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07/02/2018 | FRANCE | N°405705

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 07 février 2018, 405705


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 405705, par une requête, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 décembre 2016 et les 6 mars, 24 mai et 25 août 2017, la société British American Tobacco France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés, ainsi que les décisions implicites de rejet nées du silence gardé

sur les recours gracieux présentés au Premier ministre, à la ministre des affaires so...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 405705, par une requête, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 décembre 2016 et les 6 mars, 24 mai et 25 août 2017, la société British American Tobacco France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés, ainsi que les décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur les recours gracieux présentés au Premier ministre, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au secrétaire d'Etat au budget le 29 juillet 2016 ainsi que sur la demande d'abrogation adressée au Premier ministre le 14 mars 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 405767, par une requête, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 décembre 2016 et les 7 mars, 24 mai 2017 et 18 septembre 2017, la Fédération des fabricants de cigares demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés, ainsi que les décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur les recours gracieux présentés au Premier ministre, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au secrétaire d'Etat au budget le 6 août 2016 et sur la demande d'abrogation adressée au Premier ministre le 14 mars 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société British American Tobacco France et de la Fédération des Fabricants de Cigares et à la SCP Foussard, Froger, avocat du ministre de l'action et des comptes publics.

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 25 janvier 2018 sous les nos 405705 et 405767, présentées par le ministre de l'action et des comptes publics ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 30 janvier 2018 sous les nos 405705 et 405767, présentées par la ministre des solidarités et de la santé ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 572 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes. (...) ". Aux termes de l'article 284 de l'annexe II à ce code, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret attaqué : " A la demande de l'administration, les fournisseurs agréés communiquent, par voie dématérialisée auprès de la direction générale des douanes et droits indirects, les prix de vente au détail des tabacs manufacturés, pour chacun de leurs produits par marque et dénomination commerciale. / Les prix sont homologués par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la santé et publiés au Journal officiel de la République française ".

Sur l'absence de fixation de la fréquence et du délai maximal d'homologation des prix des produits du tabac :

3. Dès lors que l'article 572 du code général des impôts renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions dans lesquelles il est procédé à l'homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés, il incombait nécessairement au pouvoir réglementaire, aux fins d'assurer le respect du principe de libre détermination des prix, de préciser dans ce décret en Conseil d'Etat la fréquence à laquelle, au cours de l'année civile, l'administration sollicite, aux fins d'homologation, la communication des prix des produits du tabac et le délai maximal dans lequel elle homologue les prix ainsi communiqués, lequel doit, au demeurant, être raisonnable au regard des impératifs économiques qui s'imposent aux fabricants et distributeurs. En ne fixant ni cette fréquence ni ce délai, le pouvoir réglementaire a méconnu les dispositions de l'article 572 du code général des impôts. Les requérantes sont, par suite, fondées à demander dans cette mesure, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes sur ce point, l'annulation du décret du 7 juin 2016.

Sur l'initiative de l'homologation :

4. Il résulte des dispositions de l'article 284 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret attaqué, que c'est à l'administration qu'il revient de solliciter des fabricants de produits du tabac la communication des prix devant être soumis à l'homologation.

5. En premier lieu, la circonstance que le décret attaqué dispose que l'administration demande aux fournisseurs agréés de lui communiquer, aux fins d'homologation, les prix de vente au détail des tabacs manufacturés, ne porte pas atteinte, en elle-même, à la liberté des fabricants de fixer les prix de leurs produits. Si les requérantes soutiennent que cette initiative réservée à l'administration leur interdirait de lancer de nouvelles références et de faire varier leurs prix, notamment en fonction des variations du niveau des taxes perçues sur les produits du tabac, il résulte de ce qui est dit au point 3 ci-dessus que le pouvoir réglementaire devra fixer la fréquence et le délai de l'homologation des prix, ce qui permettra d'assurer, selon une périodicité raisonnable, le respect du principe de libre détermination des prix.

