La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/09/2017 | FRANCE | N°411775

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 15 septembre 2017, 411775


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juin et 4 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des industries de la protection des plantes demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-590 du 20 avril 2017 relatif à la mise en oeuvre du dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, de renvoyer au Consei

l constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés g...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juin et 4 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des industries de la protection des plantes demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-590 du 20 avril 2017 relatif à la mise en oeuvre du dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Monteagle, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de l'Union des industries de la protection des plantes ;

Vu la note en délibérée, enregistrée le 7 septembre 2017, présentée par l'Union des industries de la protection des plantes ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 254-10 du code rural et de la pêche maritime : " A titre expérimental et pour une période allant du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2022, il est mis en place en métropole un dispositif visant à la réduction de l'utilisation de certains produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat et comportant l'émission de certificats d'économie de ces produits ".

3. Aux termes de l'article L. 254-10-1 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Sont soumises à des obligations de réalisation d'actions tendant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques les personnes qui vendent en métropole, à des utilisateurs professionnels, des produits mentionnés à l'article L. 254-10. Ces personnes sont dénommées les " obligés ". / L'obligé est tenu de mettre en place des actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques ou de faciliter la mise en oeuvre de telles actions. / II. - L'autorité administrative notifie à chaque obligé l'obligation de réalisation d'actions qui lui incombe du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2021 en vertu de la présente section compte tenu des quantités de produits phytopharmaceutiques qu'il a déclarées en application des articles L. 213-10-8 et L. 213-11 du code de l'environnement. / Cette obligation est proportionnelle aux quantités de chaque substance active contenues dans ces produits phytopharmaceutiques, pondérées, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, par des coefficients liés soit aux caractéristiques d'emploi de ces produits, soit aux dangers des substances actives qu'ils contiennent. Elle est exprimée en nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. / III. - Les personnes, autres que celles mentionnées au I du présent article, exerçant une activité de conseil aux agriculteurs qui mettent en place des actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques peuvent obtenir en contrepartie des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. Ces personnes sont dénommées les " éligibles " ".

4. Aux termes de l'article L. 254-10-2 du code rural et de la pêche maritime : " Les obligés justifient de l'accomplissement de leurs obligations soit par la production de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques obtenus par la mise en place d'actions visant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, soit par l'acquisition de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques auprès d'autres obligés ou d'éligibles. / Le nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques obtenus par la mise en place d'une action est fonction de son potentiel de réduction de l'usage et de l'impact des produits phytopharmaceutiques, de sa facilité de mise en oeuvre, de son bilan économique et de son potentiel de déploiement ". Aux termes de l'article L. 254-10-3 du même code : " Les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques sont des biens meubles, exclusivement matérialisés par leur inscription au registre national informatisé des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, au sein duquel est tenue la comptabilité des certificats obtenus par chaque obligé ou éligible. Ils peuvent être acquis dans les conditions prévues au III de l'article L. 254-10-1 et à l'article L. 254-10-2, détenus ou cédés par les obligés et les éligibles ". Aux termes de l'article L. 254-10-4 du même code : " Une évaluation de l'expérimentation de l'obligation de mise en place d'actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques est effectuée et rendue publique avant le 1er janvier 2020 ".

5. Aux termes de l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime : " A l'issue d'une procédure contradictoire, les obligés qui, au 31 décembre 2021, n'ont pas satisfait à l'obligation qui leur a été notifiée doivent verser au Trésor public une pénalité proportionnelle au nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques manquants pour atteindre l'objectif dont le montant est arrêté par l'autorité administrative. / Le montant de cette pénalité par certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques manquant est fixé par décret en Conseil d'Etat. / Le montant total des sommes qu'une même personne physique ou morale peut être tenue de verser à ce titre ne peut excéder cinq millions d'euros. / Les titres de recettes sont émis par l'autorité administrative et sont recouvrés comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. Une majoration de 10 % du montant dû est appliquée pour chaque semestre de retard dans le paiement de la pénalité ". Aux termes de l'article L. 254-10-6 du même code : " Les inspections et contrôles du dispositif mis en oeuvre par la présente section et ses textes d'application sont réalisés dans les conditions prévues au chapitre préliminaire du titre V du présent livre ". Aux termes de l'article L. 254-10-7 du même code : " Le fait de faire obstacle à l'exercice des fonctions des agents habilités à rechercher et constater les manquements aux dispositions de la présente section et de ses textes d'application est puni comme le délit prévu à l'article L. 205-11 ". Aux termes de l'article L. 254-10-8 du même code : " I. - Le fait de se faire délivrer indûment, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques est puni comme le délit prévu au premier alinéa de l'article 441-6 du code pénal. / II. - Les agents mentionnés au I de l'article L. 205-1 du présent code sont habilités à rechercher et à constater les infractions mentionnées au I du présent article dans les conditions prévues au chapitre V du titre préliminaire du présent livre ". Aux termes de l'article L. 254-10-9 du même code : " Les modalités d'application de la présente section et les conditions dans lesquelles l'expérimentation est évaluée sont fixées par décret en Conseil d'Etat ".

