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10/07/2017 | FRANCE | N°395318

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 10 juillet 2017, 395318


Vu la procédure suivante :

La société GDF Suez Energie Services a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de la période correspondant aux années 2004 et 2005. Par un jugement n° 0813498 du 10 juin 2010, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 10VE02627 du 5 juin 2012, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société GDF Suez Energie Services contre ce jugement.

Par une

décision n° 361861 du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a...

Vu la procédure suivante :

La société GDF Suez Energie Services a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de la période correspondant aux années 2004 et 2005. Par un jugement n° 0813498 du 10 juin 2010, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 10VE02627 du 5 juin 2012, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société GDF Suez Energie Services contre ce jugement.

Par une décision n° 361861 du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Par un arrêt n° 14VE02984 du 15 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a de nouveau rejeté l'appel de la société GDF Suez Energie Services contre le jugement du 10 juin 2010 du tribunal administratif de Montreuil.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 décembre 2015, le 15 mars 2016 et le 7 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société GDF Suez Energie Services demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Gdf Suez Energie Services ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société GDF Suez Energie Services exploite pour le compte de ses clients des installations de chauffage collectif situées dans des immeubles à usage d'habitation, en exécution de contrats comportant notamment une clause dite " P2 " de conduite et d'entretien de l'installation et une clause dite " P3 " ou de " garantie totale " couvrant les prestations de gros entretien et, le cas échéant, de renouvellement du matériel. Cette société s'est fondée, pour la détermination des bases de son imposition à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité, sur le paragraphe 173 de l'instruction fiscale n° 163 du 28 août 2000, publiée le 4 septembre 2000 et référencée 3 C-7-00, par laquelle l'administration fiscale admettait, à titre de règle pratique, que la part de la redevance correspondant à l'éventuel remplacement des appareils de chauffage et soumise, en tant que livraison de biens, au taux normal de cette taxe soit fixée forfaitairement à vingt pour cent du montant hors taxes du contrat, le solde de la redevance étant imposé au taux réduit en vertu des dispositions alors applicables du 1 de l'article 279-0 bis du code général des impôts. Pour l'établissement de ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée relatives à la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005, la société a appliqué le taux réduit de cette taxe, d'une part, à l'ensemble des redevances perçues en contrepartie de la souscription des clauses dites " P2 ", d'autre part, à quatre-vingts pour cent des redevances perçues en contrepartie de la souscription des clauses dites " P3 ". A l'issue d'une vérification de sa comptabilité portant sur la même période, l'administration fiscale a estimé que la mesure de tolérance prévue par l'instruction fiscale imposait d'appliquer le taux réduit de la taxe à une fraction égale à quatre-vingts pour cent du total des redevances perçues en contrepartie de la souscription des clauses dites " P2 " et " P3 ". Elle a, dès lors, procédé à la rectification des bases d'imposition de la société en appliquant l'instruction susmentionnée telle qu'elle l'interprétait. Des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de majoration, ont ainsi été réclamés à la société au titre de la période vérifiée et mis en recouvrement le 14 février 2008. Par un jugement du 10 juin 2010 le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les conclusions de la société tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Par une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 5 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté la requête de la société GDF Suez énergie services tendant à l'annulation de ce jugement et à la décharge des impositions et pénalités en litige, et a renvoyé l'affaire à la cour. Par un arrêt du 15 octobre 2015, contre lequel la société GDF Suez Energie Services se pourvoit, la cour administrative d'appel de Versailles a de nouveau rejeté la requête d'appel formé par cette société.

2. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ". Si la compensation permet de maintenir le montant d'une imposition à la charge du contribuable, elle entraîne une modification de la matière imposable par rapport à celle initialement retenue par l'administration dans son redressement alors que la substitution de base légale conduit au maintien de la même imposition sur un autre fondement légal.

3. En défense devant la cour, le ministre de l'économie et des finances demandait que soient " substitués aux motifs de la décision attaquée ceux tirés de l'application combinée des dispositions des articles 268 bis et 279-0 bis du code général des impôts " en vertu desquels l'administration aurait dû être fondée, faute de ventilation entre les prestations, à soumettre au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée l'intégralité du montant de la redevance afférente à la clause de " garantie totale " dite " P3" incluant le remplacement des équipements. Toutefois, une telle demande revient à imposer les redevances afférentes à la clause dite " P3 " au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée alors que la proposition de rectification du 17 août 2007 ne concernait que l'imposition des redevances afférentes à la clause dite " P2 " au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée pour vingt pour cent des prestations et au taux réduit pour le reste. Par suite, l'administration fiscale doit être regardée comme ayant demandé une compensation, au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscale et non une substitution de base légale. Dès lors, la cour a commis une erreur de droit en analysant la demande du ministre comme une substitution de base légale. Son arrêt doit être annulé pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