6. En second lieu, il est loisible au pouvoir réglementaire d'apporter à la liberté d'entreprendre, ainsi qu'à la liberté du commerce et de l'industrie qui en est une composante, des limitations justifiées par l'intérêt général, à condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Les dispositions critiquées, qui ne limitent pas le droit des fabricants d'exercer l'activité de production et de commercialisation de produits du tabac, pas plus qu'elles ne les empêchent, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, de fixer librement le prix de ces produits, sont justifiées par la nécessité de permettre à l'administration, à intervalles réguliers, d'homologuer simultanément l'ensemble des prix, laquelle découle de la règle d'unicité du prix des produits du tabac sur l'ensemble du territoire métropolitain, qui constitue le corollaire nécessaire du monopole de l'Etat sur la vente au détail de ces produits, prévu par les dispositions de l'article 568 du code général des impôts. Ce faisant, elles n'ont apporté aux libertés invoquées que des limitations justifiées par l'intérêt général, qui ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Sur la communication des prix par l'intermédiaire des fournisseurs agréés :

7. L'article 284 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret attaqué a prévu que seuls les fournisseurs agréés communiquent, à la direction générale des douanes et droits indirects, les prix de vente au détail des tabacs manufacturés. Il en résulte que les fabricants doivent transmettre à ces fournisseurs agréés les prix qu'ils souhaitent présenter à l'homologation.

8. Les requérantes soutiennent notamment que les dispositions critiquées, en réservant la faculté de communication des prix des produits du tabac à des fournisseurs agréés qui peuvent se trouver, par l'effet d'une intégration verticale, liés à d'autres fabricants, les contraignent à transmettre à ces fournisseurs des informations sur les prix qui relèvent de leur stratégie commerciale. Eu égard aux liens capitalistiques qui unissent certains fournisseurs agréés à des fabricants de produits du tabac, dont l'existence n'est pas contestée par l'administration en défense, et à la nature des informations collectées, qui révèlent la stratégie commerciale des fabricants de produits du tabac, les dispositions du décret attaqué sont, sur ce point, de nature à porter une atteinte illégale au secret des affaires. Les requérantes sont, dès lors, fondées à demander l'annulation du décret attaqué en tant qu'il ne permet pas aux fabricants de produits du tabac de communiquer directement les prix de leurs produits à l'administration.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes sont seulement fondées à demander l'annulation du décret du 7 juin 2016, d'une part, en tant qu'il n'a pas fixé la fréquence selon laquelle, au cours de l'année civile, l'administration sollicite, aux fins d'homologation, la communication des prix des produits du tabac et le délai maximal dans lequel elle homologue les prix ainsi communiqués et, d'autre part, en tant qu'il ne permet pas aux fabricants de produits du tabac de communiquer directement leurs prix à l'administration. Les requérantes sont également fondées à demander l'annulation, dans cette mesure, des décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux et du refus d'abroger les dispositions de l'article 284 de l'annexe II au code général des impôts, dans leur rédaction issue de ce décret.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros chacun à verser à la société British American Tobacco France et à la Fédération des fabricants de cigares au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 7 juin 2016 est annulé, d'une part, en tant qu'il n'a pas fixé la fréquence selon laquelle, au cours de l'année civile, l'administration sollicite, aux fins d'homologation, la communication des prix des produits du tabac et le délai maximal dans lequel elle homologue les prix ainsi communiqués et, d'autre part, en tant qu'il ne permet pas aux fabricants de produits du tabac de communiquer directement leurs prix à l'administration. Les décisions implicites de rejet des recours gracieux et de refus d'abroger qui ont été opposées aux requérantes sont annulées dans la même mesure.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à la société British American Tobacco France et une somme de 1 000 euros à la Fédération des fabricants de cigares au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société British American Tobacco France, à la Fédération des fabricants de cigares, au Premier ministre, au ministre de l'action et des comptes publics ainsi qu'à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 405705
Date de la décision : 07/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 fév. 2018, n° 405705
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: M. Yohann Bénard
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:405705.20180207
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