Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 57-8-8, R. 57-8-9, R. 57-8-15, R. 57-8-21, D. 47-19, D. 57, D. 298 et D. 507 du code de procédure pénale ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux d'abroger ces dispositions ou, à défaut, de statuer à nouveau sur la demande d'abrogation dans un délai de quinze jours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- la décision du 24 février 2016 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
- la décision n° 2016-543 QPC du Conseil constitutionnel du 24 mai 2016 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
Considérant ce qui suit :
1. La Section française de l'Observatoire international des prisons demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice opposant un refus à sa demande d'abrogation des articles R. 57-8-8, R. 57-8-9, R. 57-8-15, R. 57-8-21, D. 47-19, D. 57, D. 298 et D. 507 du code de procédure pénale.
Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger les dispositions relatives aux permis de visite et aux autorisations de téléphoner :
2. L'article R. 57-8-8 du code de procédure pénale dispose que : " Les permis de visite sont délivrés, refusés, suspendus ou retirés pour les personnes détenues prévenues par le magistrat saisi du dossier de la procédure dans les conditions prévues par l'article 145-4 ". L'article R. 57-8-15 du même code encadre les conditions dans lesquelles se déroulent les visites au sein des établissements pénitentiaires. L'article D. 47-19 du même code traite du cas particulier du permis accordé au tuteur ou au curateur de la personne détenue. Les articles R. 57-8-9 et D. 507 du même code fixent le régime applicable aux détenus écroués à la suite d'une demande d'extradition émanant d'un gouvernement étranger. Les dispositions de l'article R. 57-8-21 du même code déterminent les conditions dans lesquelles les autorisations de téléphoner sont délivrées aux personnes détenues, notamment les prévenus.
3. A l'appui de sa demande d'abrogation, la Section française de l'Observatoire international des prisons fait valoir que ces dispositions réglementaires ont été prises pour l'application des articles 145-4 du code de procédure pénale et 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui n'organisent aucun recours permettant aux personnes prévenues de contester les décisions de l'autorité judiciaire leur refusant une autorisation de téléphoner ou un permis de visite. Il est vrai que si le pouvoir réglementaire était compétent pour prendre les mesures d'application de ces dispositions législatives, il ne pouvait légalement les édicter tant que le législateur n'était pas intervenu préalablement pour organiser, dans son champ de compétence relatif à la procédure pénale, une voie de recours effectif permettant de les contester, conformément aux exigences attachées au respect de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par sa décision n° 2016-543 QPC du 24 mai 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et les mots " en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information " figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009, ces dispositions méconnaissant les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et privant de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale. Le dispositif de cette décision précise que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 21, qui prévoient que la déclaration d'inconstitutionnalité " est reportée jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives ou, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2016. Les décisions prises en vertu de ces dispositions avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ". En décidant de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision, le Conseil constitutionnel a laissé au législateur la possibilité de remédier aux carences constatées. Or, l'article 145-4 du code de procédure pénale a été modifié, d'une part, par les dispositions de l'article 63 de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, d'autre part, par les dispositions de l'article 108 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Ainsi modifié, l'article 145-4 du code de procédure pénale dispose désormais que : " Lorsque la personne mise en examen est placée en détention provisoire, le juge d'instruction peut prescrire à son encontre l'interdiction de communiquer pour une période de dix jours. Cette mesure peut être renouvelée, mais pour une nouvelle période de dix jours seulement. En aucun cas l'interdiction de communiquer ne s'applique à l'avocat de la personne mise en examen. / Sous réserve des dispositions qui précèdent, toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention ou téléphoner à un tiers. / A l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite ou d'autoriser l'usage du téléphone que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction, du maintien du bon ordre et de la sécurité ou de la prévention des infractions. / Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai au demandeur. Ce dernier peut la déférer au président de la chambre de l'instruction, qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. Lorsqu'il infirme la décision du juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction délivre le permis de visite ou l'autorisation de téléphoner. / Après la clôture de l'instruction, les attributions du juge d'instruction sont exercées par le procureur de la République selon les formes et conditions prévues au présent article. Il en est de même dans tous les autres cas où une personne est placée en détention provisoire. / A défaut de réponse du juge d'instruction ou du procureur de la République à la demande de permis de visite ou de téléphoner dans un délai de vingt jours, la personne peut également saisir le président de la chambre de l'instruction. / Lorsque la procédure est en instance d'appel, les attributions du procureur de la République sont confiées au procureur général ". Par ailleurs, la loi du 3 juin 2016 a créé, au sein du code de procédure pénale, un nouvel article 802-1, aux termes duquel : " Lorsque, en application du présent code, le ministère public ou une juridiction est saisi d'une demande à laquelle il doit être répondu par une décision motivée susceptible de recours, en l'absence de réponse dans un délai de deux mois à compter de la demande effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé, ce recours peut être exercé contre la décision implicite de rejet de la demande. / Le présent article n'est pas applicable lorsque la loi prévoit un recours spécifique en l'absence de réponse ".
