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26/06/2017 | FRANCE | N°404874

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 26 juin 2017, 404874


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 404874, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 novembre 2016 et 25 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Air Liquide France Industrie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret du 6 mai 2016 modifiant le décret n° 2010-1725 du 30 décembre 2010 pris pour l'application de l'article 266 quinquies C du code des douanes, en tant qu'il prévoit que des activités qui ne relèvent pas de l'un des secteurs dont l'intensité des éch

anges avec des pays tiers est supérieure à 25 % sont susceptibles de relever d'u...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 404874, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 novembre 2016 et 25 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Air Liquide France Industrie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret du 6 mai 2016 modifiant le décret n° 2010-1725 du 30 décembre 2010 pris pour l'application de l'article 266 quinquies C du code des douanes, en tant qu'il prévoit que des activités qui ne relèvent pas de l'un des secteurs dont l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 25 % sont susceptibles de relever d'une installation hyperélectro-intensive au sens de ce même article 266 quinquies C, ainsi que la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté le recours gracieux qu'elle a introduit en ce sens le 7 juillet 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 404877, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 novembre 2016 et 25 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Air Liquide France Industrie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 105 de la circulaire du ministre des finances et des comptes publics du 11 mai 2016 relative à la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, en tant qu'il prévoit que le tarif réduit de cette taxe applicable aux consommations d'électricité effectuées pour les besoins d'une installation hyperélectro-intensive est susceptible de s'appliquer à l'intégralité des consommations du site où se situe l'installation, ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux qu'elle avait introduit en ce sens le 7 juillet 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;

- la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 ;

- la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 ;

- le code des douanes ;

- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat du ministre de l'action et des comptes publics ;

Considérant ce qui suit :

1. Les recours visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier que la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 a modifié les règles relatives à la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité prévue à l'article 266 quinquies C du code des douanes, qu'elle a renommée " contribution au service public de l'électricité ". Elle a notamment prévu, au C du 8 de cet article, l'application de plusieurs tarifs réduits, dérogeant au tarif de droit commun fixé à 22,5 euros par mégawattheure d'électricité fournie ou consommée. L'un de ces tarifs, prévu par le b du C du 8 de cet article, s'applique à l'électricité fournie aux " personnes qui exploitent des installations hyperélectro-intensives ", pour lesquelles " le tarif de la taxe intérieure de consommation applicable aux consommations finales d'électricité effectuées pour les besoins de ces installations est fixé à 0,5 € par mégawattheure ".

3. Ces dispositions précisent ensuite qu' " Est considérée comme hyperélectro-intensive une installation qui vérifie les deux conditions suivantes : / -sa consommation d'électricité représente plus de 6 kilowattheures par euro de valeur ajoutée ; / -son activité appartient à un secteur dont l'intensité des échanges avec des pays tiers, telle que déterminée par la Commission européenne aux fins de l'article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, est supérieure à 25 %. ".

4. Pour l'application de ces dispositions, le Premier ministre a pris le décret du 6 mai 2016 modifiant le décret n° 2010-1725 du 30 décembre 2010 pris pour l'application de l'article 266 quinquies C du code des douanes, dont l'article 3 précise notamment la définition du terme " installation ". Par ailleurs, le ministre des finances et des comptes publics a commenté ces nouvelles dispositions par une circulaire du 11 mai 2016, dont les paragraphes 102 à 105 sont consacrés au tarif réduit mentionné au point précédent.

5. La société Air Liquide France Industrie exerce une activité de production de gaz industriels, qu'elle commercialise, pour partie, auprès d'entreprises dont les consommations d'électricité sont éligibles au tarif réduit applicable aux consommations effectuées pour les besoins d'installations hyperélectro-intensives. Elle estime que ses propres consommations doivent, dans la mesure où elle fournit les entreprises en question, bénéficier du même tarif, quand bien même le secteur des gaz industriels ne serait pas un secteur pour lequel le critère d'une intensité des échanges avec des pays tiers supérieure à 25 % est satisfait. Elle soutient que cette interprétation serait celle à donner tant aux dispositions précitées du b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes qu'au décret du 6 mai 2016 et à la circulaire du 16 mai 2016 mentionnés ci-dessus pris pour l'application de ces dispositions. Toutefois, dans l'hypothèse où cette interprétation ne serait pas retenue, elle demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'article 3 du décret du 6 mai 2016, en tant qu'il prévoit que des activités qui ne relèvent pas de l'un des secteurs dont l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 25 % sont susceptibles de relever d'une installation hyperélectro-intensive et, d'autre part, du paragraphe 105 de la circulaire du 11 mai 2016, dans la même mesure. Elle demande également l'annulation des refus implicites opposés par le Premier ministre et le ministre des finances et des comptes publics aux recours gracieux qu'elle a présentés le 7 juillet 2016, tendant aux mêmes fins.

