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18/12/2017 | FRANCE | N°400561

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 18 décembre 2017, 400561


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par un arrêt n° 11/05171 du 17 mai 2013, la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Poitiers a sursis à statuer sur les demandes de la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres tendant à ce que les sociétés à responsabilité limitée Nicoline, La Niortiaise, JEBM, Axeline et Le Moulin des saveurs soient condamnées sous astreinte à se conformer aux prescriptions de l'arrêté du 25 mars 2003 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a ordonné la fermeture hebd

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par un arrêt n° 11/05171 du 17 mai 2013, la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Poitiers a sursis à statuer sur les demandes de la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres tendant à ce que les sociétés à responsabilité limitée Nicoline, La Niortiaise, JEBM, Axeline et Le Moulin des saveurs soient condamnées sous astreinte à se conformer aux prescriptions de l'arrêté du 25 mars 2003 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a ordonné la fermeture hebdomadaire des établissements ou parties d'établissements vendant du pain dans le département des Deux-Sèvres, jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité de cet arrêté.

Les sociétés Axeline, Nicoline, La Niortaise, JEBM et Le Moulin des Saveurs, agissant en exécution de cet arrêt, ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de déclarer l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 25 mars 2003 et d'en prononcer l'abrogation. Par un jugement n° 1301628 du 5 juin 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14BX02381 du 25 avril 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Axeline et les autres sociétés requérantes contre ce jugement.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin 2016, 11 juillet 2016, 25 septembre 2017 et 6 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Axeline, Nicoline, La Niortaise, JEBM et Le Moulin des saveurs demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 avril 2016 ;

2°) de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Axeline, et à Me Delamarre, avocat de la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres.

Considérant ce qui suit :

Sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux :

1. Aux termes de l'article R. 321-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction antérieure au décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, applicable aux jugements rendus avant le 1er avril 2015 : " Le Conseil d'État est compétent pour statuer sur les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs rendus sur les recours sur renvoi de l'autorité judiciaire (...) ". Ainsi, la requête formée par les sociétés requérantes contre le jugement, en date du 5 juin 2014, par lequel le tribunal administratif de Poitiers s'est prononcé, en exécution de l'arrêt de la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Poitiers du 17 mai 2013, sur la légalité de l'arrêté du 25 mars 2003 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a ordonné la fermeture hebdomadaire des établissements ou parties d'établissements du département dans lesquels s'effectuent à titre principal ou accessoire la vente au détail ou la distribution de pain, relève de la compétence du Conseil d'Etat. Il y a lieu, par suite, pour le Conseil d'Etat, d'annuler l'arrêt du 25 avril 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé contre ce jugement et de statuer, en sa qualité de juge d'appel, sur cette requête.

Sur l'appréciation de la légalité de l'arrêté du 25 mars 2003 :

2. Aux termes du premier alinéa de l'ancien article L. 221-17 du code du travail, aujourd'hui repris à l'article L. 3132-29 du même code : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos (...) ".

3. En premier lieu, d'une part, si l'accord mentionné à l'article L. 221-17 du code du travail n'a pas à prendre la forme d'un document écrit et signé dans les conditions alors prévues au titre III du livre I du code du travail, le préfet doit cependant vérifier l'existence d'un accord entre une ou plusieurs organisations d'employeurs et une ou plusieurs organisations de salariés, résultant d'échanges et de discussions menés simultanément et collectivement entre ces organisations. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 25 mars 2003 a été pris au vu d'un accord sur la fermeture hebdomadaire, signé le 26 juin 2001 par la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres et les unions départementales CGT-FO, CGT et CGC, à la suite, notamment, d'une réunion de concertation à laquelle ont été conviées, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, non seulement les organisations d'employeurs représentant les boulangeries et boulangeries-pâtisseries artisanales, mais également celles représentant dans le département les autres catégories de commerces concernés, ainsi que les unions départementales CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC. Les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir ni de la circonstance que deux des organisations d'employeurs n'auraient pas été conviées à une précédente réunion, ni de l'absence d'invitation faite aux organisations nationales ou interprofessionnelles qu'elles citent, ni de l'absence de mention de négociations préalables par l'accord et par l'arrêté. Le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux n'aurait pas été précédé d'un accord tel que mentionné à l'article L. 221-17 du code du travail doit ainsi être écarté.

