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17/07/2017 | FRANCE | N°410989

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 17 juillet 2017, 410989


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 29 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Fédération du négoce agricole demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-590 du 20 avril 2017 relatif à la mise en oeuvre du dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, de renvoyer au Conseil constitutionnel la

question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitut...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 29 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Fédération du négoce agricole demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-590 du 20 avril 2017 relatif à la mise en oeuvre du dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Fédération du négoce agricole ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 254-10 du code rural et de la pêche maritime : " A titre expérimental et pour une période allant du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2022, il est mis en place en métropole un dispositif visant à la réduction de l'utilisation de certains produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat et comportant l'émission de certificats d'économie de ces produits ".

3. Aux termes de l'article L. 254-10-1 du même code : " I. - Sont soumises à des obligations de réalisation d'actions tendant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques les personnes qui vendent en métropole, à des utilisateurs professionnels, des produits mentionnés à l'article L. 254-10. Ces personnes sont dénommées les " obligés ". / L'obligé est tenu de mettre en place des actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques ou de faciliter la mise en oeuvre de telles actions. / II. - L'autorité administrative notifie à chaque obligé l'obligation de réalisation d'actions qui lui incombe du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2021 en vertu de la présente section compte tenu des quantités de produits phytopharmaceutiques qu'il a déclarées en application des articles L. 213-10-8 et L. 213-11 du code de l'environnement. / Cette obligation est proportionnelle aux quantités de chaque substance active contenues dans ces produits phytopharmaceutiques, pondérées, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, par des coefficients liés soit aux caractéristiques d'emploi de ces produits, soit aux dangers des substances actives qu'ils contiennent. Elle est exprimée en nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. / III. - Les personnes, autres que celles mentionnées au I du présent article, exerçant une activité de conseil aux agriculteurs qui mettent en place des actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques peuvent obtenir en contrepartie des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. Ces personnes sont dénommées les " éligibles " ".

4. Aux termes de l'article L. 254-10-2 du même code : " Les obligés justifient de l'accomplissement de leurs obligations soit par la production de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques obtenus par la mise en place d'actions visant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, soit par l'acquisition de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques auprès d'autres obligés ou d'éligibles. / Le nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques obtenus par la mise en place d'une action est fonction de son potentiel de réduction de l'usage et de l'impact des produits phytopharmaceutiques, de sa facilité de mise en oeuvre, de son bilan économique et de son potentiel de déploiement ". Aux termes de l'article L. 254-10-3 du même code : " Les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques sont des biens meubles, exclusivement matérialisés par leur inscription au registre national informatisé des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, au sein duquel est tenue la comptabilité des certificats obtenus par chaque obligé ou éligible. Ils peuvent être acquis dans les conditions prévues au III de l'article L. 254-10-1 et à l'article L. 254-10-2, détenus ou cédés par les obligés et les éligibles ". Aux termes de l'article L. 254-10-4 du même code : " Une évaluation de l'expérimentation de l'obligation de mise en place d'actions visant à la réalisation d'économies de produits phytopharmaceutiques est effectuée et rendue publique avant le 1er janvier 2020 ".

5. Aux termes de l'article L. 254-10-5 du code : " A l'issue d'une procédure contradictoire, les obligés qui, au 31 décembre 2021, n'ont pas satisfait à l'obligation qui leur a été notifiée doivent verser au Trésor public une pénalité proportionnelle au nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques manquants pour atteindre l'objectif dont le montant est arrêté par l'autorité administrative. / Le montant de cette pénalité par certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques manquant est fixé par décret en Conseil d'Etat. / Le montant total des sommes qu'une même personne physique ou morale peut être tenue de verser à ce titre ne peut excéder cinq millions d'euros. / Les titres de recettes sont émis par l'autorité administrative et sont recouvrés comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. Une majoration de 10 % du montant dû est appliquée pour chaque semestre de retard dans le paiement de la pénalité ". Aux termes de l'article L. 254-10-6 du même code : " Les inspections et contrôles du dispositif mis en oeuvre par la présente section et ses textes d'application sont réalisés dans les conditions prévues au chapitre préliminaire du titre V du présent livre ". Aux termes de l'article L. 254-10-7 du même code : " Le fait de faire obstacle à l'exercice des fonctions des agents habilités à rechercher et constater les manquements aux dispositions de la présente section et de ses textes d'application est puni comme le délit prévu à l'article L. 205-11 ". Aux termes de l'article L. 254-10-8 du même code : " I. - Le fait de se faire délivrer indûment, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques est puni comme le délit prévu au premier alinéa de l'article 441-6 du code pénal. / II. - Les agents mentionnés au I de l'article L. 205-1 du présent code sont habilités à rechercher et à constater les infractions mentionnées au I du présent article dans les conditions prévues au chapitre V du titre préliminaire du présent livre ". Aux termes de l'article L. 254-10-9 du même code : " Les modalités d'application de la présente section et les conditions dans lesquelles l'expérimentation est évaluée sont fixées par décret en Conseil d'Etat ".

