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19/01/2018 | FRANCE | N°402707

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 19 janvier 2018, 402707


Vu la procédure suivante :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 mars 2010 par laquelle la directrice de l'Agence de la biomédecine a autorisé la société Texcell à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur des cellules embryonnaires ayant pour finalité la transplantation de cellules souches embryonnaires allogéniques dans le traitement de l'insuffisance cardiaque sévère chez l'homme. Par un jugement n° 1013290/6-3 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

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rrêt n° 14PA05259 du 20 juin 2016, la cour administrative d'appel de Paris ...

Vu la procédure suivante :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 mars 2010 par laquelle la directrice de l'Agence de la biomédecine a autorisé la société Texcell à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur des cellules embryonnaires ayant pour finalité la transplantation de cellules souches embryonnaires allogéniques dans le traitement de l'insuffisance cardiaque sévère chez l'homme. Par un jugement n° 1013290/6-3 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14PA05259 du 20 juin 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la Fondation Jérôme Lejeune contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 22 août et 21 novembre 2016 et 1er décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fondation Jérôme Lejeune demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la Fondation Jérôme Lejeune et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 12 mars 2010, la directrice de l'Agence de la biomédecine a autorisé la société Texcell à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur des cellules embryonnaires ayant pour finalité la transplantation de cellules souches embryonnaires allogéniques dans le traitement de l'insuffisance cardiaque sévère chez l'homme ; que ce protocole recourait à des lignées de cellules souches embryonnaires dont l'importation avait été autorisée par un arrêté du 8 juillet 2005 du ministre de la santé et des solidarités et du ministre délégué à l'enseignement supérieur ; que, par un jugement du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la Fondation Jérôme Lejeune tendant à l'annulation de la décision du 12 mars 2010 ; que la Fondation Jérôme Lejeune se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 juin 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " La recherche sur l'embryon humain est interdite./ (...) Par dérogation au premier alinéa, et pour une période limitée à cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2151-8, les recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques... " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'Agence de la biomédecine, lorsqu'elle autorise un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires humaines, de s'assurer que cette recherche ne peut être poursuivie par une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques ; qu'en posant cette condition, le législateur a entendu éviter le recours aux cellules souches embryonnaires humaines lorsqu'une recherche permettant d'espérer l'obtention des mêmes résultats peut être poursuivie, notamment, sur des cellules souches adultes ou des cellules souches embryonnaires animales ; qu'il appartient à celui qui sollicite une autorisation d'apporter, à l'appui de sa demande, tous éléments de nature à démontrer que la recherche envisagée ne peut être poursuivie par une méthode alternative d'efficacité comparable et à l'Agence de la biomédecine, qui doit porter son appréciation " en l'état des connaissances scientifiques ", de prendre en considération l'ensemble des travaux scientifiques existant à la date de sa décision pour vérifier que l'absence de méthode alternative d'efficacité comparable et, par suite, la nécessité du recours aux cellules souches embryonnaires humaines peuvent être regardées, à cette date, comme suffisamment établies au vu des connaissances disponibles ;

