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14/02/2017 | FRANCE | N°404419

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 14 février 2017, 404419


Vu la procédure suivante :

Le service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne (SISTBP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 14 août 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique contre la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de

la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France du 17 fév...

Vu la procédure suivante :

Le service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne (SISTBP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 14 août 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique contre la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France du 17 février 2016 limitant à un an et au secteur de la boulangerie-pâtisserie le renouvellement de son agrément.

Par une ordonnance n° 1614707 du 10 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 octobre, 20 octobre et 15 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le SISTBP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 10 octobre 2016 ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes du premier alinéa de l'article D. 4622-48 du code du travail : " Chaque service de santé au travail fait l'objet d'un agrément, pour une période de cinq ans, par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, après avis du médecin inspecteur du travail ". L'article D. 4622-51 du même code dispose que : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi constate que les conditions de fonctionnement du service de santé ne satisfont pas aux obligations résultant des dispositions du présent titre, il peut, après avis du médecin inspecteur du travail : / 1° En cas de demande d'agrément ou de renouvellement, délivrer un agrément pour une durée maximale de deux ans non renouvelable, sous réserve d'un engagement précis et daté de mise en conformité de la part du service de santé au travail. Lorsqu'à l'issue de cette période le service de santé au travail satisfait à ses obligations, l'agrément lui est accordé pour cinq ans ; / 2° En cours d'agrément : / a) Soit mettre fin à l'agrément accordé et délivrer un agrément pour une durée maximale de deux ans non renouvelable, sous réserve d'un engagement précis et daté de mise en conformité de la part du service de santé au travail. Lorsqu'à l'issue de cette période le service de santé au travail satisfait à ces obligations, l'agrément lui est accordé pour cinq ans ; / b) Soit modifier ou retirer, par décision motivée, l'agrément délivré, ces mesures ne pouvant intervenir que lorsque le service de santé au travail, invité (...) à se mettre en conformité dans un délai fixé par le directeur régional dans la limite de six mois, n'a pas accompli dans ce délai les diligences nécessaires (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 4622-52 de ce code : " Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande d'agrément ou de renouvellement d'agrément vaut décision d'agrément. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre chargé du travail saisi d'un recours hiérarchique sur une décision relative à l'agrément vaut décision d'agrément ". Les " décisions relatives à l'agrément " mentionnées à ce dernier article renvoient aux seules décisions par lesquelles le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi refuse de délivrer ou de renouveler en tout ou partie un agrément.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que le service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne (SISTBP) a déposé le 29 octobre 2015 une demande de renouvellement d'agrément auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, en application de l'article D. 4622-48 du code du travail. Le 17 février 2016, le directeur régional, relevant que le SISTBP ne respectait pas la réglementation relative aux services de santé au travail sur différents points, lui a accordé un agrément pour une période d'un an et a retiré de sa compétence professionnelle le secteur de l'alimentation et de la restauration, ainsi que le secteur de la boucherie et des métiers de la viande, en application de l'article D. 4622-51 du même code. Le SISTBP a formé contre cette décision, le 12 avril 2016, un recours hiérarchique, dont le ministre chargé du travail a accusé réception le 14 avril suivant. Par une décision du 14 août 2016, dont le SISTBP a reçu la notification le 29 août suivant, le ministre a rejeté ce recours par une décision expresse. Le SISTBP se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 10 octobre 2016 par laquelle le juge de référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de suspension de cette décision.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance de référé :

4. Aux termes des deuxième et sixième alinéas de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ". Selon l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Il résulte de ces dispositions que les décisions qui retirent une décision créatrice de droits doivent être précédées d'une procédure contradictoire préalable.

5. Il résulte des dispositions de l'article R. 4622-52 du code du travail que le silence gardé pendant plus de quatre mois par le ministre chargé du travail saisi, le 14 avril 2016, du recours hiérarchique formé par le SISTBP contre la décision du directeur régional rejetant partiellement sa demande de renouvellement d'agrément valait décision d'agrément. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, ainsi que celui-ci l'a relevé, le ministre a pris le 14 août 2016 une décision expresse de rejet de ce recours hiérarchique, qui n'a été notifiée au SISTBP que le 29 août suivant. Par suite, cette décision doit être regardée comme une décision de retrait de la décision implicite de renouvellement d'agrément, créatrice de droits, dont le SISTBP était titulaire depuis le 14 août à minuit. Dès lors, en jugeant que ce service ne pouvait se prévaloir d'un renouvellement tacite de son agrément et en en déduisant que le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire préalable n'était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension était demandée, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le SISTBP est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 10 octobre 2016. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens de son pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité de la requête en annulation :

8. La demande par laquelle le SISTBP a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre chargé du travail du 14 août 2016 a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 16 septembre suivant, dans le délai de recours contentieux de deux mois qui a couru, en vertu de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, à compter de la notification de cette décision le 29 août 2016. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que cette demande serait tardive et que, dès lors, la demande de suspension de l'exécution de la décision du 14 août 2016 devrait être rejetée.

Sur l'urgence :

9. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

10. Ainsi que le fait valoir le SISTBP, l'exécution de la décision contestée lui interdit de poursuivre son activité à compter du 17 février 2017. Ainsi, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'a pas demandé la suspension de l'exécution de la décision du 17 février 2016 ou présenté à l'administration une nouvelle demande d'agrément, il est fondé à soutenir que l'urgence justifie que soit suspendue l'exécution de la décision du 14 août 2016, notifiée le 29 août 2016, en tant que, par cette décision, le ministre chargé du travail lui a retiré l'agrément dont il bénéficiait, au-delà de cette date, pour la boulangerie-pâtisserie à Paris, dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. En revanche, alors qu'il avait cessé d'être agréé, dès le mois de février 2016, pour le secteur des professions de l'alimentation et de la restauration et pour celui de la boucherie et des métiers de viande, au motif qu'il comptait parmi ses adhérents un nombre trop faible d'entreprises de ces secteurs pour justifier le maintien de la compétence correspondante, le SISTBP n'apporte aucun élément de nature à justifier l'urgence qui s'attacherait à suspendre l'exécution de la décision du 14 août 2016 en tant qu'elle lui retire son agrément dans cette mesure.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige :

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de ce que la décision du 14 août 2016, notifiée le 29 août, retirant la décision implicite de renouvellement d'agrément dont le SIS BP bénéficiait, a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

Sur la portée de la suspension ordonnée :

12. Il résulte de tout ce qui précède que le SISTBP est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 14 août 2016, notifiée le 29 août, en tant qu'elle a retiré, pour la boulangerie-pâtisserie, la décision implicite d'agrément dont il bénéficiait. Cette suspension implique l'agrément provisoire du SISTBP pour ce secteur jusqu'à ce que le tribunal administratif de Paris statue sur la demande d'annulation de la décision du 14 août 2016, sauf pour le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi à faire usage des pouvoirs qu'il tire du 2° de l'article D. 4622-51 du code du travail.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser au SISTBP, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais qu'il a exposés tant devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris que devant le Conseil d'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 10 octobre 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du ministre chargé du travail du 14 août 2016 est suspendue en tant qu'elle retire l'agrément du service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne pour la boulangerie-pâtisserie à Paris, dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne.

Article 3 : L'Etat versera au service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne une somme de 3 000 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au service interentreprises de santé au travail de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Paris et région parisienne et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 404419
Date de la décision : 14/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2017, n° 404419
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Marguerite
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP MARLANGE DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:404419.20170214
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