6. La Fédération du négoce agricole demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 avril 2017 pris pour l'application des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime. Par un mémoire distinct elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que ces dispositions législatives, adoptées en méconnaissance de l'article 37-1 de la Constitution, portent atteinte aux principes de personnalité des peines, de liberté d'entreprendre, de légalité des délits et des peines et d'égalité devant la loi, posés par les articles 4, 6, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Sur l'atteinte au principe de personnalité des peines :

7. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée " ; selon son article 9, tout homme est " présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ". Il résulte de ces articles que nul ne peut être punissable que de son propre fait. Ce principe s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

8. La Fédération du négoce agricole soutient que les dispositions législatives citées aux points 2 à 5 ci-dessus méconnaissent le principe de personnalité des peines en ce que la pénalité instituée par l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime, susceptible d'être infligée aux " obligés " définis par le I de l'article L. 254-10-1 en cas de non-respect par ceux-ci des obligations qui leur ont été notifiées par l'autorité administrative, méconnaît le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait dès lors que le respect de leurs obligations par les " obligés " dépend du comportement des utilisateurs des produits phytopharmaceutiques.

9. Il résulte toutefois des dispositions législatives critiquées que les obligations de réalisation d'actions d'économie dans l'usage de certains produits phytopharmaceutiques mises à la charge, à titre expérimental, des personnes qui vendent ces produits sur le territoire métropolitain à des professionnels utilisateurs sont des obligations de moyens, notamment d'offres de solutions ou de produits alternatifs. La pénalité prévue par l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime ne peut dès lors pas être regardée comme susceptible de sanctionner des " obligés " à raison de manquements qui ne seraient pas de leur fait.

Sur l'atteinte à la liberté d'entreprendre :

10. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

11. La Fédération requérante soutient que les dispositions législatives critiquées limitent l'exercice de l'activité économique des distributeurs de produits phytopharmaceutiques en mettant à leur charge des obligations qu'ils ne maîtrisent pas. Or, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les seules actions mises à la charge des obligés sont des obligations de moyens. Il en résulte qu'en poursuivant des objectifs de protection de la santé et de préservation de l'environnement le législateur a adopté, dans l'intérêt général, des mesures qui, contrairement à ce que soutient la requérante, ne portent pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

Sur l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines :

12. Il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que le législateur doit fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire. Le respect de ce principe impose notamment au législateur d'indiquer précisément le montant maximum de la peine encourue.

13. D'une part, il résulte de l'article L. 254-10-5 du code rural et de la pêche maritime que le législateur a prévu que le montant total des sommes dues, en cas de manquement aux obligations notifiées aux obligés, ne peut excéder cinq millions d'euros pour une même personne physique ou morale et que ce montant est calculé en fonction du nombre de certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques manquants. Le législateur a ainsi défini de manière suffisamment claire et précise les sanctions qu'il a entendu instituer et n'a pas méconnu sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer le montant de cette pénalité par certificat. D'autre part, l'article L. 254-10 dispose que les produits concernés par l'expérimentation font partie de ceux qui sont mentionnés à l'article L. 253-1 du même code, lequel renvoie notamment au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil. Le législateur a pu prévoir, eu égard à la complexité de la matière, que la liste détaillée de ces produits serait fixée par décret en Conseil d'Etat. Il en résulte que le moyen selon lequel les dispositions législatives critiquées portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines ne présente pas de caractère sérieux. Il en résulte également que les moyens tirés, d'une part, de ce que, pour les raisons mentionnées ci-dessus, le législateur aurait méconnu la compétence qu'il tient de l'article 37-1 de la Constitution et, d'autre part, que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi aurait été méconnu, ne peuvent, en tout état de cause, être regardés comme sérieux.

Sur l'atteinte au principe d'égalité :

14. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi doit être la même pour tous. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

15. La Fédération du négoce agricole soutient que les dispositions législatives critiquées portent atteinte à ce principe en instituant une discrimination à rebours, en ce qu'elles traiteraient différemment les distributeurs français des distributeurs situés dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Il ressort toutefois de l'article L. 254-10-1 du code rural et de la pêche maritime que l'expérimentation des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques, qui n'est au demeurant pas une mesure de transposition du droit de l'Union européenne, a également vocation à s'appliquer aux importateurs de produits phytopharmaceutiques en métropole.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre des articles L. 254-10 à L. 254-10-9 du code rural et de la pêche maritime, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Ainsi, il n'y a pas lieu de la renvoyer.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération du négoce agricole.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération du négoce agricole, au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 410989
Date de la décision : 17/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jui. 2017, n° 410989
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:410989.20170717
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