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17/05/2017 | FRANCE | N°403885

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 17 mai 2017, 403885


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 14 novembre 2016 et le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 juin 2016 accordant son extradition aux autorités de la République de Corée ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier

;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sa...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 14 novembre 2016 et le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 20 juin 2016 accordant son extradition aux autorités de la République de Corée ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme A...;

1. Considérant que, par le décret attaqué du 20 juin 2016, le Premier ministre a accordé aux autorités de la République de Corée l'extradition de Mme B...A..., ressortissante sud-coréenne, sur le fondement d'un mandat d'arrêt décerné le 8 mai 2014 par un juge de la cour de justice du district d'Incheon pour des faits d'infractions à la loi sur la peine aggravée pour crime économique spécifique (détournements de fonds) ;

2. Considérant qu'en application de son article 28, la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 s'est substituée, en ce qui concerne les rapports entre la France et la République de Corée, à la suite de l'adhésion de la République de Corée à cette convention le 29 septembre 2011 et de son entrée en vigueur à l'égard de la République de Corée le 29 décembre 2011, à la convention entre la République française et la République de Corée relative à l'extradition du 6 juin 2006 ; que l'appréciation de la légalité du décret attaqué ne peut donc être faite au regard des stipulations de cette convention bilatérale ayant cessé de produire effet mais doit l'être au regard de celles de la convention européenne d'extradition ;

3. Considérant, en premier lieu, que le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'il satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du 2 de l'article 12 de la convention européenne d'extradition : " Il sera produit à l'appui de la requête : ... une copie des dispositions légales applicables ou, si cela n'est pas possible, une déclaration sur le droit applicable,... " ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'après la demande d'extradition, reçue à Paris le 27 mai 2014, les autorités coréennes ont envoyé, les 11 juin et 22 juillet 2014, deux attestations signées du procureur du parquet du district d'Incheon explicitant le droit applicable à l'intéressée et accompagnées de la copie des dispositions du code pénal coréen relatives à la peine encourue pour les infractions reprochées à la requérante, en particulier l'article 42 du code pénal sur la durée des peines d'emprisonnement, avec ou sans travaux ; que, par suite, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que le décret accordant son extradition aux autorités sud-coréennes aurait été rendu au terme d'une procédure méconnaissant ces dispositions ;

5. Considérant, en troisième lieu, que, selon l'article 3 de la convention européenne d'extradition : " 1. l'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. / 2. La même règle s'appliquera si la partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. " ; que, si la requérante soutient que la demande d'extradition a été présentée par les autorités coréennes à des fins politiques, il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits de détournements de fonds qui lui sont reprochés, qui ne sont pas politiques par nature, n'auraient pas eu, en l'espèce, le caractère d'une infraction de droit commun ; qu'aucun élément ne permet d'établir que les autorités coréennes auraient formé cette demande d'extradition dans le but de poursuivre Mme A...à des fins politiques ; que le retentissement causé par le naufrage, le 16 avril 2014, du navire Sewol, propriété d'une compagnie maritime qui faisait partie du groupe de sociétés appartenant à la famille de la requérante, ne constitue pas un tel élément ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne d'extradition n'est pas fondé ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit de l'extradition qui prohibe l'extradition à des fins politiques doit, pour le même motif, être écarté ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que Mme A...soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, les conditions dans lesquelles elle viendrait à être jugée ne pourraient que méconnaître son droit à bénéficier d'une procédure impartiale et équitable, reconnu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense mentionnées au 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale, et contreviendrait au principe général du droit qui subordonne l'extradition à la condition que le système judiciaire de l'Etat requérant respecte les droits et libertés fondamentaux de la personne ; que, toutefois, ses allégations se fondent seulement sur des déclarations des autorités publiques faites à la suite du naufrage du navire Sewol et mettant en cause la famille de la requérante, ainsi que sur la terminologie employée dans la demande d'extradition ; que de tels éléments ne suffisent pas à établir que les conditions dans lesquelles Mme A...viendrait à être jugée pour des faits de détournements de fonds la priveraient du droit à un procès équitable ;

7. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " ... 2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. / 3. N'est pas considéré comme " travail forcé ou obligatoire " au sens du présent article : / a) tout travail requis normalement d'une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l'article 5 de la (...) Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle (...) " ; qu'aux termes de l'article 5 de la même convention : " ... Nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : / a) S'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent (...) " ; qu'en vertu de ces stipulations, le travail requis de personnes dont la privation de liberté a été régulièrement prononcée par un tribunal ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire prohibé lorsque la condamnation à une peine de travail obligatoire est prononcée en application d'un texte de portée générale, que le travail à accomplir n'excède pas ce qui est normalement requis d'une personne condamnée et qu'il procède de la préparation à la réinsertion du condamné ;

8. Considérant que la peine d'emprisonnement avec travaux susceptible d'être infligée à Mme A...est prévue par les dispositions de l'article 42 du code pénal coréen et destinée à préparer la réinsertion des détenus ; qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les conditions et modalités du travail auquel Mme A...pourrait être astreinte en vertu de cette éventuelle condamnation excéderaient celles normalement applicables aux personnes condamnées ; que, par suite, la peine susceptible d'être infligée à Mme A...ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire interdit par les stipulations de l'article 4 de la convention européenne ; qu'au demeurant, le procureur du parquet du district d'Incheon s'est engagé, dans son attestation signée le 24 novembre 2014 et envoyée le 26 novembre 2014 par le ministre de la justice aux autorités françaises, à ce que, si Mme A...était condamnée à une peine d'emprisonnement avec travaux, elle ne serait pas astreinte à ces travaux sans son consentement ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 20 juin 2016 accordant son extradition aux autorités de la République de Corée ; que ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et au ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 403885
Date de la décision : 17/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 2017, n° 403885
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:403885.20170517
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