Sur la loi fiscale :

5. L'article 268 bis du code général des impôts prévoit que lorsqu'une personne effectue concurremment des opérations se rapportant à plusieurs des catégories prévues aux articles du chapitre consacré à la taxe sur la valeur ajoutée, son chiffre d'affaires est déterminé en appliquant à chacun des groupes d'opérations les règles fixées par ces articles. Aux termes de l'article 279-0 bis du même code, dans la rédaction issue de la loi de finances pour 2004 : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit sur les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation, achevés depuis plus de deux ans, à l'exception de la part correspondant à la fourniture des gros équipements mentionnés au premier alinéa du 1 de l'article 200 quater ou à la fourniture d'équipements ménagers ou mobiliers (...) ".

6. Lorsque le contribuable n'est pas à même d'établir la part de son chiffre d'affaires se rattachant à chaque taux d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, il est passible du taux le plus élevé. Dès lors, si la clause dite " P2 ", qui ne porte que sur des prestations d'entretien d'installations de chauffage, relève, en application de la loi fiscale, du taux réduit, la clause dite " P3 ", qui comporte, outre des prestations de gros entretien, le renouvellement du matériel le cas échéant, relève, quant à elle, dans son ensemble, du taux normal, à raison du caractère non déterminable de la part respective des différentes prestations tant dans le contrat que dans la comptabilité de la société GDF Suez Energie Services.

Sur l'interprétation de la loi fiscale par l'administration :

7. L'instruction fiscale du 28 août 2000 mentionnée au point 1 admet au § 173, à titre de règle pratique, s'agissant de certains contrats portant sur les installations de chauffage qui prévoient une clause de " garantie totale ", avec remplacement en cas de besoin de tout élément assurant le chauffage y compris la chaudière elle-même, la fourniture de certains gros appareils de chauffage installés dans des immeubles collectifs relevant du taux normal, que la part de la redevance correspondant à l'éventuel remplacement d'appareils de chauffage relevant du taux normal soit fixée forfaitairement à 20 % du montant hors taxes du contrat.

8. Il résulte de ces dispositions que c'est au montant total hors taxes de la redevance perçue au titre du contrat d'entretien de chauffage comportant une clause de " garantie totale " que s'applique la quote-part de 20%. C'est donc à tort que la société GDF Suez Energie Services n'a appliqué cette quote-part qu'à la redevance perçue au titre de la clause dite " P3 ".

9. Mais lorsqu'un contribuable a entendu bénéficier de modalités d'imposition qui diffèrent de celles que la loi prévoit mais qui sont admises par l'administration fiscale dans ses instructions ou dans des documents publiés équivalents, la circonstance qu'il n'ait pas respecté une condition expressément mise à l'application de ces modalités permet seulement à l'administration de lui refuser le droit de se prévaloir de ces dernières et de le soumettre, en conséquence, aux modalités d'imposition prévues par la loi.

10. En l'espèce, l'administration ne pouvait donc légalement assujettir l'ensemble des redevances perçues au titre des clauses dites " P2 " et " P3 " au prorata forfaitaire de 80% au taux réduit et de 20% au taux normal, en se fondant sur sa propre instruction .

Sur la demande du ministre :

11. Ainsi qu'il a été dit au point 3, la demande présentée par le ministre doit être regardée comme une demande de compensation.

12. L'administration, qui disposait de l'ensemble des éléments propres à lui permettre d'établir au titre de la période litigieuse les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus par la société, avant que celle-ci n'introduise son action contentieuse, n'a pas remis en cause l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à quatre-vingts pour cent des redevances rémunérant les prestations de la clause dite " P3 ". Par suite, le non-assujettissement au taux normal de l'intégralité des redevances dues au titre de cette clause doit être regardé comme résultant d'une volonté délibérée de l'administration exprimée antérieurement à la réclamation et ne peut donc être regardé comme une insuffisance ou omission constatée au cours de l'instruction de celle-ci. La demande de compensation du ministre ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

13. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 10 juin 2010, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités afférentes qui lui ont été réclamées par l'administration fiscale au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser, pour l'ensemble de la procédure, à la société GDF Suez Energie Services au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

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Article 1er : L'arrêt du 15 octobre 2015 de la cour administrative d'appel de Versailles et le jugement du 10 juin 2010 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La société GDF Suez Energie Services est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités afférentes qui lui ont été réclamées par l'administration fiscale au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 5 000 euros à la société GDF Suez Energie Services au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société GDF Suez Energie Services et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 395318
Date de la décision : 10/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2017, n° 395318
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:395318.20170710
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