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22/12/2017 | FRANCE | N°408301

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre jugeant seule, 22 décembre 2017, 408301


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite de rejet résultant du silence conservé par la commission des recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur sa contestation de la décision de refus de visa opposée par les services de l'ambassade de France en Afghanistan, d'autre part, d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa demande de visa dans un délai

de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous as...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite de rejet résultant du silence conservé par la commission des recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur sa contestation de la décision de refus de visa opposée par les services de l'ambassade de France en Afghanistan, d'autre part, d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa demande de visa dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte journalière de 50 euros.

Par une ordonnance n° 1609211 du 22 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 février, 10 mars, 5 septembre et 6 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M.A....

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B...A..., ressortissant afghan, a exercé, entre le 27 août 2011 et le 27 mars 2012, les fonctions d'interprète auprès des forces armées françaises alors déployées en Afghanistan ; que les autorités françaises ont annoncé au mois de mai 2012 le retrait des forces françaises d'Afghanistan à partir du mois de juillet ; que M. A...a déposé une demande de visa auprès de l'ambassade de France en Afghanistan le 11 juillet 2015 ; qu'un refus de visa lui ayant été opposé le 7 octobre 2015, il a saisi le 7 décembre 2015 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; que sa demande ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, M. A...a demandé le 4 avril 2016 la communication des motifs du rejet de sa demande ; qu'après avoir reçu communication de ces motifs, il a formé un recours contre ce refus de visa devant le tribunal administratif de Nantes ; qu'il a parallèlement demandé au juge des référés de ce tribunal, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'en suspendre l'exécution ; que, par une ordonnance du 22 novembre 2016, le juge des référés a rejeté cette demande de suspension, au motif que l'urgence n'était pas caractérisée ; que M. A...se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;

Sur le pourvoi :

3. Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A...a servi en qualité d'interprète auprès des forces françaises, en étant rattaché au groupement tactique inter-armes de Kapisa ; qu'il a participé à des opérations sur le terrain avec les forces françaises ; qu'il fait valoir qu'il a fait l'objet de menaces qui l'ont obligé à déménager et à vivre reclus ; que, dans les circonstances de l'espèce, alors que la situation en Afghanistan s'est dégradée avec une recrudescence des violences qui exposent à des risques élevés les ressortissants afghans qui ont accordé leur concours à des forces armées étrangères, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a dénaturé les faits de l'espèce en estimant que la condition d'urgence, requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, n'était pas remplie ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur l'intervention :

6. Considérant que la Ligue des droits de l'homme et l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers justifient, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande de suspension ; que leurs interventions sont, par suite, recevables ;

Sur la demande de suspension :

7. Considérant, d'une part, que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'en l'espèce, il ressort des éléments versés au dossier que la condition d'urgence, eu égard aux risques dont fait état M.A..., doit être regardée comme remplie ;

8. Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de l'erreur manifeste dont serait entachée la décision de refus de visa contestée, eu égard aux risques courus par l'intéressé du fait des missions accomplies, est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur sa légalité ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision implicite née le 7 février 2016 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; qu'il y a lieu de prononcer l'injonction sollicitée par M. A...et de prescrire à l'autorité administrative de réexaminer sa demande de visa dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à M. A...au titre, pour la première instance et la procédure devant le Conseil d'Etat, de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 22 novembre 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : Les interventions de la Ligue des droits de l'homme et de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers sont admises.

Article 3 : L'exécution de la décision implicite née le 7 février 2016 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est suspendue.

Article 4 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de réexaminer la demande de visa de M. A...dans le délai d'un mois à compter de la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera à M. A...une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à la Ligue des droits de l'homme et à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers.


Synthèse
Formation : 7ème chambre jugeant seule
Numéro d'arrêt : 408301
Date de la décision : 22/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2017, n° 408301
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Yves Ollier
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:408301.20171222
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