3. Considérant qu'il était soutenu devant les juges du fond que l'utilisation, à des fins de recherche identique à celle autorisée par l'autorisation litigieuse, de cellules souches pluripotentes induites, de cellules souches adultes (cellules souches mésenchymateuses), de cellules souches embryonnaires animales et de cellules souches cardiaques auraient donné, à la date de la décision attaquée, des résultats comparables ou supérieurs à ceux des recherches autorisées portant sur des cellules souches embryonnaires humaines, et qu'il aurait ainsi existé, en l'état des connaissances scientifiques à la date de la décision attaquée, une méthode alternative d'efficacité comparable ; que la cour, qui a répondu à ce moyen en ne prenant en considération que deux des quatre méthodes alternatives invoquées, a entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ; que celui-ci doit par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en ne faisant pas reposer sur l'Agence de la biomédecine la charge de la preuve de la légalité de la décision attaquée est inopérant ; que pour apprécier, dans le cadre de l'appel formé par la fondation Jérôme Lejeune, la légalité de cette décision, contre laquelle cette fondation a présenté un recours pour excès de pouvoir, il y a lieu de prendre en considération les pièces du dossier, qu'elles aient été produites par l'Agence de la biomédecine ou par la fondation, sans faire reposer la charge de la preuve sur l'une ou l'autre des parties au litige, sauf en ce qui concerne le respect par l'agence d'obligations lui incombant dans le cadre de l'instruction des demandes d'autorisation ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " La recherche sur l'embryon humain est interdite./ A titre exceptionnel, lorsque l'homme et la femme qui forment le couple y consentent, des études ne portant pas atteinte à l'embryon peuvent être autorisées sous réserve du respect des conditions posées aux quatrième, cinquième, sixième et septième alinéas./ Par dérogation au premier alinéa, et pour une période limitée à cinq ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 2151-8, les recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques. Les recherches dont les protocoles ont été autorisés dans ce délai de cinq ans et qui n'ont pu être menées à leur terme dans le cadre dudit protocole peuvent néanmoins être poursuivies dans le respect des conditions du présent article, notamment en ce qui concerne leur régime d'autorisation./ Une recherche ne peut être conduite que sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Elle ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont ils sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Dans tous les cas, le consentement des deux membres du couple est révocable à tout moment et sans motif... " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 2151-6 du même code : " L'importation de tissus ou de cellules embryonnaires ou foetaux aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces tissus ou cellules ont été obtenus dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil " ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R. 2151-13 du même code : " Tout organisme qui importe ou exporte des tissus ou cellules embryonnaires ou foetaux mentionnés au présent article doit être en mesure de justifier qu'ils ont été obtenus dans le respect des principes fixés par les articles 16 à 16-8 du code civil, avec le consentement préalable de la femme ayant subi une interruption de grossesse ou du couple géniteur dans le cas d'une assistance médicale à la procréation, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué " ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans le cas où des recherches sont envisagées sur des cellules souches embryonnaires humaines ayant fait l'objet d'une autorisation d'importation, il est exigé que le couple donneur dont est issu l'embryon ait consenti au don de cet embryon, dans le pays où le don a eu lieu, dans les conditions définies à l'article R. 2151-13 cité ci-dessus ; que le recueil préalable du consentement écrit du couple donneur prévu par l'article L. 2151-5 en cas de don d'embryon consenti sur le territoire français à des fins de recherche n'est, dans ce cas, pas exigé ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre de la santé et des solidarités et le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche ont, par un arrêté du 8 juillet 2005 publié au Journal officiel du 21 juillet 2005, autorisé le Centre national de la recherche scientifique (FRE 2593) à importer, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, huit lignées de cellules souches embryonnaires humaines destinées à des recherches ayant pour finalité la maîtrise de la différenciation des cellules souches embryonnaires humaines en cardiomyocytes et l'étude de leur potentialité dans le traitement de l'insuffisance cardiaque ; que l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale ; que les autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ne sont pas des actes pris pour l'application des autorisations d'importation de ces mêmes cellules, lesquelles ne constituent pas davantage leur base légale ; qu'ainsi, la fondation requérante ne peut utilement soutenir que le consentement libre et éclairé de chacun des membres du couple ou du membre survivant du couple dont sont issues les cellules souches embryonnaires humaines n'aurait pas été recueilli préalablement à la délivrance de l'autorisation d'importation ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique : " Outre la vérification des conditions fixées à l'article L. 2151-5 (...) l'agence de la biomédecine tient compte des locaux, des matériels, des équipements ainsi que des procédés et techniques mis en oeuvre par le demandeur. Elle évalue les moyens et dispositifs garantissant la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires " ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'Agence de la biomédecine s'est livrée à une évaluation des moyens et dispositifs garantissant la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires et qu'elle a pris en compte les locaux, les matériels, les équipements ainsi que les procédés et techniques mis en oeuvre par le demandeur ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique doit dès lors être écarté ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2151-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Sont notamment susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs, au sens de l'article L. 2151-5, les recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires poursuivant une visée thérapeutique pour le traitement de maladies particulièrement graves ou incurables, ainsi que le traitement des affections de l'embryon ou du foetus " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la recherche autorisée avait pour objet d'améliorer le traitement de l'insuffisance cardiaque sévère dont le taux de mortalité est élevé et pour laquelle il n'existe pas de traitement satisfaisant en dehors de la transplantation cardiaque ; qu'ainsi l'Agence de la biomédecine a fait une exacte application des dispositions de l'article R. 2151-1 précité en estimant que le protocole de recherche litigieux était de nature à permettre des progrès thérapeutiques majeurs ;

10. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'utilisation, à des fins de recherche identique à celle autorisée par l'autorisation litigieuse, de cellules souches pluripotentes induites, de cellules souches mésenchymateuses, de cellules souches embryonnaires animales ou de cellules souches cardiaques aurait donné, à la date de la décision attaquée, des résultats comparables ou même supérieurs à ceux des recherches autorisées portant sur des cellules souches embryonnaires humaines, et qu'il aurait ainsi existé, en l'état des connaissances scientifiques à cette date, une méthode alternative d'efficacité comparable ; que le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique cité ci-dessus, doit, par suite, être écarté ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 16 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine ne peut être utilement soulevé à l'encontre de la décision attaquée dès lors que ces stipulations sont relatives à la protection des personnes se prêtant à une recherche et non à la recherche sur l'embryon, laquelle est l'objet de l'article 18 de la même convention ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune la somme de 4 500 euros à verser à l'Agence de la biomédecine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble de la procédure ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une telle somme soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 20 juin 2016 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la Fondation Jérôme Lejeune devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.

Article 3 : La fondation Jérôme Lejeune versera à l'Agence de la biomédecine la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la Fondation Jérôme Lejeune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fondation Jérôme Lejeune et à l'Agence de la biomédecine.

Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402707
Date de la décision : 19/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jan. 2018, n° 402707
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Leforestier
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:402707.20180119
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