail peut autoriser le dépassement de la durée quotidienne de travail mentionnée au premier alinéa du présent article après consultation des délégués syndicaux et après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'ils existent, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 3122-17 du même code dispose que : " Un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail prévue à l'article L. 3122-6, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat ".

12. Les dispositions critiquées des 6° et 11° du IV de l'article 3 du décret attaqué reprennent aux articles R. 3122-3 et R. 3122-7 du code du travail les dispositions figurant antérieurement aux articles R. 3122-12 et R. 3122-9 du même code pour, d'une part, prévoir que dans tous les cas où il est fait application des dépassements prévus à l'article L. 3122-6, y compris par voie conventionnelle, des périodes de repos d'une durée au moins équivalente au nombre d'heures accomplies au-delà de la durée maximale quotidienne sont attribuées aux salariés intéressés et, d'autre part, tirer les conséquences de la loi du 8 août 2016 sur les dispositions ouvrant la possibilité, par voie d'accord collectif, de permettre le dépassement de la durée maximale quotidienne de huit heures pour les travailleurs de nuit exerçant certains types d'activités.

13. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 3122-17 du code du travail, citées au point 11, que le législateur a entendu que soient déterminées par décret en Conseil d'Etat les conditions dans lesquelles un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail de nuit prévue à l'article L. 3122-6 du même code. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du Premier ministre, agissant par voie de décret en Conseil d'Etat, pour adopter les dispositions des 6° et 11° du IV de l'article 3 du décret attaqué doit être écarté.

14. En deuxième lieu, en l'absence notamment de toute mention de celles des stipulations de ces conventions qui seraient méconnues, le moyen tiré de la violation des conventions internationales du travail n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective n'est, en tout état de cause, pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

15. En dernier lieu, d'une part, le décret attaqué, qui se borne par le 11° du IV de son article 3 à substituer à la mention de la convention ou de l'accord collectif de branche étendu ou de la convention ou accord d'entreprise ou d'établissement la référence aux conditions prévues à l'article L. 3122-17 du code du travail, ne modifie en rien la liste des activités pour lesquelles un accord collectif de travail peut prévoir, en application de cet article L. 3122-17, le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail de huit heures d'un travailleur de nuit. Par suite, le moyen tiré de ce que la détermination de ces activités, par l'article R. 3122-7 du code du travail, méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme est inopérant. D'autre part, les dispositions insérées dans le code du travail par le 6° du IV du même article prévoient, de façon suffisamment claire et précise, les conditions auxquelles est subordonné le dépassement de la durée maximale quotidienne de huit heures fixée à l'article L. 3122-6 pour les travailleurs de nuit. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme doit être écarté, de même que, en tout état de cause, le moyen tiré du défaut de portée normative de ces dispositions.

Sur les moyens dirigés contre le décret n° 2016-1553 :

16. En premier lieu, tout d'abord, le 1° du B de l'article 1er du décret attaqué regroupe au sein d'un paragraphe intitulé " ordre public " de la sous-section relative à la durée quotidienne maximale du travail les articles D. 3121-15 à D. 3121-18 du code du travail, qui deviennent les articles D. 3121-4 à D. 3121-7, en actualisant les renvois à d'autres articles du code et en substituant à la notion de dérogation celle de dépassement de la durée quotidienne maximale du travail effectif. Ensuite, le a) du 2° du C du même article déplace les dispositions de l'article D. 3121-27-1 à l'article D. 3121-27, au sein d'un paragraphe " dispositions supplétives " de la sous-section relative à l'aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, en tirant les conséquences de la modification, par la loi du 8 août 2016, des limites, prévues à l'article L. 3121-45, dans lesquelles l'employeur peut mettre en place une répartition sur plusieurs semaines de la durée du travail. Enfin, le 3° de l'article 3 du décret attaqué regroupe les articles D. 3131-1 à D. 3131-3, qui deviennent les articles D. 3131-4 à D. 3131-6, au sein d'une section " champ de la négociation collective " du chapitre relatif au repos quotidien, en tirant les conséquences de la primauté donnée, par la loi du 8 août 2016, à l'accord d'entreprise en matière de durée du travail. Le pouvoir réglementaire, qui s'est borné, par les modifications ainsi apportées à la partie réglementaire, à tirer les conséquences nécessaires de la loi, n'a pas empiété sur le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution.

