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20/03/2017 | FRANCE | N°395326

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 20 mars 2017, 395326


Vu la procédure suivante :

1. Sous le n° 395326, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 décembre 2015 et 15 mars 2016, l'association de défense des agriculteurs de La Réunion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 septembre 2015 modifiant l'arrêté ministériel du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 d

u code de justice administrative.

2. Sous le n° 396025, par une requête sommaire et un m...

Vu la procédure suivante :

1. Sous le n° 395326, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 décembre 2015 et 15 mars 2016, l'association de défense des agriculteurs de La Réunion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 septembre 2015 modifiant l'arrêté ministériel du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Sous le n° 396025, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 janvier et 11 avril 2016, l'association de défense des agriculteurs de La Réunion demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 1er octobre 2015 modifiant les conditions de prévention, de surveillance et de lutte contre la leucose bovine enzootique, en tant qu'il exclut l'île de La Réunion des mesures techniques et administratives relative à la prophylaxie collective de la leucose bovine enzootique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 31 décembre 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire de la leucose bovine enzootique ;

- l'arrêté du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Brouchot, avocat de l'Association de défense des agriculteurs de la Réunion

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime : " Pour l'application du présent livre, sous réserve de dispositions particulières, on entend par dangers sanitaires les dangers qui sont de nature à porter atteinte à la santé des animaux et des végétaux ou à la sécurité sanitaire des aliments et les maladies d'origine animale ou végétale qui sont transmissibles à l'homme. Les dangers sanitaires sont classés selon les trois catégories suivantes:/ 1° Les dangers sanitaires de première catégorie sont ceux qui étant de nature, par leur nouveauté, leur apparition ou persistance, à porter une atteinte grave à la santé publique ou à la santé des végétaux et des animaux à l'état sauvage ou domestique ou à mettre gravement en cause, par voie directe ou par les perturbations des échanges commerciaux qu'ils provoquent, les capacités de production d'une filière animale ou végétale, requièrent, dans un but d'intérêt général, des mesures de prévention, de surveillance ou de lutte rendues obligatoires par l'autorité administrative ; / 2° Les dangers sanitaires de deuxième catégorie sont les dangers sanitaires autres que ceux mentionnés au 1° pour lesquels il peut être nécessaire, dans un but d'intérêt collectif, de mettre en oeuvre des mesures de prévention, de surveillance ou de lutte définies par l'autorité administrative ou approuvées dans les conditions prévues à l'article L. 201-12 ; / 3° Les dangers sanitaires de troisième catégorie sont les dangers sanitaires autres que ceux mentionnés aux 1° et 2° pour lesquels les mesures de prévention, de surveillance ou de lutte relèvent de l'initiative privée. / La liste des dangers sanitaires des première et deuxième catégories est établie dans des conditions prévues par voie règlementaire ". Aux termes de l'article D. 201-1 du même code : " La liste des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie est établie, en application de l'article L. 201-1, par arrêté du ministre chargé de l'agriculture ". Aux termes, enfin, du 8ème alinéa de l'article L. 201-12 du même code : " L'association sanitaire régionale élabore des programmes collectifs volontaires de prévention, de surveillance et de lutte contre certains dangers sanitaires, qu'elle peut soumettre à l'approbation de l'autorité administrative. Lorsqu'elle met en place un programme collectif volontaire sans en demander l'approbation, elle en informe l'autorité administrative ".

