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21/02/2018 | FRANCE | N°404964

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 21 février 2018, 404964


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre 2016, 8 février 2017, 22 février 2017 et 30 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Crinex demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 mai 2016 par laquelle le comité économique des produits de santé a refusé de modifier le prix de la spécialité Uvestérol D 5000 UI/ml, solution buvable, 10 ml en flacon muni d'un bouchon

sécurité-enfant et pipette doseuse graduée, ainsi que la décision du 7 septembre ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre 2016, 8 février 2017, 22 février 2017 et 30 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Crinex demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 mai 2016 par laquelle le comité économique des produits de santé a refusé de modifier le prix de la spécialité Uvestérol D 5000 UI/ml, solution buvable, 10 ml en flacon muni d'un bouchon sécurité-enfant et pipette doseuse graduée, ainsi que la décision du 7 septembre 2016 rejetant son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au comité économique des produits de santé de réexaminer sa demande de modification du prix de la spécialité litigieuse, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du comité économique des produits de santé la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Laboratoires Crinex.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la société Laboratoires Crinex a commercialisé la spécialité Uvestérol D en solution buvable, sous la forme de 1 500 unités internationales par millilitres (UI/ml), qui était inscrite sur la liste des médicaments remboursables et dont le prix fabricant, initialement fixé par décision interministérielle et repris par la convention pluriannuelle conclu par la société avec le comité économique des produits de santé, s'élevait à 0,88 euros hors taxe. Cette société a ensuite obtenu une autorisation de mise sur le marché pour la spécialité Uvestérol D en solution buvable sous la forme de 5 000 UI/ml. Par arrêté du 25 novembre 2014 du ministre des finances et des comptes publics et du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, cette dernière spécialité a été substituée à la première sur la liste des médicaments remboursables, en étant commercialisée au prix fabricant de 0,88 euros. Par une lettre du 17 mars 2016, la société Laboratoires Crinex a demandé au comité économique des produits de santé de porter le prix de la spécialité Uvestérol D 5 000 UI/ml à 1,23 euro hors taxe. Par courrier du 10 mai 2016, le président du comité économique des produits de santé lui a notifié la décision du comité, prise le 4 mai 2016, de ne pas modifier le prix de la spécialité. Par un nouveau courrier du 7 septembre 2016, le président du comité lui a notifié le rejet de son recours gracieux.

2. Aux termes de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable aux décisions attaquées : " Le prix de vente au public de chacun des médicaments mentionnés au premier alinéa de l'article L. 162-17 est fixé par convention entre l'entreprise exploitant le médicament et le Comité économique des produits de santé conformément à l'article L. 162-17-4 ou, à défaut, par décision du comité, sauf opposition conjointe des ministres concernés qui arrêtent dans ce cas le prix dans un délai de quinze jours après la décision du comité. La fixation de ce prix tient compte principalement de l'amélioration du service médical rendu apportée par le médicament, le cas échéant des résultats de l'évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament (...) ". L'article L. 162-17-4 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " En application des orientations qu'il reçoit annuellement des ministres compétents, le Comité économique des produits de santé peut conclure avec des entreprises ou groupes d'entreprises des conventions d'une durée maximum de quatre années relatives à un ou à des médicaments visés (...) à l'article L. 162-17. (...) Ces conventions, dont le cadre peut être précisé par un accord conclu avec un ou plusieurs syndicats représentatifs des entreprises concernées, déterminent les relations entre le comité et chaque entreprise, et notamment : / 1° Le prix ou le prix de vente déclaré mentionné à l'article L. 162-16-5 de ces médicaments (...) et, le cas échéant, l'évolution de ces prix, notamment en fonction des volumes de vente (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 162-20 du même code : " Sans préjudice des dispositions prévues à l'article R. 162-20-2, la convention conclue en application des articles L. 162-16-1 et L. 162-17-4 entre l'entreprise exploitant le médicament et le Comité économique du médicament peut, à la demande de l'entreprise ou du comité, faire l'objet d'un avenant dans les conditions prévues par la convention, et notamment dans les cas suivants : (...) 4° Modification des données prises en compte pour la fixation du prix des médicaments qui font l'objet de la convention ".

3. Sous réserve des cas dans lesquels l'évolution du prix de la spécialité remboursable a été prévue par convention avec l'entreprise exploitant le médicament, il appartient ainsi au comité économique des produits de santé, saisi d'une demande en ce sens de l'entreprise, d'apprécier s'il y a lieu de procéder à la modification de prix sollicitée au regard notamment des critères indiqués à l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale. Le comité, après avoir examiné l'ensemble de ces critères, qui ne sont d'ailleurs pas exhaustifs, peut légalement refuser la demande qui lui est soumise en faisant usage d'un seul critère, dès lors qu'il est de nature à justifier sa décision.