17. En deuxième lieu, par l'article 2 de la partie II de la charte sociale européenne révisée, faite à Strasbourg le 3 mai 1996, les Etats signataires s'engagent, " en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables ", " 1 à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ". Aux termes de l'article I de la partie V de la même charte relatif à la " mise en oeuvre des engagements souscrits " : " (...) 2 Les engagements découlant des paragraphes 1, 2, 3, 4, 5 et 7 de l'article 2 (...) de la partie II de la présente Charte seront considérés comme remplis dès lors que ces dispositions seront appliquées, conformément au paragraphe 1 du présent article, à la grande majorité des travailleurs intéressés ". Eu égard notamment à la marge d'appréciation laissée aux Etats membres pour prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des stipulations du paragraphe 1 de l'article 2 de la Charte, ces stipulations ne créent pas de droits dont les particuliers pourraient directement se prévaloir. Par suite, elles ne peuvent être utilement invoquées pour contester la légalité des modifications apportées par le décret attaqué aux articles D. 3131-4 et D. 3131-5 du code du travail.

18. En troisième lieu, si la Confédération générale du travail - Force ouvrière soutient que l'article L. 3121-21 du code du travail méconnaît les objectifs de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, elle ne mentionne pas celles des dispositions du décret attaqué qui ont pour base légale cet article ou ont été prises pour son application, alors que ce décret modifie de très nombreux articles de la partie réglementaire du livre Ier de la troisième partie du code du travail. Dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme assortissant ce moyen de précisions suffisantes pour permettre au juge de se prononcer.

19. En dernier lieu, l'Union syndicale Solidaires critique l'inscription, prévue par l'article D. 3123-4 du code du travail, du secteur du spectacle vivant et enregistré sur la liste des secteurs dans lesquels la nature de l'activité ne permet pas de fixer avec précision, dans le contrat de travail intermittent, les périodes de travail et la répartition des heures de travail au sein de ces périodes et l'absence de garantie apportée aux salariés quant à la stabilité des horaires de travail, ainsi que la liste des activités, fixée par l'article D. 3131-4, pour lesquelles il peut être dérogé, dans des conditions et selon des modalités fixées par accord prévu à l'article L. 3131-2, à la période minimale de onze heures de repos quotidien par salarié. Toutefois, ni les 3° et 4° de l'article 2 du décret attaqué, qui insèrent l'article D. 3123-4 dans une sous-section consacrée au champ de la négociation collective et le modifient, ni le 3° de son article 3, qui déplace l'article D. 3131-1, devenant l'article D. 3131-4, dans une section également consacrée au champ de la négociation collective et le modifie, n'ont d'incidence sur les dispositions critiquées par l'union requérante des articles D. 3123-4 et D. 3131-4. Par suite, les moyens dirigés contre ces dispositions sont inopérants à l'encontre du décret attaqué. De même, il ne peut être utilement fait grief au décret attaqué de ne pas fixer la durée minimale de repos quotidien lorsqu'un accord collectif déroge à la durée prévue à l'article L. 3131-1, alors que le décret se borne à déplacer de l'article D. 3131-3 à l'article D. 3131-6 du code du travail, sans les modifier, les dispositions prévoyant qu'un tel accord ne peut avoir pour effet de réduire la durée du repos quotidien en deçà de neuf heures.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la Confédération générale du travail - Force ouvrière et l'Union syndicale Solidaires ne sont pas fondées à demander l'annulation des décrets qu'elles attaquent. Leurs requêtes doivent ainsi être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la Confédération générale du travail - Force ouvrière et de l'Union syndicale Solidaires sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à l'Union syndicale Solidaires, au Premier ministre et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 406987
Date de la décision : 21/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 fév. 2018, n° 406987
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Pacoud
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:406987.20180221
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