2. Par arrêté du ministre chargé de l'agriculture du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales, la leucose bovine enzootique (LBE) a été classée, dans le tableau figurant à l'annexe II de cet arrêté, comme danger sanitaire de deuxième catégorie. L'arrêté du même ministre en date du 4 septembre 2015 modifie ce dernier arrêté en prévoyant, d'une part, au 1° de son article 1er, que le tableau figurant à l'annexe II de l'arrêté du 29 juillet 2013 précise la ou les régions visées par chaque danger sanitaire de deuxième catégorie, d'autre part, au 2° du même article et à l'annexe de cet arrêté, que seules la France métropolitaine, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et Mayotte sont visées par la LBE, excluant ainsi La Réunion. Le ministre chargé de l'agriculture a, par ailleurs, fixé par un arrêté du 31 décembre 1990 les mesures techniques et administratives relative à la prophylaxie collective et à la police sanitaire collective de la LBE. L'arrêté du même ministre en date du 1er octobre 2015 modifie ce dernier arrêté. En particulier, les 1°, 10° à 13° et 16° à 18° de son article 1er restreignent la portée des mesures prévues aux articles 1er, 14, 15, 20, 27, 29 et 30 de l'arrêté du 31 décembre 1990 aux " territoires où la leucose bovine enzootique est classée en danger sanitaire de deuxième catégorie ". L'association de défense des agriculteurs de La Réunion demande, sous le n° 395326, l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 4 septembre 2015. Elle doit être regardée, sous le n° 396025, comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des 1°, 10° à 13° et 16° à 18° de l'article 1er de l'arrêté du 1er octobre. Ses requêtes présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 4 septembre 2015 :

3. Il résulte des dispositions visées au point 1, auxquelles aucune dérogation n'est apportée par le titre VIII du code rural et de la pêche maritime, relatif aux " dispositions spécifiques à l'outre-mer ", qu'un danger sanitaire, lorsqu'il remplit les conditions fixées pour l'une ou l'autre des deux premières catégories, doit y être classé pour l'ensemble du territoire national. Ces dispositions ne font, en revanche, pas obstacle à ce que les mesures de prévention, de surveillance ou de lutte qu'appelle ce danger sanitaire soient adaptées, compte tenu de ses effets, notamment d'une région à l'autre, dans les conditions définies, sous le contrôle du juge, par l'autorité réglementaire ou dans le cadre des programmes collectifs volontaires.

4. Par suite, le 1° de l'article 1er de l'arrêté du 4 septembre 2015, qui a pour objet et pour effet de permettre qu'un danger sanitaire ne soit classé en deuxième catégorie que pour une partie du territoire national, méconnaît, ainsi que le soutient l'association requérante, les dispositions précitées de l'article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime. Il en va de même, par voie de conséquence, des dispositions combinées du 2° de l'article 1er et de l'annexe de cet arrêté, qui procèdent au classement de la LBE en danger sanitaire de deuxième catégorie pour une partie seulement du territoire national, excluant La Réunion.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête n° 395326, que l'association de défense des agriculteurs de La Réunion est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2015.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 1er octobre 2015 :

6. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont, en l'espèce, intervenues en raison de l'acte annulé.

7. Il ressort des pièces du dossier que les dispositions contestées des 1°, 10° à 13° et 16° à 18° de l'article 1er de l'arrêté du 1er octobre 2015, qui restreignent, ainsi qu'il a été dit au point 2, la portée des mesures prévues par l'arrêté du 31 décembre 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire collective de la LBE aux seuls territoires où cette maladie est classée en danger sanitaire de deuxième catégorie, sont intervenues, en l'espèce, en raison des dispositions combinées du 2° de l'article 1er et de l'annexe de l'arrêté du 4 septembre 2015 qui ont été annulées au point 5. L'association requérante est, par suite, fondée, à en demander, par voie de conséquence, l'annulation.

Sur la modulation dans le temps des effets des annulations :

8. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

9. En l'espèce, l'annulation rétroactive des dispositions contestées entraînerait l'application, à La Réunion, de la totalité des mesures de prévention, de surveillance et de lutte prévues par l'arrêté du 31 décembre 1990 et notamment celles qui prévoient l'abattage systématique des bêtes infectées. Compte tenu du caractère manifestement excessif de telles conséquences, il y a lieu de ne prononcer l'annulation des dispositions mentionnées aux points 5 et 7, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, qu'à compter du 1er novembre 2017.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 4 septembre 2015 modifiant l'arrêté ministériel du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales ainsi que les dispositions des 1°, 10° à 13° et 16° à 18° de l'article 1er de l'arrêté du 1er octobre 2015 modifiant les conditions de prévention, de surveillance et de lutte contre la leucose bovine enzootique sont annulés.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les dispositions mentionnées à l'article précédent sont annulées à compter du 1er novembre 2017.