4. D'autre part, le délai écoulé entre la date de signature de cet accord et la date d'adoption de l'arrêté litigieux n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, de nature à avoir affecté la légalité de ce dernier.

5. En deuxième lieu, pour l'application des dispositions du code du travail citées au point 2, la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements exerçant effectivement l'activité en cause ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité de ces établissements.

6. En l'espèce, la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres, signataire de l'accord, représentait dans le département, en 2004, selon les chiffres produits par les sociétés requérantes elles-mêmes, 260 boulangeries artisanales quand les établissements de fabrication industrielle de pain et pâtisserie et les terminaux de cuisson de produits de boulangerie n'étaient qu'au nombre respectivement de 2 et de 15. Si les sociétés requérantes soutiennent que les " points de vente de pain " s'élevaient, au total, au cours de la même année, à 593, dont la boulangerie artisanale n'aurait ainsi représenté qu'une proportion de 43,8 %, le document qu'elles produisent, établi d'après les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques sur les entreprises, qui fait état de la totalité des commerces d'alimentation générale, supérettes, supermarchés et hypermarchés, de même que des établissements de restauration rapide et des stations d'essence du département, ne permet pas de déterminer la proportion de ces établissements vendant effectivement du pain, fût-ce à titre accessoire, dont l'avis doit seul être pris en considération en application des dispositions précitées. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'accord du 26 juin 2001, faute d'avoir été conclu par d'autres organisations d'employeurs que la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres, n'aurait pas exprimé, à la date de l'arrêté du 25 mars 2003, la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés.

7. En troisième lieu, la juridiction compétente pour statuer sur l'exception tirée de l'illégalité d'un règlement peut être invitée à rechercher, non seulement si ce règlement a été légalement pris, mais s'il était resté légalement en vigueur à la date à laquelle il en a été fait application.

8. En l'espèce, si les sociétés requérantes font également valoir que, compte tenu de l'évolution de la boulangerie artisanale, la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés a nécessairement changé depuis l'intervention de l'arrêté du 25 mars 2003, elles ne produisent à l'appui de ces allégations, outre un recensement des " points de vente de pain " en 2015, établi dans les mêmes conditions que celles décrites au point 6, qu'un courrier du Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide du 9 octobre 2015 reconnaissant lui-même que " la majorité de (ses) adhérents ne sont pas concernés par la vente de pain au sens strict ". Dans ces conditions, les allégations des sociétés requérantes selon lesquelles l'arrêté du 25 mars 2003 ne témoignerait plus, à la date à laquelle la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres demande à la cour d'appel de Poitiers d'en faire application, de la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés ne peuvent être regardées comme suffisamment étayées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leurs conclusions tendant à ce que l'arrêté du 25 mars 2003 soit déclaré illégal.

Sur les conclusions à fin d'abrogation de l'arrêté du 25 mars 2003 :

10. Il n'appartient pas à la juridiction administrative, qu'elle soit saisie directement ou sur renvoi préjudiciel de l'autorité judiciaire, de prononcer elle-même l'abrogation d'un acte administratif. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté les conclusions qu'elles avaient présentées à cette fin.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés requérantes le versement à la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres d'une somme de 600 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions des sociétés requérantes tendant aux mêmes fins.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 avril 2016 est annulé.

Article 2 : L'appel des sociétés Axeline, Nicoline, La Niortaise, JEBM et Le Moulin des saveurs est rejeté.

Article 3 : Les sociétés Axeline, Nicoline, La Niortaise, JEBM et Le Moulin des saveurs verseront à la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres une somme de 600 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée, pour l'ensemble des requérants, à la société Axeline, première dénommée, à la Fédération départementale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie des Deux-Sèvres et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée aux unions départementales CGT, CGT-FO et CFE-CGC des Deux-Sèvres et à la cour d'appel de Poitiers.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 400561
Date de la décision : 18/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2017, n° 400561
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:400561.20171218
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