6. L'Union des industries de la protection des plantes demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-590 du 20 avril 2017 pris pour l'application des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime. Par un mémoire distinct, elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que ces dispositions législatives, adoptées en méconnaissance de l'article 37-1 de la Constitution, méconnaissent l'exigence de transposition des directives résultant de article 88-1 de la Constitution ainsi que les principes de liberté d'entreprendre, de garantie des droits et de non-rétroactivité des peines et des sanctions découlant des articles 4, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

7. En premier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

8. Il résulte des dispositions législatives critiquées que les obligations de réalisation d'actions d'économie dans l'usage de certains produits phytopharmaceutiques mises à la charge, à titre expérimental, des personnes qui vendent ces produits sur le territoire métropolitain à des professionnels utilisateurs sont des obligations de moyens qu'il leur appartient de mettre en place dans leur activité de distribution, notamment en termes d'offres de solutions ou de produits alternatifs. Si l'article L. 254-10 dispose que les produits concernés par l'expérimentation font partie de ceux qui sont mentionnés à l'article L. 253-1 du même code, lequel renvoie notamment au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil, le législateur a pu prévoir que la liste détaillée de ces produits serait fixée par décret en Conseil d'Etat eu égard à la complexité de la matière, notamment pour tenir compte des solutions alternatives disponibles. Il en résulte le législateur a adopté, en poursuivant des objectifs d'intérêt général de protection de la santé et de préservation de l'environnement, des mesures qui ne portent pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Il en résulte également que le moyen tiré de ce que, pour la même raison, le législateur aurait méconnu la compétence qu'il tient de l'article 37-1 de la Constitution ne peut, en tout état de cause, être regardé comme sérieux.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.

10. La pénalité instituée par l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime est susceptible d'être infligée aux " obligés " définis par le I de l'article L. 254-10-1 en cas de non-respect par ceux-ci des obligations qui leur auront été notifiées par l'autorité administrative pour la période du 1er janvier 2021 ou 31 décembre 2021. Cette pénalité ne vise ainsi pas à sanctionner des faits antérieurs aux dispositions législatives critiquées, lesquelles ne peuvent au demeurant pas être regardées comme une validation de l'ordonnance n° 2015-1244 du 7 octobre 2015 annulée par une décision n° 394696 du 28 décembre 2016 du Conseil d'Etat statuant au contentieux et qui instaurait une période différente pour l'obligation de réalisation d'actions. Si, à la suite de l'annulation de cette ordonnance et eu égard à l'intérêt général poursuivi, le législateur a entendu maintenir la possibilité de convertir, dans le cadre d'une démarche volontaire, en certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques les actions qui avaient commencé à être mises en oeuvre à compter du 1er juillet 2016, cette circonstance n'est pas de nature à porter rétroactivement atteinte aux droits des obligés. Par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions critiquées méconnaîtraient, d'une part, le principe constitutionnel de la garantie des droits proclamé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne peuvent être regardés comme sérieux.

11. En troisième lieu, l'Union requérante ne peut utilement faire valoir que les dispositions critiquées méconnaîtraient l'existence de transposition des directives résultant de l'article 88-1 de la Constitution dès lors que le respect de cette exigence ne relève pas des droits et libertés que la Constitution garantit et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

12. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Ainsi, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union des industries de la protection des plantes.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des industries de la protection des plantes, au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 411775
Date de la décision : 15/09/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 sep. 2017, n° 411775
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Monteagle
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:411775.20170915
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award