Sur la décision du 4 mai 2016 :

4. Il résulte des termes mêmes de la décision attaquée du 4 mai 2016 que le comité économique des produits de santé a refusé de faire droit à la demande d'augmentation du prix de la spécialité Uvestérol D, présentée par la société Laboratoires Crinex, au motif que cette spécialité ne répondait pas au critère du " médicament indispensable " défini par l'article 16 de l'accord conclu le 31 décembre 2015 avec le syndicat " Les entreprises du médicament " et destiné, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, à préciser le cadre des conventions conclues avec les entreprises ou groupes d'entreprise exploitant des spécialités pharmaceutiques. Si le comité économique des produits de santé pouvait apprécier les critères prévus par les articles L. 162-16-4 et R. 162-20 du code de la sécurité sociale au regard des conditions de leur mise en oeuvre prévues par cet accord cadre et relatives à la détermination de l'évolution du prix des médicaments, à laquelle la convention conclue avec la société Laboratoires Crinex se réfère, il ne pouvait légalement fonder son refus sur le seul motif tiré de ce que la spécialité ne pouvait être regardée comme un " médicament indispensable ", alors que ni les dispositions précitées du code de la sécurité sociale ni, en tout état de cause, les conditions de mise en oeuvre des critères légaux prévues par l'accord cadre du 31 décembre 2015 ne restreignent la possibilité d'augmenter le prix d'une spécialité à cette seule hypothèse. Par suite, la société Laboratoires Crinex est fondée à soutenir que le comité économique des produits de santé a commis une erreur de droit en se fondant sur ce motif pour rejeter la demande d'augmentation du prix de la spécialité en litige.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre la décision du 4 mai 2016, que la société requérante est fondée à demander l'annulation de cette décision.

Sur la décision rejetant le recours gracieux de la société Laboratoires Crinex :

6. Aux termes de la décision prise par le comité économique des produits de santé dans sa séance du 1er septembre 2016 et notifiée à la société Laboratoires Crinex par lettre du président du comité du 7 septembre 2016, le recours gracieux formé par la société à l'encontre de la décision du 4 mai 2016 a été rejeté, non seulement au motif que sa spécialité ne constituait pas un " médicament indispensable ", mais également pour trois autres motifs, tirés de ce que l'amélioration du service médical rendu par cette spécialité n'était pas connue, que le coût de traitement journalier des spécialités Adrigyl et Sterogyl, regardées comme des comparateurs pertinents, était moins élevé et qu'enfin, les volumes des ventes de la spécialité Uvestérol D, constatés de juin 2014 à mai 2016, ne permettaient pas d'établir une diminution du chiffre d'affaires.

7. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, la spécialité Uvestérol D a été mise sur le marché, sous la forme de 5 000 UI/ml, en remplacement de la forme de 1 500 UI/ml, en décembre 2014. Par suite, le comité économique des produits de santé ne pouvait de façon pertinente apprécier l'évolution du volume des ventes de la spécialité Uvestérol, sous la seule forme de 5 000 UI/ml, par comparaison entre deux périodes allant respectivement de juin 2014 à mai 2015 puis de juin 2015 à mai 2016, alors que la commercialisation de la spécialité n'avait débuté sous cette forme qu'au milieu de la première période. La société, qui fait valoir que l'évolution des ventes de la spécialité Uvestérol D, appréciée depuis juin 2012, sous les deux formes sous lesquelles elle a été successivement commercialisée, atteste d'une diminution effective ayant entraîné une baisse corrélative de son chiffre d'affaires, est ainsi fondée à soutenir que la décision attaquée repose sur des faits matériellement inexacts.

8. En second lieu, la société requérante fait également valoir, sans être contredite, d'une part, que les spécialités Stérogyl et Adrigyl, en raison de leur teneur en alcool ou de leur volume de vente, ne constituent pas les comparateurs les plus pertinents pour apprécier sa demande par rapport à des médicaments à même visée thérapeutique et, d'autre part, que sa demande d'augmentation de prix maintenait le coût du traitement journalier de la spécialité Uvestérol D à un niveau inférieur à celui de la spécialité Zyma D, avec laquelle la comparaison était plus pertinente eu égard à leurs conditions réelles et prévisibles d'utilisation respectives.

9. Si le comité économique des produits de santé a également estimé que l'amélioration du service médical rendu par la spécialité litigieuse n'était pas déterminable, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre cette décision, la société Laboratoires Crinex est également fondée à en demander l'annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. L'exécution de la présente décision implique que la demande de la société Laboratoires Crinex soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au comité économique des produits de santé de procéder, sauf à ce que cette demande n'ait plus d'objet, à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société requérante.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Laboratoires Crinex au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les décisions du comité économique des produits de santé des 4 mai et 1er septembre 2016 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au comité économique des produits de santé de réexaminer la demande de la société Laboratoires Crinex dans un délai de trois mois à compter de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à la société Laboratoires Crinex une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Laboratoires Crinex et au comité économique des produits de santé.

Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé et à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 404964
Date de la décision : 21/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 fév. 2018, n° 404964
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Marguerite
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:404964.20180221
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