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24/11/2017 | FRANCE | N°395858

France | France, Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 24 novembre 2017, 395858


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 janvier et 4 avril 2016 et le 9 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 novembre 2015 de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes relatif à la périodicité et au contenu des vis

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 janvier et 4 avril 2016 et le 9 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 novembre 2015 de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes relatif à la périodicité et au contenu des visites médicales et de dépistage obligatoires prévues à l'article L. 541-1 du code de l'éducation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 91-1195 du 27 novembre 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

1. Considérant qu'aux termes des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 541-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République : " Au cours de la sixième année, une visite comprenant un dépistage des troubles spécifiques du langage et de l'apprentissage est organisée. Les médecins de l'éducation nationale travaillent en lien avec l'équipe éducative, les professionnels de santé et les parents, afin que, pour chaque enfant, une prise en charge et un suivi adaptés soient réalisés suite à ces visites. / Les ministres chargés de l'éducation nationale et de la santé déterminent conjointement, par voie réglementaire, pour les visites médicales et les dépistages obligatoires, la périodicité et le contenu de l'examen médical de prévention et de dépistage " ; que, pour l'application de ces dispositions, l'arrêté attaqué du 3 novembre 2015 institue deux visites médicales et de dépistage obligatoires, l'une au cours de la sixième année de l'enfant et l'autre au cours de sa douzième année ; qu'en outre, il fixe, dans ses annexes I et II, le contenu de ces deux visites ; que les conclusions de la requête du Conseil national de l'ordre des médecins doivent, au regard des moyens développés à leur soutien, être regardées comme tendant uniquement à l'annulation, d'une part, de l'article 2 de cet arrêté et de son annexe II en tant qu'ils prévoient que la visite des douze ans est réalisée par les infirmiers de l'éducation nationale et, d'autre part, de l'annexe I et de l'annexe II de cet arrêté en tant qu'elles autorisent les médecins et les infirmiers de l'éducation nationale à mettre les données issues de ces deux visites à la disposition des personnels de l'éducation nationale chargés du suivi des élèves ;

Sur l'arrêté attaqué en tant qu'il confie certaines missions aux infirmiers de l'éducation nationale :

2. Considérant, en premier lieu, que si, ainsi que le soutient le Conseil national de l'ordre des médecins, les dispositions citées au point 1 n'autorisent pas les ministres chargés de l'éducation nationale et de la santé à confier aux infirmiers de l'éducation nationale la responsabilité d'actes, d'analyses, de conclusions ou de préconisations excédant leurs compétences légales, elles ne font pas obstacle à ce que les ministres édictent, au titre de leurs pouvoirs propres, les mesures d'organisation des services dont ils ont la charge, dès lors que, ce faisant, ils ne méconnaissent pas les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, notamment celles relatives aux compétences des agents concernés ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient le Conseil national de l'ordre des médecins, l'article 2 de l'arrêté attaqué et son annexe II n'ont pas pour objet et n'auraient pas pu légalement avoir pour effet de permettre aux infirmiers de l'éducation nationale la réalisation d'actes réservés aux médecins ; qu'en particulier, si cette annexe mentionne que l'infirmier doit procéder à une " évaluation de la situation clinique ", une telle évaluation, qui ne se confond pas avec un examen clinique et ne saurait notamment le conduire à porter un diagnostic médical qui appartient au seul médecin, s'inscrit dans le cadre des compétences qui sont dévolues aux infirmiers par les articles R. 4311-1 et R. 4311-5 du code de la santé publique en ce qui concerne le recueil des données cliniques et des observations de toute nature susceptibles de concourir à la connaissance de l'état de santé d'une personne ; qu'en outre, la circonstance que les dispositions de l'article 2 du décret du 27 novembre 1991 portant dispositions statutaires applicables au corps des médecins de l'éducation nationale et à l'emploi de médecin de l'éducation nationale, qui, contrairement à ce qui est indiqué en défense, ne peuvent être regardées comme ayant été implicitement abrogées par la rédaction de l'article L. 541-1 du code de l'éducation issue de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, confient aux seuls médecins de l'éducation nationale la réalisation du " bilan de santé " exigé lors du passage d'un élève dans le cycle secondaire, n'est pas par elle-même de nature à entacher d'illégalité les dispositions attaquées ; qu'en effet, la visite de dépistage, réalisée par l'infirmier, qu'elles instituent, se distingue tant par son objet que par son contenu du " bilan de santé " confié par le décret du 27 novembre 1991 aux seuls médecins de l'éducation nationale et auquel elle ne peut se substituer ;

4. Considérant, par suite, que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que l'article 2 de l'arrêté et son annexe II méconnaissent les dispositions de l'article L. 541-1 du code de l'éducation, les dispositions des articles 1er et 2 du décret du 27 novembre 1991 régissant les compétences des médecins de l'éducation nationale ou les dispositions du code de la santé publique qui définissent les compétences des infirmiers ;

Sur l'arrêté attaqué en tant qu'il prévoit certaines transmissions de données par les médecins et infirmiers :

5. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : " Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 4127-4 du même code : " Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi./ Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris " ; qu'aux termes de l'article R. 4312-4 du code de la santé publique : " Le secret professionnel s'impose à tout infirmier ou infirmière et à tout étudiant infirmier dans les conditions établies par la loi./Le secret couvre non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, lu, entendu, constaté ou compris (...) " ; que l'annexe I et l'annexe II à l'arrêté attaqué, dont le Conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation, prévoient que les médecins et les infirmiers de l'éducation nationale mettent les " données" issues des visites médicales et de dépistage obligatoires qu'ils réalisent à la disposition des personnels de l'éducation nationale en charge du suivi de l'élève concerné ;

6. Considérant qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-1 du code de l'éducation que le lien qui doit être assuré, dans l'intérêt des enfants scolarisés, entre les médecins et l'équipe éducative justifie l'existence entre eux d'un échange d'informations dans le respect du secret médical, aux fins, notamment, de pouvoir adapter les modalités de suivi de chaque enfant ; que, toutefois, faute de préciser la nature des données transmises par les médecins à l'équipe éducative et, en ce qu'il s'agirait de données nominatives, les destinataires précis de ces transmissions au sein de l'établissement et leurs finalités, la seule mention, par les dispositions attaquées, de ce que la mise à disposition doit se faire " dans le respect du secret professionnel " n'est pas de nature à garantir le respect du secret rappelé par les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ; que, par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé à soutenir que les prescriptions attaquées de ces deux annexes sont entachées d'illégalité ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté attaqué qu'en tant que ses annexes I et II prévoient la mise à la disposition des personnels de l'éducation nationale des données issues des visites médicales et de dépistage obligatoires ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que demande le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté du 3 novembre 2015 est annulé en ce qu'il comporte à ses annexes I et II la disposition suivante : " -mise à disposition des données issues de cette visite aux personnels de l'éducation nationale en charge du suivi de l'élève concerné, dans le respect du secret professionnel ; ".

Article 2 : L'Etat versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du Conseil national de l'ordre des médecins est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'éducation nationale.


Synthèse
Formation : 4ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 395858
Date de la décision : 24/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 nov. 2017, n° 395858
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Françoise Tomé
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:395858.20171124
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