Sur la contestation de la recevabilité des requêtes par le ministre des finances et des comptes publics :

6. Contrairement à ce que soutient le ministre des finances et des comptes publics, la société Air Liquide présente un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions qu'elle conteste, qui précisent les critères d'éligibilité au tarif réduit litigieux et sont susceptibles d'avoir pour effet d'exclure ses installations du bénéfice de cet avantage fiscal.

Sur la portée des dispositions du b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes :

7. Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que le tarif réduit qu'elles prévoient n'est applicable qu'à l'électricité fournie aux " personnes qui exploitent des installations hyperélectro-intensives ". Il ne peut donc bénéficier à des personnes qui n'exploitent pas elles-mêmes de telles installations, même lorsque les biens ou services qu'elles produisent sont utilisés pour le fonctionnement d'installations éligibles à ce tarif exploitées par d'autres personnes. Au surplus, l'interprétation ainsi donnée à ces dispositions est confirmée par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, desquelles elles sont issues.

8. Il résulte également de ces dispositions que, lorsqu'une personne exploite une ou plusieurs installations hyperélectro-intensives, le tarif réduit qu'elles prévoient s'applique " aux consommations finales d'électricité effectuées pour les besoins de ces installations ". En conséquence, d'une part, lorsqu'une personne exploite plusieurs installations, dont certaines seulement remplissent les deux critères cumulatifs d'hyperélectro-intensivité énoncés au point 3 ci-dessus, seules les consommations d'électricité effectuées pour les besoins de ces dernières installations se voient appliquer ce tarif réduit. D'autre part, lorsqu'au sein d'une même installation, dont la consommation d'électricité représente plus de 6 kilowattheures par euro de valeur ajoutée et remplit ainsi le premier critère d'hyperélectro-intensivité prévu par la loi, sont exercées, aux côtés d'une activité principale qui appartient à un secteur dont l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 25 %, des activités qui ne remplissent pas ce second critère, le tarif réduit s'applique à l'ensemble de la consommation électrique de l'installation lorsque ces dernières activités constituent soit le support nécessaire de l'activité principale, soit son prolongement normal.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées :

9. A l'appui de ses conclusions, la société soulève un moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions du b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes, de droits et libertés garantis par la Constitution. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée du principe d'égalité :

10. La société requérante estime tout d'abord que le législateur a méconnu les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en excluant du bénéfice du tarif réduit les personnes qui produisent des biens ou services utilisés dans le cadre du fonctionnement d'installations hyperélectro-intensives sans exploiter elles-mêmes une telle installation, alors que, lorsque plusieurs activités sont exercées au sein d'une installation hyperélectro-intensive, dont certaines seulement remplissent le critère d'intensité des échanges avec les pays tiers, le tarif réduit est applicable à l'électricité consommée pour les besoins des autres activités. En effet, ainsi qu'il a été dit au point 8 ci-dessus, dans un tel cas, le tarif réduit s'applique à l'ensemble de la consommation électrique de l'installation, pour autant que les activités non exposées à la concurrence internationale constituent soit le support nécessaire de l'activité principale éligible, soit son prolongement normal. La requérante fait valoir qu'une même activité peut, dès lors, être traitée différemment, selon qu'elle est exercée directement ou non par une personne regardée comme exploitant une installation hyperélectro-intensive, et qu'il en résulte un biais en défaveur de l'externalisation d'activités qui sont nécessaires au fonctionnement de ce type d'installations, comme la production de gaz industriels consommés pour la fabrication d'un produit répondant au critère d'intensité des échanges avec les pays tiers, mais qui, prises isolément, ne répondent pas à ce critère.

