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03/02/2017 | FRANCE | N°387581

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 03 février 2017, 387581


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 387581, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 février, 4 mai et 28 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société 2020 Patrimoine Finance et M. A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 23 décembre 2014 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en tant qu'elle prononce à l'encontre de la société 2020 Patrimoine Finance un blâme assorti d'une sanction pécuniaire d'un montant de 150 000 eur

os et à l'encontre de M. B...une sanction pécuniaire d'un montant de 75 000 euros ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 387581, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 février, 4 mai et 28 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société 2020 Patrimoine Finance et M. A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 23 décembre 2014 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en tant qu'elle prononce à l'encontre de la société 2020 Patrimoine Finance un blâme assorti d'une sanction pécuniaire d'un montant de 150 000 euros et à l'encontre de M. B...une sanction pécuniaire d'un montant de 75 000 euros et qu'elle rend publiques ces sanctions sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 388550, par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars 2015, 5 octobre 2015, 16 octobre 2015 et 22 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...D...demande au Conseil d'Etat :

1°) de réduire la sanction pécuniaire prononcée à son encontre le 23 décembre 2014 par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers de façon à ce qu'elle ne dépasse pas la somme de 20 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société 2020 Patrimoine Finance et autre, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à la SCP Lesourd, avocat de M.D....

1. Considérant que les requêtes présentées, d'une part, par la société 2020 Patrimoine Finance et son président-directeur général, M.B..., d'autre part, par M.D..., sont dirigées contre la même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...était salarié de la société 2020 Patrimoine Finance en qualité de gérant de portefeuille et de chargé de réception et transmission d'ordres (RTO) ; qu'un contrôle décidé par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, portant sur la période allant du 20 mars 2009 au 31 juillet 2012, a révélé que M. D...a commis, entre juillet et novembre 2009, des faits dits de " post-affectation " des ordres, portant sur 68 opérations d'achat et de vente sur un compte, avec un gain net de près de 20 000 euros ; que ces agissements le conduisaient à mettre en attente des opérations d'achat ou de vente de titres qu'il effectuait pour le compte de ses clients et à affecter, au terme d'un délai qui pouvait être de quelques jours, les opérations s'avérant positives sur le compte de l'un de ses proches ; que par la décision attaquée du 23 décembre 2014, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre une interdiction d'exercer l'activité de RTO pour le compte de tiers pour une durée de dix ans et une sanction financière de 100 000 euros ; que par la même décision, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a infligé un blâme assorti d'une sanction pécuniaire de 150 000 euros à la société 2020 Patrimoine Finance et une sanction pécuniaire de 75 000 euros à son président-directeur général, M.B..., pour avoir manqué à leurs obligations professionnelles de contrôle ; qu'elle a également décidé de publier sa décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ; que la société 2020 Patrimoine finance et M. B...demandent l'annulation de cette décision en tant qu'elle les concerne et qu'elle rend publiques ces sanctions sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ; que M. D...ne demande que la réduction de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par cette décision de façon à ce qu'elle ne dépasse pas la somme de 20 000 euros ;

Sur la régularité de la décision attaquée :

3. Considérant qu'aux termes du IV de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur. (...) " ;

4. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu par la société 2020 Patrimoine finance et M.B..., la commission des sanctions, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments développés devant elle, a exposé de façon précise et circonstanciée les éléments de droit et de fait qui l'ont conduite à estimer que les requérants avaient manqué à leurs obligations professionnelles ; que s'agissant en particulier de M.B..., la décision attaquée énonce les dispositions de l'article 313-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers relatif à la responsabilité des dirigeants de sociétés et en déduit que les manquements identifiés préalablement et précisément dans sa décision sont également imputables à M. B...en sa qualité de président-directeur général de 2020 Patrimoine Finance ; que, par ailleurs, si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale ; que cette motivation d'ensemble ne saurait être regardée, en l'espèce, comme insuffisante ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, d'une part en ce qu'elle ne ferait pas apparaître les motifs ayant conduit à retenir la responsabilité personnelle du dirigeant de la société, M.B..., d'autre part, en ce qu'elle ne justifierait pas la décision de rendre publiques les sanctions prononcées sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, doit être écarté ;

