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31/03/2017 | FRANCE | N°398091

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 31 mars 2017, 398091


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 18 mars et 17 octobre 2016 et le 10 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Air Corsica, ASL Airlines, Hex'air et Twin Jet demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur du transport aérien du 21 janvier 2016 portant homologation des tarifs des redevances aéroportuaires d'Aéroports de Paris à compter du 1er avril 2016 ainsi que la décision d'Aéroports de Paris fixant ces tarifs ;

2°) de mettre à la charg

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 18 mars et 17 octobre 2016 et le 10 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Air Corsica, ASL Airlines, Hex'air et Twin Jet demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur du transport aérien du 21 janvier 2016 portant homologation des tarifs des redevances aéroportuaires d'Aéroports de Paris à compter du 1er avril 2016 ainsi que la décision d'Aéroports de Paris fixant ces tarifs ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Aéroports de Paris la somme de 6 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive n° 2009/12/CE du 11 mars 2009 ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code des transports ;

- l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 ;

- le décret n° 2016-825 du 23 juin 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mars 2017, présentée par la société Aéroports de Paris ;

1. Considérants qu'aux termes de l'article L. 224-2 du code de l'aviation civile " I. - Les services publics aéroportuaires donnent lieu à la perception de redevances pour services rendus fixées conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce. / (...) / II. - Pour Aéroports de Paris et pour les exploitants d'aérodromes civils appartenant à l'Etat, des contrats pluriannuels d'une durée maximale de cinq ans conclus avec l'Etat déterminent les conditions de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, qui tiennent compte notamment des prévisions de coûts, de recettes, d'investissements ainsi que d'objectifs de qualité des services publics rendus par l'exploitant d'aérodrome. (...) " ; que l'article R. 224-4 du code de l'aviation civile, alors en vigueur, applicable dès lors qu'un contrat pluriannuel a été conclu en application de l'article L. 224-2, prévoit que les tarifs des redevances sont notifiés à l'autorité de supervision indépendante ainsi qu'à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et qu'ils sont réputés homologués et deviennent exécutoires pour la période tarifaire considérée à moins que l'autorité de supervision indépendante n'y fasse opposition dans le délai d'un mois suivant la réception de la notification ; qu'enfin, l'article R. 224-3-2, dans sa version alors en vigueur, prévoit que : " L'autorité de supervision indépendante, au sens de la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, est la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile. / Elle a notamment pour missions d'homologuer les tarifs des redevances mentionnées à l'article R. 224-2 et, le cas échéant, leurs modulations (...) " ;

2. Considérant qu'en application de ces dispositions, la société Aéroports de Paris, qui a conclu un contrat de régulation économique avec l'Etat pour la période 2016-2020, a proposé les tarifs des redevances aéroportuaires pour la période tarifaire 2016, applicables à compter du 1er avril 2016, dans une décision notifiée le 21 décembre 2015 à la direction du transport aérien, laquelle a homologué ces tarifs, dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 224-4 du code de l'aviation civile précité, le 21 janvier 2016 ; que la société Air Corsica et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du directeur du transport aérien du 21 janvier 2016 homologuant ces tarifs et de la décision de la société Aéroports de Paris les fixant ;

Sur le non-lieu à statuer :

3. Considérant qu'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif ; que si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi ; qu'il en va ainsi quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'intervention de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 29 avril 2015 annulant la décision du Premier ministre du 5 mars 2014 refusant d'abroger les dispositions du premier alinéa de l'article R. 224-3-2 du code de l'aviation civile qui ont désigné la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile comme autorité de supervision indépendante, au sens de la directive européenne du 11 mars 2009 du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires, le code de l'aviation civile a été modifié par le décret du 23 juin 2016 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile afin de créer une autorité de supervision indépendante ad hoc chargée d'homologuer les redevances aéroportuaires, régie par les articles R. 224-8 et suivants du code de l'aviation civile ; que ce décret prévoit, en son article 11, que pour les aérodromes qui entrent dans le champ de la directive européenne du 11 mars 2009, les tarifs homologués en application des dispositions antérieures à l'entrée en vigueur du décret peuvent, à l'initiative de l'exploitant d'aérodrome, faire l'objet d'une procédure d'homologation par la nouvelle autorité de supervision indépendante ; qu'en application de cette disposition, la société Aéroports de Paris a adressé le 13 juillet 2016 à l'autorité de supervision indépendante, dont les membres ont été nommés le 24 juin 2016, une nouvelle proposition destinée à se substituer à la précédente pour la période tarifaire 2016, que l'autorité a refusé d'homologuer, puis, le 1er septembre 2016, une troisième proposition aux mêmes fins, laquelle a été homologuée par une décision de l'autorité du même jour ; que ces décisions prises par l'autorité de supervision indépendante et la société Aéroports de Paris, qui se sont substituées aux décisions attaquées, ont fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir dans le délai de recours contentieux devant le Conseil d'Etat, sur lequel il n'a pas encore été statué ; qu'elles n'ont donc pas acquis un caractère définitif ; que la requête dirigée contre les décisions contestées dans le présent litige conserve, par suite, un objet ;

