Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 29 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 102 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui a notamment introduit de nouvelles dispositions aux articles L. 4624-1 à L. 4624-10 du code du travail.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail, notamment ses articles L. 4624-1 à L. 4624-10, dans leur version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Maxime Boutron, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Sur la méconnaissance du droit à la protection de la santé :
2. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé " ; qu'il incombe au législateur de déterminer les modalités de mise en oeuvre de ce droit à la protection de la santé ;
3. Considérant, en premier lieu, que les dispositions des 7° et 8° du II. de l'article 102 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dont la constitutionnalité est contestée, introduisent aux articles L. 4624-1 à L. 4624-5 du code du travail un ensemble de dispositions prévoyant que chaque travailleur bénéficie d'un suivi individuel de son état de santé ; qu'en application de ces dispositions, tout salarié affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité bénéficie d'un suivi individuel renforcé, comprenant un examen médical d'aptitude ; que les autres salariés bénéficient d'un suivi individuel qui se matérialise par une visite d'information et de prévention, effectuée après l'embauche par un professionnel de santé, placé sous l'autorité du médecin du travail, qui peut l'orienter vers ce dernier ; que les modalités et la périodicité du suivi, sous l'autorité du médecin du travail, de l'état de santé de chaque salarié prennent en compte les conditions de travail, l'âge, l'état de santé et les risques professionnels auxquels les salariés sont exposés ; qu'enfin, ces derniers peuvent à tout moment, s'ils anticipent un risque d'inaptitude, solliciter une visite médicale ;
4. Considérant qu'il résulte des garanties ainsi posées par les dispositions litigieuses que le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le législateur aurait porté atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de 1946 ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que si l'article 34 de la Constitution prévoit que la loi " détermine les principes fondamentaux " du droit du travail, il n'incombe pas au législateur de déterminer les modalités pratiques, notamment en termes de périodicité, selon lesquelles s'effectuent les interventions de la médecine du travail ; que, le législateur ayant, ainsi qu'il a été dit au point 3, prévu que les modalités et la périodicité du suivi de l'état de santé des salariés devaient prendre en compte les conditions de travail, l'état de santé et l'âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait méconnu l'étendue de sa compétence et porté atteinte au droit à la protection de la santé en ne fixant pas de périodicité maximale pour la visite d'information et de prévention ;
Sur la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
7. Considérant que les dispositions du 9° de l'article 102 de la même loi du 8 août 2016, dont la constitutionnalité est contestée, introduisent dans le code du travail un nouvel article L. 4624-7 qui prévoit que si le salarié ou l'employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail, il peut saisir le conseil de prud'hommes d'une demande tendant à la désignation d'un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel ;
8. Considérant, en premier lieu, que de telles dispositions sont par elles-mêmes sans incidence sur la faculté, pour le salarié, de porter devant le juge du contrat de travail tout litige qui l'oppose à son employeur dans l'exécution de ce contrat ; qu'en tant qu'elles prévoient, au surplus, une procédure particulière permettant, à l'occasion ou en vue d'un tel litige, de saisir ce même juge afin qu'il statue en formation de référé pour la désignation d'un expert, les dispositions contestées ne sauraient être regardée comme méconnaissant le droit des salariés à un recours juridictionnel effectif ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que le syndicat requérant n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le coût de cette procédure d'expertise est de nature à porter atteinte au droit des salariés à un recours juridictionnel effectif, dès lors que le IV de l'article L. 4624-7 du code du travail, introduit dans ce code par la même loi du 8 août 2016, dispose que : " La formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d'expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l'action en justice n'est pas dilatoire ou abusive " ;
10. Considérant, enfin, qu'il résulte des articles 34 et 37 de la Constitution que les dispositions de procédure en matière contentieuse relèvent, à l'exception de la matière pénale, du pouvoir réglementaire ; que le syndicat requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'en ne fixant pas les modalités selon lesquelles les avis d'aptitude ou d'inaptitude peuvent être contestés pour des motifs autres que médicaux ou en ne fixant pas le délai de recours pour saisir le juge des prud'hommes, les dispositions contestées seraient entachées d'une incompétence négative, de nature à priver de garanties le droit des salariés à un recours juridictionnel effectif ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux ; que, par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.