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12/07/2017 | FRANCE | N°402991

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 12 juillet 2017, 402991


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 août 2016, 6 juin et 19 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-881 du 29 juin 2016 relatif à l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sous forme de société autre qu'une société civile professionnelle.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-

le code civil ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

- l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 août 2016, 6 juin et 19 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-881 du 29 juin 2016 relatif à l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sous forme de société autre qu'une société civile professionnelle.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- l'ordonnance du 10 septembre 1817 relative aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

- le décret n° 78-380 du 15 mars 1978 ;

- le décret n° 88-814 du 12 juillet 1988 ;

- le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 ;

- la décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 juin 2017, présentée par le ministre de l'économie et des finances ;

1. Considérant qu'en vertu de l'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 relative aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'exercice de cette profession s'exerce par des personnes nommées titulaires d'un office par le ministre de la justice ; qu'aux termes de l'article 3-2 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " L'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit dans le cadre d'une entité dotée de la personnalité morale, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant. / Lorsque la forme juridique d'exercice est une société, le capital social et les droits de vote peuvent être détenus par toute personne exerçant une profession juridique ou judiciaire ou par toute personne légalement établie dans un Etat membre de l'Union européenne, dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse qui exerce, dans l'un de ces Etats, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue, et exerçant l'une quelconque desdites professions et, s'il s'agit d'une personne morale, qui satisfait aux exigences de détention du capital et des droits de vote prévues par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales. / Toute société doit au moins comprendre, parmi ses associés, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation remplissant les conditions requises pour exercer ses fonctions. / Au moins un membre de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation exerçant au sein de la société doit être membre du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société. / Dans le respect des règles de déontologie applicables à chaque profession, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. Il présente notamment les conditions d'inscription et d'omission de ces sociétés auprès de l'autorité professionnelle compétente " ; que l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 juin 2016 relatif à l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sous forme de société autre qu'une société civile professionnelle, pris pour l'application de ces dispositions ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de la combinaison des articles 3 et 3-2 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qu'en permettant, sous certaines conditions, l'exercice de la profession sous la forme d'une entité dotée de la personnalité morale, en particulier d'une société, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant, le législateur a nécessairement entendu permettre que les entités créées à cette fin soient nommées titulaires de l'office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ce qui justifie d'ailleurs qu'il ait renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer leur inscription auprès de l'autorité professionnelle compétente, en l'espèce le conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que, par suite, le décret attaqué a pu compétemment préciser, à ses articles 2 et 3, les modalités de nomination d'une société dans un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et, à ses articles 14 et 15, les modalités d'apport de l'office en cas de fusion, scission ou transformation de sociétés ; qu'il a pu de même préciser, à son article 11, les conditions dans lesquelles un nouvel associé peut apporter à la société le droit de présentation à l'agrément du ministre de son successeur qui résulte de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 22 du décret attaqué rend applicable aux formes de sociétés constituées pour l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation définies à son article 1er les dispositions applicables à l'exercice sous forme de sociétés civiles professionnelles résultant des articles 45 à 47 du décret du 15 mars 1978, sous réserve de remplacer le second alinéa de l'article 45, en vertu duquel : " Les associés doivent consacrer à la société toute leur activité professionnelle et s'informer mutuellement de cette activité, sans que puisse leur être reprochée une violation du secret professionnel ", par quatre alinéas ainsi rédigés : " Chaque associé consacre son activité professionnelle à l'accomplissement du service public dont il a la charge, au titre de l'office dans lequel il est nommé en qualité d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation associé. / Les associés s'informent mutuellement de cette activité sans que puisse leur être reprochée une violation du secret professionnel. / Le deuxième alinéa ne fait pas obstacle à l'exercice d'une autre activité professionnelle, au sein de la société ou en dehors de celle-ci, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire et aucune stipulation des statuts de la société ne l'interdit, que cette activité est exercée à titre accessoire et qu'elle est compatible avec l'accomplissement du service public dont il a la charge ainsi qu'avec les règles de déontologie de sa profession. / L'associé qui fait usage de la dérogation prévue au quatrième alinéa en informe par écrit le conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans un délai de trente jours suivant le début de l'activité concernée. Le conseil de l'ordre peut lui demander tous renseignements ou documents utiles pour lui permettre d'apprécier si les exigences de compatibilité prévues à l'alinéa précédent sont satisfaites " ;

4. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions citées au point 3 que les exigences en termes d'interdictions et d'incompatibilités professionnelles applicables aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation exerçant sous forme de société autre qu'une société civile professionnelle sont reprises de celles applicables aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation exerçant sous forme d'une société civile professionnelle, à l'exception de l'obligation, pour les associés, de consacrer à la société toute leur activité professionnelle ; que, toutefois, l'exercice d'une autre activité professionnelle est permise à l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation à la condition qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucune stipulation des statuts de la société ne l'interdise, que cette activité soit exercée à titre accessoire et qu'elle soit compatible avec l'accomplissement du service public dont il a la charge ainsi qu'avec les règles de déontologie de sa profession ; que les formes d'exercice ainsi précisées n'entraînent pas, par elles-mêmes, la méconnaissance des règles de déontologie applicables à la profession ; que le décret attaqué apporte, par ailleurs, des garanties relatives au respect des règles déontologiques, notamment le I de son article 6 qui dispose que : " Les associés n'exerçant pas la profession au sein de la société ainsi que les représentants légaux qui ne sont pas associés et les personnes physiques membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de la société doivent présenter des garanties suffisantes en ce qui concerne leur honorabilité " ; que l'article 18 du décret précise que : " Sous réserve de l'application du présent décret, toutes les dispositions législatives et réglementaires relatives aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont applicables aux sociétés titulaires d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation exerçant en leur sein. (...) " ; que, par suite, le décret attaqué ne méconnaît pas l'obligation, prévue à l'article 3-2 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, selon laquelle les décrets pris pour faire application de ses dispositions pour chacune des professions interviennent dans le respect des règles déontologiques qui leur sont applicables ;

5. Considérant, d'autre part, que si, en application des dispositions citées au point 3, les associés " s'informent mutuellement de cette activité sans que puisse leur être reprochée une violation du secret professionnel ", ces dispositions doivent être regardées comme s'appliquant aux seuls associés exerçant la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation au sein de la même société ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du secret professionnel doit être écarté ;

6. Considérant, en troisième lieu, que l'article 11 du décret attaqué définit les modalités selon lesquelles, lorsqu'une personne déjà titulaire d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation entre en tant qu'associé dans une société elle-même déjà titulaire d'un tel office, soit le nouvel associé soit la société doit renoncer à l'office dont il est titulaire dans le but d'éviter qu'une même personne physique ou morale puisse être titulaire de plusieurs offices ; que, par suite, contrairement à ce qui est soutenu, il n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à une société d'être titulaire de plusieurs offices ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 : " I. - Au vu des besoins identifiés par l'Autorité de la concurrence dans les conditions prévues à l'article L. 462-4-2 du code de commerce, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation créé. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que le garde des sceaux, ministre de la justice nomme les candidats pouvant exercer la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans un nouvel office au vu de la recommandation de l'Autorité de la concurrence sur le nombre d'offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation à créer, après avoir organisé, dans le cas où le nombre de demandes spontanées de créations d'office est insuffisant au regard des besoins identifiés, un appel à manifestation d'intérêt ; qu'aucune disposition législative ni aucun principe n'impose un contrôle ordinal obligatoire sur tout acte relatif à la société, notamment sur la procédure de nomination, de cessions de parts, de fusions, scissions ou transformations de la société ; que, toutefois, en vertu des chapitres II et III du décret attaqué, les opérations de modification ou de répartition du capital de la société, ou des droits de vote qui y sont attachés, ainsi que de fusion, scission ou transformation de sociétés nommées dans un office sont soumises à des procédures de déclaration, de déclaration préalable avec pouvoir d'opposition du garde des sceaux, ministre de la justice, ou d'approbation préalable de ce dernier ; qu'en outre, l'article 18 du décret attaqué dispose que, sous réserve de l'application du décret, toutes les dispositions législatives et réglementaires relatives aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont applicables aux sociétés titulaires d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation exerçant en leur sein ; qu'il en résulte que les dispositions générales relatives au rôle exercé par le conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation leur sont applicables, s'agissant notamment de l'obligation d'inscription au tableau de l'ordre ou de la matière disciplinaire ; que l'article 22 du décret attaqué rend applicable à la société, sous les réserves qu'il énonce, les dispositions des articles 45 à 47 du décret du 15 mars 1978 portant application à la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, et notamment les modalités d'inscription des sociétés au tableau de l'ordre prévues par l'article 46 ; que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, la publicité relative à ces sociétés est assurée, dès lors que l'article 7 du décret attaqué rend applicable, sous certaines réserves, les dispositions de l'article 16 du décret du 15 mars 1978 précité qui organise les formalités de publicité ; que l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ne peut, enfin, utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les règles du procès équitable ou de l'égalité des armes ; qu'il suit de là que l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait illégal en ce qu'il ne prévoit pas de contrôle ordinal sur la société ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402991
Date de la décision : 12/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2017, n° 402991
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Mireille Le Corre
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:402991.20170712
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