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

En ce qui concerne les sanctions prononcées à l'encontre de M. D...:

5. Considérant qu'aux termes du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa version alors applicable : " (...) Les sanctions applicables sont (...) Pour les personnes physiques (...) l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques mentionnées aux c à g du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits éventuellement réalisés dans les autres cas. (...). Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements (...) " ;

6. Considérant qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée ;

7. Considérant, en premier lieu, que si la commission des sanctions a mentionné dans sa décision que M. D...gérait des encours de 200 millions d'euros, alors qu'il résulte de l'instruction qu'ils étaient de l'ordre de cinq fois inférieur, cette circonstance est sans incidence sur la sanction retenue, dont le montant est, en application des dispositions citées ci-dessus, proportionné non aux encours gérés mais à la gravité des manquements ; que, dès lors le moyen tiré de l'erreur de fait, de l'erreur de droit et d'une méconnaissance du principe de proportionnalité en raison de la mention erronée du montant des encours géré par l'intéressé doit être écarté ;

8. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a notamment retenu que les manquements commis par M. D...constituaient une atteinte grave à l'obligation d'agir d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients ; que si M. D...soutient que les opérations concernées ont été en nombre limité et sur une courte période, il résulte de l'instruction que, pour la période comprise entre juillet et novembre 2009, date à laquelle ces agissements ont été découverts, soit sur une période de cinq mois, pas moins de soixante-huit opérations d'achat et de vente sur le compte litigieux ont été réalisées ; que si le requérant met en avant l'absence de profit pour lui-même et un gain net limité à 19 896 euros, il résulte des dispositions citées au point 5 qu'une sanction peut être prononcée même en l'absence de profits tirés du manquement ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, il résulte des termes mêmes de la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers que celle-ci a tenu compte des circonstances de l'espèce, d'une part, en retenant qu'il avait indemnisé des clients identifiés comme victimes de ses agissements, d'autre part, en prenant en considération les revenus, les dettes et la situation familiale de l'intéressé ; que si la commission des sanctions n'a pas évoqué dans sa décision les circonstances alléguées par le requérant concernant des menaces graves faisant courir un péril imminent sur lui-même et sa famille, de tels éléments, au demeurant non étayés, ne sauraient, dans les circonstances de l'espèce, atténuer la gravité des manquements ; que dès lors, en infligeant à M. D...une sanction pécuniaire d'un montant de 100 000 euros, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n'a pas prononcé une sanction disproportionnée à la gravité du manquement commis, eu égard aux obligations de loyauté et d'honnêteté qui s'imposaient à l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions de gérant de portefeuille et de chargé de réception et transmission d'ordres à l'égard de ses clients ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à demander la réduction de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ;

En ce qui concerne les sanctions prononcées à l'encontre de la société et de son dirigeant :

10. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'en application du a) du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les sociétés de gestion sont au nombre des personnes auxquelles l'Autorité des marchés financiers peut, en cas de manquement à leurs obligations professionnelles, infliger une sanction ; que, pour l'application de ces dispositions et en raison des responsabilités qui incombent à ces sociétés pour assurer, notamment au travers de l'organisation et du contrôle des interventions de leurs préposés, le bon fonctionnement des marchés financiers, dont ils sont les acteurs principaux, les manquements commis non seulement par les dirigeants et représentants de ces sociétés mais aussi par leurs préposés sont de nature à leur être directement imputés en leur qualité de personnes morales, sans que soit méconnu le principe constitutionnel de responsabilité personnelle, dès lors que ces préposés ont agi dans le cadre de leurs fonctions ; qu'en l'absence, toutefois, au regard de ce principe, de toute présomption de caractère irréfragable, les prestataires ont, au cours de la procédure engagée à leur encontre, la faculté de faire valoir en défense, pour s'exonérer de leur responsabilité, qu'ils ont adopté et effectivement mis en oeuvre des modes de fonctionnement et d'organisation de nature à prévenir et à détecter les manquements professionnels de leurs préposés, sauf pour ces derniers précisément à s'affranchir du cadre de leurs fonctions, notamment en agissant à des fins étrangères à l'intérêt de leurs commettants ;