5. Ces nouvelles dispositions désignent l'autorité compétente pour statuer sur les demandes de permis de visite ou les autorisations de téléphoner et définissent les voies et délais de recours permettant aux personnes prévenues de contester les refus opposés à de telles demandes. Elles permettent également à ces personnes de contester les décisions implicites de rejet. Le motif allégué d'illégalité des dispositions dont l'abrogation était demandée ayant disparu compte tenu des modifications législatives intervenues, le moyen rappelé au point 3 doit être écarté. Il y a seulement lieu d'annuler le refus d'abroger, à l'article R. 57-8-21 du code de procédure pénale, les termes " en application de l'article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ", qui sont devenus sans objet depuis l'abrogation, à cet article, par la décision du Conseil constitutionnel des termes " et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information " et la modification subséquente de l'article 145-4 du code de procédure pénale.
Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger les dispositions relatives aux extractions et translations :
6. Les conclusions doivent être interprétées comme tendant à l'annulation du refus d'abroger l'article D. 57 du code de procédure pénale, relatif aux mesures d'extraction ou de translation des personnes prévenues, en tant seulement qu'il renvoie aux dispositions de l'article D. 298 du même code, c'est-à-dire à celles relatives aux translations des détenus qui " doi[vent] comparaître à quelque titre que ce soit devant une juridiction éloignée de [leur] lieu de détention dans une affaire pour laquelle il[s] ne [sont] pas placé[s] en détention provisoire ".
7. A l'appui de sa demande d'abrogation, la Section française de l'Observatoire international des prisons fait valoir que les dispositions litigieuses mettent en oeuvre une mesure pour laquelle aucune voie de recours n'est offerte aux personnes prévenues, en méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Une mesure de translation est destinée à assurer la mise à disposition de la justice d'une personne prévenue, en exécution d'un ordre de translation, prescrit par un magistrat de l'ordre judiciaire, pour les seules nécessités de l'instruction ou du jugement. Dans ces conditions, la circonstance qu'une mesure de translation, décidée afin de permettre le bon déroulement des procédures judiciaires dans le respect des dispositions relatives à la compétence territoriale des juridictions, par nature provisoire et qui n'apporte aucune restriction aux droits des détenus n'est susceptible d'aucun recours n'entache pas d'illégalité les dispositions des articles D. 57 et D. 298 du code de procédure pénale dont le refus d'abrogation est attaqué.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la Section française de l'Observatoire international des prisons est seulement fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le ministre de la justice a refusé d'abroger à l'article R. 57-8-21 du code de procédure pénale, les termes " en application de l'article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 " et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la justice de procéder à cette abrogation dans un délai de trois mois à compter de la présente décision. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le refus d'abroger, à l'article R. 57-8-21 du code de procédure pénale, les termes " en application de l'article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 " est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice d'abroger, à l'article R. 57-8-21 du code de procédure pénale, les termes " en application de l'article 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ", dans un délai de trois mois à compter de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à la Section française de l'Observatoire international des prisons une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.