11. Les règles de taxation de l'électricité font l'objet, au sein de l'Union européenne, d'une harmonisation prévue par la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Or, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il n'appartient pas au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité soulevée sur des dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d'une directive de l'Union européenne. En créant le tarif réduit litigieux, le législateur a fait usage de la faculté, ouverte par le paragraphe 1 de l'article 17 de cette directive, d' " appliquer des réductions fiscales sur la consommation (...) d'électricité (...) en faveur des entreprises grandes consommatrices d'énergie ". Cette disposition prévoit ensuite qu'on entend par " entreprise grande consommatrice d'énergie " une entreprise dont les achats de produits énergétiques et d'électricité atteignent au moins 3 % de la valeur de la production ou pour laquelle le montant total des taxes énergétiques nationales dues est d'au moins 0,5 % de la valeur ajoutée, mais que, dans le cadre de cette définition, les Etats membres peuvent appliquer des critères plus restrictifs. Il en résulte qu'en appliquant un critère d'intensité des échanges avec les pays tiers, la loi ne s'est pas bornée à tirer les conséquences nécessaires de cette directive. Dès lors, la différence de traitement contestée par la requérante ne résulte pas de cette directive, mais des conditions posées par le législateur lui-même.

12. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs d'intérêt général, le législateur prévoie, par l'octroi d'avantages fiscaux, des mesures d'incitation au développement d'activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels au regard des buts recherchés.

13. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, de laquelle les dispositions contestées sont issues, notamment de son exposé des motifs, qu'en les adoptant, le législateur a entendu " préserver, grâce à des tarifs réduits, la compétitivité des entreprises les plus intensives en énergie ". Au regard de cet objectif, il existe une différence de situation entre, d'une part, les entreprises dont l'activité principale relève d'un secteur dont l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 25 %, si bien qu'elles sont fortement exposées à la concurrence internationale et ne pourraient répercuter dans leurs prix de vente la hausse du prix de l'électricité induite par les taxes qui y sont appliquées et, d'autre part, les entreprises qui n'exercent aucune activité appartenant à ces secteurs, qui ne sont pas soumises à une concurrence internationale forte.

14. Dès lors, en réservant le bénéfice de cet avantage fiscal aux seules entreprises dont l'activité principale est exposée à la concurrence internationale, qui sont dans une situation différente des autres entreprises, même lorsque l'activité exercée par ces dernières est identique à certaines activités exercées par les premières, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.

15. En outre, si la société invoque également une rupture d'égalité entre entreprises hyperélectro-intensives, selon qu'elles choisissent ou non d'externaliser certaines activités à des prestataires, il résulte des dispositions de l'article 266 quinquies C du code des douanes citées au point 2 ci-dessus que la loi, qui prévoit l'application du tarif réduit à ces deux catégories d'entreprises, n'établit aucune différence de traitement fiscal entre elles. En traitant de manière identique des situations différentes, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité.

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi que de la compétence que le législateur tire de l'article 34 de la Constitution :

16. La société requérante soutient qu'en ne définissant pas le terme " installation " mentionné par l'article 266 quinquies C du code des douanes, le législateur a méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ainsi que, s'agissant du champ d'application d'un avantage fiscal, l'étendue de la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution, qui lui fait obligation de déterminer les règles relatives à l'assiette de l'impôt.

17. En premier lieu, si l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

18. En second lieu, si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit, à supposer même que serait, en l'espèce, affecté un tel droit ou une telle liberté, le législateur, en tout état de cause, en prévoyant que le tarif réduit litigieux bénéficie aux personnes qui exploitent des " installations " hyperélectro-intensives, à hauteur de l'électricité consommée pour les besoins de ces installations, et en définissant les critères permettant de qualifier une installation d'hyperélectro-intensive, a défini avec une précision suffisante le champ d'application de ce tarif.

19. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de les renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que le b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur la légalité de l'article 3 du décret du 6 mai 2016 :

20. Le décret attaqué du 6 mai 2016 a, par son article 3, modifié les dispositions du décret du 30 décembre 2010 pris pour l'application de l'article 266 quinquies C du code des douanes pour prévoir que : " Pour l'application du b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes, on entend par " installation " une unité technique fixe au sein de laquelle sont effectuées une ou plusieurs des activités relevant de l'un des secteurs dont l'intensité des échanges avec des pays tiers, telle que déterminée par la Commission européenne aux fins de l'article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, est supérieure à 25 %, ainsi que toute autre activité s'y rapportant directement, exercée sur le même site et techniquement liée à ces activités ".