Article 3 : L'Etat versera à l'association de défense des agriculteurs de La Réunion la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association de défense des agriculteurs de La Réunion et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 395326
Date de la décision : 20/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

AGRICULTURE ET FORÊTS - SANTÉ PUBLIQUE VÉTÉRINAIRE - PRÉVENTION - SURVEILLANCE ET LUTTE CONTRE LES DANGERS SANITAIRES CONCERNANT LES ANIMAUX - LES VÉGÉTAUX ET LES ALIMENTS - CLASSEMENT DES DANGERS SANITAIRES (ART - L - 201-1 DU CRPM) - 1) POSSIBILITÉ DE CLASSER UN DANGER DANS L'UNE DES DEUX PREMIÈRES CATÉGORIES POUR UNE PARTIE SEULEMENT DU TERRITOIRE NATIONAL - ABSENCE - 2) POSSIBILITÉ D'ADAPTER LES MESURES DE PRÉVENTION - DE SURVEILLANCE OU DE LUTTE D'UN DANGER CLASSÉ DANS UNE DES DEUX PREMIÈRES CATÉGORIES SELON LES PARTIES DU TERRITOIRE NATIONAL - EXISTENCE.

03-08 1) Il résulte des dispositions des articles L. 201-1 et L. 201-12 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), auxquelles aucune dérogation n'est apportée par le titre VIII de ce code, relatif aux dispositions spécifiques à l'outre-mer, qu'un danger sanitaire, lorsqu'il remplit les conditions fixées pour l'une ou l'autre des deux premières catégories, doit y être classé pour l'ensemble du territoire national.... ,,2) Ces dispositions ne font, en revanche, pas obstacle à ce que les mesures de prévention, de surveillance ou de lutte qu'appelle ce danger sanitaire soient adaptées, compte tenu de ses effets, notamment d'une région à l'autre, dans les conditions définies, sous le contrôle du juge, par l'autorité réglementaire ou dans le cadre des programmes collectifs volontaires.

SANTÉ PUBLIQUE - PROTECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ PUBLIQUE - POLICE ET RÉGLEMENTATION SANITAIRE - PRÉVENTION - SURVEILLANCE ET LUTTE CONTRE LES DANGERS SANITAIRES CONCERNANT LES ANIMAUX - LES VÉGÉTAUX ET LES ALIMENTS - CLASSEMENT DES DANGERS SANITAIRES (ART - L - 201-1 DU CRPM) - 1) POSSIBILITÉ DE CLASSER UN DANGER DANS L'UNE DES DEUX PREMIÈRES CATÉGORIES POUR UNE PARTIE SEULEMENT DU TERRITOIRE NATIONAL - ABSENCE - 2) POSSIBILITÉ D'ADAPTER LES MESURES DE PRÉVENTION - DE SURVEILLANCE OU DE LUTTE D'UN DANGER CLASSÉ DANS UNE DES DEUX PREMIÈRES CATÉGORIES SELON LES PARTIES DU TERRITOIRE NATIONAL - EXISTENCE.

61-01-01 1) Il résulte des dispositions des articles L. 201-1 et L. 201-12 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), auxquelles aucune dérogation n'est apportée par le titre VIII de ce code, relatif aux dispositions spécifiques à l'outre-mer, qu'un danger sanitaire, lorsqu'il remplit les conditions fixées pour l'une ou l'autre des deux premières catégories, doit y être classé pour l'ensemble du territoire national.... ,,2) Ces dispositions ne font, en revanche, pas obstacle à ce que les mesures de prévention, de surveillance ou de lutte qu'appelle ce danger sanitaire soient adaptées, compte tenu de ses effets, notamment d'une région à l'autre, dans les conditions définies, sous le contrôle du juge, par l'autorité réglementaire ou dans le cadre des programmes collectifs volontaires.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2017, n° 395326
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Déborah Coricon
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : BROUCHOT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:395326.20170320
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