5. Considérant que les dispositions de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration, dont le II de l'article 9 de l'ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration prévoit qu'elles sont applicables au retrait des actes administratifs unilatéraux qui sont intervenus à compter du 1er juin 2016, ne peuvent, en tout état de cause, être utilement invoquées à l'encontre des décisions attaquées, prises avant cette date ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat et la société Aéroports de Paris, la requête n'a pas été privée d'objet ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

7. Considérant que la directive n° 2009/12/CE du 11 mars 2009 du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires instaure un cadre commun régulant les composantes essentielles des redevances aéroportuaires ; qu'elle prévoit, en particulier, à son article 11, qu'une autorité de supervision indépendante doit être mise en place dans chaque État membre afin d'assurer l'impartialité des décisions ainsi que l'application correcte et effective de la directive ; que pour la transposition de ces dispositions, le Premier ministre a, par le décret du 23 décembre 2011 modifiant certaines dispositions relatives aux redevances pour services rendus sur les aérodromes, ultérieurement codifié à l'article R. 224-3-2 du code de l'aviation civile, désigné comme autorité de supervision indépendante, au sens de la directive, la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile ;

8. Considérant qu'aux termes du point 3 de l'article 11 de la directive du 11 mars 2009 : " Les États membres garantissent l'indépendance de l'autorité de supervision indépendante en veillant à ce qu'elle soit juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante de toutes les entités gestionnaires d'aéroports et de tous les transporteurs aériens. Les États membres qui conservent la propriété d'aéroports, d'entités gestionnaires d'aéroports ou de transporteurs aériens, ou le contrôle d'entités gestionnaires d'aéroports ou de transporteurs aériens, veillent à ce que les fonctions liées à cette propriété ou à ce contrôle ne soient pas confiées à l'autorité de supervision indépendante. Les États membres veillent à ce que l'autorité de supervision indépendante exerce ses compétences d'une manière impartiale et transparente " ;

9. Considérant que, si les dispositions de la directive et notamment celles de son article 11 précité, ne prévoient pas que les États membres doivent constituer l'autorité de supervision indépendante sous une forme juridique particulière et n'interdisent pas, par principe, que ses fonctions soient assumées par une direction relevant d'un ministère, elles imposent, en revanche, que des garanties soient apportées quant à l'indépendance de cette autorité et, dans le cas où un État membre conserve la propriété ou le contrôle d'aéroports ou d'entités gestionnaires d'aéroports ou de compagnies aériennes, quant au fait que les fonctions liées à cette propriété ou ce contrôle ne sont pas confiées à l'autorité de supervision indépendante ;

10. Considérant qu'il est constant que l'État participe au capital social d'une compagnie aérienne et de plusieurs sociétés gestionnaires d'aéroports, et qu'il est en outre propriétaire de plusieurs aéroports importants ; que, par suite, la désignation de la direction du transport aérien de la direction générale de l'aviation civile du ministère chargé des transports comme autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires ne peut être compatible avec les objectifs de l'article 11 de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 précitée que si des garanties sont données pour que soit assurée son indépendance par rapport aux compagnies aériennes et aux entités gestionnaires d'aéroports et pour que ne puissent pas lui être confiées des tâches liées à la gestion ou au contrôle de compagnies aériennes ou d'aéroports ; que la nature ou l'ampleur de telles garanties n'est pas établie ; que, par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité de supervision indépendante ne peut être regardée, en l'état des dispositions alors applicables, comme compatible avec les objectifs de l'article 11 de la directive précitée 2009/12/CE du 11 mars 2009 ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision du 21 janvier 2016 par laquelle le directeur du transport aérien du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer a homologué les tarifs des redevances aéroportuaires d'Aéroports de Paris à compter du 1er avril 2016 a été adoptée aux termes d'une procédure irrégulière ; que, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, cette décision et la décision de la société Aéroport de Paris fixant ces tarifs doivent être annulées ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des sociétés Air Corsica et autres, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros à verser à la société Air Corsica et autres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du directeur du transport aérien du 21 janvier 2016 portant homologation des tarifs des redevances aéroportuaires d'Aéroports de Paris à compter du 1er avril 2016 et la décision d'Aéroports de Paris fixant ces tarifs sont annulées.

Article 2 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à la société Air Corsica et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Aéroports de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Air Corsica, premier requérant dénommé de la requête, à la société Aéroports de Paris et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 398091
Date de la décision : 31/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2017, n° 398091
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:398091.20170331
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