21. En premier lieu, l'article 21 de la Constitution donne, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par son article 13, compétence au Premier ministre pour prendre les mesures réglementaires d'exécution des lois. Dès lors, même si le dernier alinéa du 10 de l'article 266 quinquies C du code des douanes se borne à prévoir qu'un décret détermine " les modalités du contrôle et de la destination de l'électricité et de son affectation aux usages mentionnés aux 4 à 6 et au C du 8 ", le Premier ministre était compétent pour adopter des mesures qui permettent son application, notamment la définition du terme " installation " mentionné par le b du C du 8 de cet article.

22. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 8 ci-dessus, il résulte de l'article 266 quinquies C du code des douanes que le tarif réduit litigieux ne peut bénéficier qu'aux personnes qui exploitent elles-mêmes des installations répondant aux critères légaux d'hyperélectro-intensivité et qu'il s'applique à l'ensemble de la consommation électrique de l'installation effectuée pour les besoins de son activité principale exposée à la concurrence internationale et de ses autres activités qui ne rempliraient pas cette condition, pour autant que celles-ci constituent soit le support nécessaire de l'activité principale, soit son prolongement normal. En limitant le bénéfice du tarif réduit litigieux à l'électricité consommée par les unités techniques fixes au sein desquelles sont exercées, d'une part, une ou plusieurs activités relevant d'un secteur exposé à la concurrence internationale, d'autre part, toute autre activité s'y rapportant directement, exercée sur le même site et techniquement liée à ces activités, et en excluant ainsi qu'il s'applique à l'électricité consommée par une entreprise située sur un autre site, ou à l'électricité consommée par une autre entreprise située sur le même site, même, dans les deux cas, lorsque son activité est liée à celles qui sont exercées par des installations éligibles, le pouvoir réglementaire s'est borné à tirer les conséquences des dispositions législatives de l'article 266 quinquies C du code des douanes. Dès lors, en adoptant ces dispositions, le Premier ministre n'a pas défini de nouvelles conditions d'éligibilité au tarif réduit qu'il n'appartenait qu'au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir.

23. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en retenant une définition du terme " installation " qui exclut du bénéfice du tarif réduit litigieux les personnes qui produisent des biens ou services consommés dans le cadre du fonctionnement d'installations hyperélectro-intensives sans exploiter elles-mêmes une telle installation, que leur propre installation soit située dans un autre lieu ou dans le même lieu, le décret attaqué n'a pas méconnu l'article 266 quinquies C du code des douanes.

24. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 22 ci-dessus qu'en traitant différemment les activités non soumises à une forte concurrence internationale selon qu'elles sont ou non exercées par une personne exploitant une installation hyperélectro-intensive sur le site de cette installation, le Premier ministre s'est borné à tirer les conséquences nécessaires de la loi. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette différence de traitement méconnaîtrait le principe d'égalité ne peut être utilement soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée par mémoire distinct sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

25. Enfin, cette différence de traitement n'est contraire ni aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention, ni au principe général du droit de l'Union de non-discrimination, dès lors qu'elle est justifiée par une différence de situation, au regard de l'objectif de préservation de la compétitivité des entreprises hyperélectro-intensives, entre celles dont l'activité principale est fortement exposée à la concurrence internationale, si bien qu'elles ne peuvent pas répercuter dans leurs prix de vente le coût résultant du prix d'achat de l'électricité, et les autres.

Sur la légalité du paragraphe 105 de la circulaire du 11 mai 2016 :

26. Le paragraphe 105 de la circulaire du 11 mai 2016 dont la société requérante demande l'annulation prévoit que " Le taux réduit s'applique aux consommations d'électricité de l'installation hyperélectro-intensive présente sur un site, ou à l'intégralité des consommations d'électricité de ce site, si ces dernières représentent plus de 6 kWh par euro de la valeur ajoutée du site. (...) ".

27. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que, lorsque plusieurs installations sont présentes sur un même site, l'article 266 quinquies C du code des douanes ne prévoit l'application du tarif réduit litigieux qu'à l'électricité consommée pour les besoins des installations répondant aux critères légaux d'hyperélectro-intensivité. Il suit de là qu'en étendant son bénéfice à l'intégralité des consommations d'électricité d'un tel site si elles représentent plus de 6 kWh par euro de valeur ajoutée du site, alors même que certaines des installations, prises isolément, ne rempliraient pas les deux critères légaux, le ministre des finances et des comptes publics a étendu le champ d'application de cet avantage fiscal. Or, il résulte de l'article 34 de la Constitution que seul le législateur détermine les règles d'assiette des impositions de toute nature. Le premier alinéa du paragraphe 105 de la circulaire du 11 mai 2016 est par suite entaché d'incompétence dans cette mesure. En conséquence, au sein de cet alinéa, les mots : ", ou à l'intégralité des consommations d'électricité de ce site, si ces dernières représentent plus de 6 KWh par euro de la valeur ajoutée du site " doivent, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête sur ce point, être annulés.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air Liquide France Industrie est seulement fondée à demander l'annulation des mots : ", ou à l'intégralité des consommations d'électricité de ce site, si ces dernières représentent plus de 6 KWh par euro de la valeur ajoutée du site " du paragraphe 105 de la circulaire du ministre des finances et des comptes publics du 11 mai 2016. Il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit ni aux conclusions présentées par la société Air Liquide France Industrie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ni à celles présentées par le ministre des finances et des comptes publics au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Air Liquide France Industrie.

