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31/03/2017 | FRANCE | N°402895

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 31 mars 2017, 402895


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 19 mai 2016 par laquelle le président du conseil départemental de la Moselle a confirmé la décision de la caisse d'allocations familiales de la Moselle du 19 février 2016 mettant fin à son droit au revenu de solidarité active. Par une ordonnance n° 1604103 du 11 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un

pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 12...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 19 mai 2016 par laquelle le président du conseil départemental de la Moselle a confirmé la décision de la caisse d'allocations familiales de la Moselle du 19 février 2016 mettant fin à son droit au revenu de solidarité active. Par une ordonnance n° 1604103 du 11 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 12 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge du département de la Moselle la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de MmeB..., et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département de la Moselle.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une décision du 19 février 2016, confirmée le 19 mai suivant par le président du conseil départemental de la Moselle, la caisse d'allocations familiales de la Moselle a mis fin au droit de Mme B...au revenu de solidarité active. Par une ordonnance du 11 août 2016, contre laquelle Mme B...se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de suspension de la décision du 19 mai 2016, au motif qu'aucun des moyens qu'elle invoquait n'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Sur le pourvoi :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 262-28 du code de l'action sociale et des familles : " Le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu'il est sans emploi ou ne tire de l'exercice d'une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ". Aux termes de l'article L. 262-29 du même code : " Le président du conseil départemental oriente le bénéficiaire du revenu de solidarité active tenu aux obligations définies à l'article L. 262-28 : 1° De façon prioritaire, lorsqu'il est disponible pour occuper un emploi (...) ou pour créer sa propre activité, soit vers [Pôle emploi], soit, si le département décide d'y recourir, vers l'un des organismes mentionnés à l'article L. 5311-4 du code du travail ou encore vers un des réseaux d'appui à la création et au développement des entreprises (...), en vue d'un accompagnement professionnel et, le cas échéant, social ; / 2° Lorsqu'il apparaît que des difficultés tenant notamment aux conditions de logement, à l'absence de logement ou à son état de santé font temporairement obstacle à son engagement dans une démarche de recherche d'emploi, vers les autorités ou organismes compétents en matière d'insertion sociale (...) ". En vertu de l'article L. 262-34 du même code, le bénéficiaire orienté vers Pôle emploi élabore, conjointement avec le référent désigné au sein de cette institution ou d'un autre organisme participant au service public de l'emploi, un projet personnalisé d'accès à l'emploi. En vertu des articles L. 262-35 et L. 262-36 du même code, le bénéficiaire orienté vers un autre organisme ou autorité conclut avec le département un contrat énumérant leurs engagements réciproques soit en matière d'insertion professionnelle, s'il a fait l'objet de l'orientation mentionnée au 1° de l'article L. 262-29, soit en matière d'insertion sociale ou professionnelle, s'il a fait l'objet de l'orientation mentionnée au 2° du même article. Enfin, aux termes de l'article L. 262-37 du même code : " Sauf décision prise au regard de la situation particulière du bénéficiaire, le versement du revenu de solidarité active est suspendu, en tout ou partie, par le président du conseil départemental : / 1° Lorsque, du fait du bénéficiaire et sans motif légitime, le projet personnalisé d'accès à l'emploi ou l'un des contrats mentionnés aux articles L. 262-35 et L. 262-36 ne sont pas établis dans les délais prévus ou ne sont pas renouvelés ; / 2° Lorsque, sans motif légitime, les dispositions du projet personnalisé d'accès à l'emploi ou les stipulations de l'un des contrats mentionnés aux articles L. 262-35 et L. 262-36 ne sont pas respectées par le bénéficiaire (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que le président du conseil départemental est chargé d'orienter le bénéficiaire du revenu de solidarité active dans le cadre des démarches qui lui incombent en vertu de l'article L. 262-28 du code de l'action sociale et des familles et que, sous réserve d'une orientation vers Pôle emploi, un contrat doit être conclu avec le bénéficiaire afin de déterminer les engagements réciproques de ce dernier et du département en matière d'insertion. Il s'ensuit que, si le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu'il est sans emploi ou ne tire de l'exercice d'une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre des actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle, la nature des engagements pris à ce titre doit figurer dans ce contrat. Le président du conseil départemental est en droit de suspendre le versement du revenu de solidarité active lorsque le bénéficiaire, sans motif légitime, soit fait obstacle à l'établissement ou au renouvellement de ce contrat par son refus de s'engager à entreprendre les démarches ou actions nécessaires à une meilleure insertion, soit ne respecte pas le contrat conclu. En revanche, il ne peut légalement justifier une décision de suspension par la circonstance que le bénéficiaire n'aurait pas accompli des démarches ou actions qui ne correspondraient pas aux engagements souscrits dans un contrat en cours d'exécution.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le président du conseil départemental de la Moselle a confirmé la décision mettant fin au droit de Mme B...au revenu de solidarité active au motif qu'elle n'avait pas entrepris de démarches de recherche d'emploi, alors que son activité de travailleur indépendant lui procurait des revenus insuffisants. A l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de cette décision, Mme B...faisait valoir que son état de santé ne lui permettait pas de travailler et soutenait que le président du conseil départemental, constatant qu'elle ne tirait pas de revenus suffisants de son activité professionnelle, ne pouvait légalement mettre fin à son droit à revenu de solidarité active sans avoir pris en considération la nature des démarches qu'elle était en mesure d'entreprendre, ainsi qu'il aurait dû le faire en vertu des articles L. 262-29 et suivants du code de l'action sociale et des familles. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en ne regardant pas ce moyen, en l'état de l'instruction, comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. Par suite, Mme B...est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner l'autre moyen du pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par MmeB..., en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité de la requête en annulation :