11. Considérant, d'autre part qu'aux termes de l'article 313-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " La responsabilité de s'assurer que le prestataire de services d'investissement se conforme à ses obligations professionnelles mentionnées au II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier incombe à ses dirigeants et, le cas échéant, à son instance de surveillance. / En particulier, les dirigeants et, le cas échéant, l'instance de surveillance évaluent et examinent périodiquement l'efficacité des politiques, dispositifs et procédures mis en place par le prestataire pour se conformer à ses obligations professionnelles et prennent les mesures appropriées pour remédier aux éventuelles défaillances (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que la méconnaissance des obligations professionnelles mentionnées au II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier peut être imputée au dirigeant de la société ;

12. Considérant que la décision attaquée fait apparaître que la commission des sanctions a précisément distingué les manquements imputables respectivement à M.D..., à la société et son dirigeant ; que s'agissant de la société et de son dirigeant, les trois types de manquements reprochés portent, en premier lieu, sur l'obligation d'établir et de maintenir opérationnelles les procédures relatives à l'enregistrement et à l'affectation des ordres d'achat et de vente, en deuxième lieu, sur celle de ne pas confier de manière cumulée des fonctions de gestion de portefeuille et de RTO sans vérifier que l'intéressé est en mesure de s'en acquitter de manière adéquate, honnête et professionnelle, enfin, sur l'insuffisance de moyens techniques de contrôle interne ; qu'il suit de là que la commission des sanctions n'a pas méconnu le principe de responsabilité personnelle ;

13. Considérant, en second lieu, que si les requérants soutiennent qu'ils avaient exposé de nombreux éléments attestant des moyens mis en oeuvre par la société, il résulte de l'instruction que ces moyens étaient insuffisants pour assurer le respect des obligations qui leur incombaient ; qu'en particulier, si le cumul par MD... des fonctions de gérant de portefeuille et de chargé de service de RTO n'était pas interdit par principe, il résulte de l'instruction que ce dernier a continué à être placé dans cette situation de cumul en dépit de circonstances qui auraient dû éveiller l'attention de la société ; qu'enfin, la circonstance qu'un délai de cinq mois ait été nécessaire pour que la société découvre les agissements de son préposé traduit, à l'inverse de ce que les requérants allèguent, l'inefficacité de sa procédure organisationnelle ; que, dès lors, la commission des sanctions n'a pas commis d'erreur d'appréciation ;

14. Considérant qu'il suit de là que les sanctions prononcées tant à l'encontre de la société 2020 Patrimoine Finance que de son dirigeant ne sont pas, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnées au regard du nombre et de la nature des manquements reprochés ; qu'en outre, en application du V de l'article L. 621-15, la sanction complémentaire de publication fait, en principe, l'objet d'une publication, sauf lorsque celle-ci " risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause " ; que les requérants n'établissent pas que de telles conséquences résulteraient de cette publication ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité doit être écarté dans ses différentes branches ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société 2020 Patrimoine Finance et M. B...ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle les concerne ;

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité des marchés financiers qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M.D..., de la société 2020 Patrimoine Finance et de M. B...la somme de 1 500 euros chacun à verser à l'Autorité des marchés financiers au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société 2020 Patrimoine Finance et autre et de M. D...sont rejetées.

Article 2 : M.D..., la société 2020 Patrimoine Finance et M. B...verseront chacun à l'Autorité des marchés financiers la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société 2020 Patrimoine Finance, à M. A...B..., à M. C...D...et à l'Autorité des marchés financiers.

Copie en sera transmise pour information au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 387581
Date de la décision : 03/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 fév. 2017, n° 387581
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Mireille Le Corre
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:387581.20170203
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