Article 2 : Au paragraphe 105 de la circulaire du ministre des finances et des comptes publics du 11 mai 2016, les mots: ", ou à l'intégralité des consommations d'électricité de ce site, si ces dernières représentent plus de 6 KWh par euro de la valeur ajoutée du site " sont annulés.

Article 3 : La requête n° 404874 de la société Air Liquide France Industrie est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Air Liquide France Industrie et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 404874
Date de la décision : 26/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

19-08 CONTRIBUTIONS ET TAXES. PARAFISCALITÉ, REDEVANCES ET TAXES DIVERSES. - CSPE (ART. 266 QUINQUIES C DU CODE DES DOUANES) - TARIF RÉDUIT - 1) BÉNÉFICIAIRES ÉLIGIBLES - EXPLOITANTS D'INSTALLATIONS HYPERÉLECTRO-INTENSIVES - NOTION - 2) CONSOMMATIONS ÉLIGIBLES - CONSOMMATIONS FINALES D'ÉLECTRICITÉ EFFECTUÉES POUR LES BESOINS DE CES INSTALLATIONS - A) CAS D'UNE PERSONNE EXPLOITANT PLUSIEURS INSTALLATIONS, DONT CERTAINES SEULEMENT SONT HYPERÉLECTRO-INTENSIVES - B) CAS D'UNE INSTALLATION UNIQUE DONT L'ACTIVITÉ PRINCIPALE SEULEMENT REMPLIT LES CRITÈRES D'HYPERÉLECTRO-INTENSIVITÉ PRÉVUS PAR LA LOI - ELIGIBILITÉ DE L'ENSEMBLE DE LA CONSOMMATION ÉLECTRIQUE DE L'INSTALLATION - EXISTENCE - CONDITIONS.

19-08 1) Il résulte des termes mêmes des dispositions du b du C du 8 de l'article 266 quinquies C du code des douanes que le tarif réduit qu'elles prévoient n'est applicable qu'à l'électricité fournie aux personnes qui exploitent des installations hyperélectro-intensives. Il ne peut donc bénéficier à des personnes qui n'exploitent pas elles-mêmes de telles installations, même lorsque les biens ou services qu'elles produisent sont utilisés pour le fonctionnement d'installations éligibles à ce tarif exploitées par d'autres personnes. Au surplus, l'interprétation ainsi donnée à ces dispositions est confirmée par les travaux préparatoires de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, dont elles sont issues.,,,2) Il résulte également de ces dispositions que, lorsqu'une personne exploite une ou plusieurs installations hyperélectro-intensives, le tarif réduit qu'elles prévoient s'applique aux consommations finales d'électricité effectuées pour les besoins de ces installations.... ,,a) Lorsqu'une personne exploite plusieurs installations, dont certaines seulement remplissent les deux critères cumulatifs d'hyperélectro-intensivité énoncés au b du C de l'article 266 quinquies C du code, seules les consommations d'électricité effectuées pour les besoins de ces dernières installations se voient appliquer ce tarif réduit.... ,,b) Lorsqu'au sein d'une même installation, dont la consommation d'électricité représente plus de 6 kilowattheures par euro de valeur ajoutée et remplit ainsi le premier critère d'hyperélectro-intensivité prévu par la loi, sont exercées, aux côtés d'une activité principale qui appartient à un secteur dont l'intensité des échanges avec des pays tiers est supérieure à 25 %, des activités qui ne remplissent pas ce second critère, le tarif réduit s'applique à l'ensemble de la consommation électrique de l'installation lorsque ces dernières activités constituent soit le support nécessaire de l'activité principale, soit son prolongement normal.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2017, n° 404874
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:404874.20170626
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