8. Contrairement à ce que soutient le département de la Moselle, la circonstance que la requête en annulation présentée par Mme B...indique à tort être dirigée contre le conseil général et non contre le département de la Moselle est sans incidence sur sa recevabilité.

Sur l'urgence :

9. La condition d'urgence à laquelle est subordonnée le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il résulte de l'instruction que la décision du président du conseil départemental dont Mme B...demande la suspension a pour effet de supprimer son droit au revenu de solidarité active. Si le département de la Moselle fait valoir qu'elle vit désormais en couple, cette décision n'en porte pas moins, eu égard à la modestie des ressources de son compagnon, une atteinte grave et immédiate à sa situation financière. Dans ces conditions, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

Sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse :

10. Le moyen tiré de ce que le président du conseil départemental ne pouvait légalement se fonder, pour suspendre le droit de Mme B...au revenu de solidarité active, sur ce qu'elle n'avait pas entrepris de démarches de recherche d'emploi ou, si son état de santé y faisait obstacle, d'actions nécessaires à une meilleure insertion sociale sans l'avoir d'abord orientée en application de l'article L. 262-29 du code de l'action sociale et des familles et sans avoir fait figurer dans un contrat les engagements pris à ce titre est de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige. Au surplus, il résulte des dispositions de l'article L. 262-37 du code de l'action sociale et des familles qu'un tel motif est de nature à justifier, du moins dans un premier temps, non qu'il soit mis fin au droit au revenu de solidarité active du bénéficiaire mais seulement que le versement de ce revenu soit suspendu.

11. Certes, le département de la Moselle fait valoir que sa décision est également justifiée par la circonstance qu'en vertu de l'article L. 133-6-7-1 du code de la sécurité sociale, à défaut de chiffre d'affaires au cours d'une période d'au moins deux années civiles consécutives, comme dans le cas de MmeB..., un travailleur indépendant est présumé ne plus exercer d'activité professionnelle justifiant son affiliation au régime social des indépendants. Toutefois, la circonstance qu'un bénéficiaire du revenu de solidarité active perde la qualité de travailleur relevant de ce régime, si elle doit conduire à lui faire application de dispositions différentes pour apprécier son droit à la prestation, n'a pas pour effet, par elle-même, de mettre fin à ce droit.

12. Enfin, si le département de la Moselle soutient que MmeB..., compte tenu de son hébergement à titre gratuit et des revenus de son compagnon, n'aurait pas droit au revenu de solidarité active, il ne résulte pas de l'instruction, en l'état du dossier, que ces revenus excèderaient le montant forfaitaire au niveau duquel le revenu de solidarité active doit porter les ressources du foyer.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...est fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du président du conseil départemental de la Moselle du 19 mai 2016. La présente décision implique que le département reprenne provisoirement, à compter de sa notification, le versement du revenu de solidarité active à MmeB..., pour un montant à calculer en fonction de la composition et des ressources de son foyer et, le cas échéant, de l'existence d'un avantage en nature en matière de logement.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Moselle le versement à Mme B...d'une somme de 3 000 euros, au titre des frais engagés tant en première instance qu'en cassation, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 11 août 2016 est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du président du conseil départemental de la Moselle du 19 mai 2016 est suspendue.

Article 3 : Le département de la Moselle versera une somme de 3 000 euros à Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au département de la Moselle.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 402895
Date de la décision : 31/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2017, n° 402895
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sandrine Vérité
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:402895.20170331
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